Soufiane JEMMAR, Avocat en droit fiscal
Auteur de l’ouvrage « L’évaluation des biens et services en droit fiscal », L’Harmattan, Coll. Logiques Juridiques, 548 pages
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La société civile immobilière du 9 rue Buffon (la société) a acquis, le 5 juillet 1991, un immeuble à usage d'hôtel, situé 9 rue Buffon, à Paris, pour le prix de 525,949 €. Le 30 novembre 1993, l'administration fiscale, soutenant que la valeur vénale de l'immeuble devait être fixée à 2 759 327 €, a notifié à la société un redressement. Se conformant à l'avis émis le 16 mai 1995 par la commission départementale de conciliation, l'administration a fixé la valeur de l'immeuble à la somme de 1 981 837 et a, le 24 octobre 1995, mis en recouvrement le supplément d'imposition.
Après rejet de sa réclamation, la société a saisi le tribunal de grande instance, qui, après expertise, a fixé la valeur de l'immeuble à 564 061 €. Par arrêt du 20 mars 2003, la cour d'appel a jugé que la valeur vénale de l'immeuble devait être fixée au prix qui pouvait en être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à cette date, et ce par comparaison avec des cessions d'immeubles intrinsèquement similaires intervenues à la même époque, et, avant dire droit sur la fixation de cette valeur, a désigné un expert.
La société fait grief à l'arrêt d'avoir dit que les cessions d'hôtels situés 3 rue de l'Abbé de l'Epée et 9 rue Gît-le-Coeur portaient sur des biens intrinsèquement similaires et fixé à 1 380 273 € la valeur du bien acquis par elle le 5 juillet 1991.
La requérante soutenait que lorsque l'administration des impôts entend substituer à la valeur déclarée dans un acte de mutation, la valeur vénale réelle du bien en cause, il lui appartient, dès la notification du redressement, de justifier l'évaluation par elle retenue au moyen d'éléments de comparaison tirés de la cession, avant la mutation litigieuse, de biens intrinsèquement similaires. Or, selon la société, la notification de redressement de l'administration ne répondait pas à cette exigence, les éléments de comparaison étant contestables comme ne portant pas sur des biens intrinsèquement similaires.
Par ailleurs, une première expertise ayant fixé la valeur vénale du bien à la somme de 564 061 €, proche de la valeur déclarée à l'acte, soit 525 949 €, et une seconde expertise ayant fixé cette valeur vénale à la somme de 731 755 € (ces derniers préconisaient une méthode basée principalement sur la rentabilité de l’immeuble) la société soutenait que l'arrêt attaqué, qui, pour fixer la valeur vénale de l'immeuble à 1 380 273 €, se borne à retenir les mêmes éléments de comparaison invoqués par l'administration dans la notification de redressement et à affirmer « qu'ainsi » ceux-ci portaient sur des biens intrinsèquement similaires, sans s'en expliquer concrètement par une analyse de ces éléments de comparaison, et sans préciser les éléments de comparaison retenus par lui. A cet égard, la société soutient que si le juge n'est pas tenu de suivre les conclusions de l'expert, il doit néanmoins mentionner dans son jugement les motifs extérieurs à l'expertise qui ont forgé sa conclusion contraire à celle de l'expert et qu’ainsi la cour d'appel, après avoir ordonné deuxième expertise, pour se prononcer sur la valeur vénale de l'immeuble, était tenue de s'expliquer sur les raisons pour lesquelles elle estimait ne pas devoir tenir compte des résultats de cette expertise.
L’estimation du bien en cause aura, ainsi, varié en cours d’instance passant de 2 759 327 €, valeur estimée par l'administration, puis à 1 981 837 € par la commission départementale, puis à 564 061 €, d'après le premier expert, puis à 731 755 € d'après le second expert, puis à 1 380 273 € selon la cour d'appel.
Saisie du litige, la Cour de cassation a considéré qu'en constatant que l'arrêt du 20 mars 2003 avait dit que la valeur vénale de l'immeuble devait être fixée au prix qui pouvait en être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à la date de la cession, et ce par comparaison avec des cessions d'immeubles intrinsèquement similaires intervenues à la même époque, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de mettre en œuvre la méthode dite hôtelière, appliquée par les experts, la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées, s'est expliquée sur les raisons pour lesquelles les estimations des experts devaient être écartées.
La Cour de Cassation confirme ainsi sa jurisprudence constante donnant la priorité à la méthode d’évaluation par comparaison sur toutes les autres méthodes (et notamment sur celle retenue par les experts) tant que l’inexistence de cessions d’immeubles intrinsèquement similaires au bien évalué n’est pas démontrée.
Pour en savoir plus :
Cass. com. 21 octobre 2008 n° 07-18.181 (n° 1033 F-D), SCI du 9 rue Buffon