Par Soufiane JEMMAR, Avocat en droit fiscal
Auteur de l'ouvrage "l'évaluation des biens et services en droit fiscal", Editions l'Harmattan, 548 pages, 06/2010
I- les faits de l’espèce
La société financière du Val cède les 2 460 actions qu'elle détenait de la société Soficob, pour un prix unitaire de 3 400 francs, avant de les racheter le même jour au même prix. Compte tenu de la valeur moyenne comptable des titres cédés, l'opération a fait apparaître une moins-value de 889 600 F.
A l'issue d'une vérification de comptabilité l'administration a remis en cause le prix de vente des actions comme étant anormalement bas.
La société a contesté les impositions supplémentaires mises à sa charge au motif que l'administration n'avait pas tenu compte, pour l'évaluation des titres de la société Soficob, de l'existence au passif de cette société de 10 000 obligations convertibles en actions émises le 1er novembre 1987 pour une durée de quinze ans et des risques subséquents de dilution du capital en cas de conversion.
II- Motifs et dispositifs de l’arrêt
Le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel, la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.
Ce principe amène, en l’espèce, le Conseil d’Etat a poser la règle selon laquelle l'existence, au passif d'une société, d'obligations convertibles en actions crée en principe, pour un tiers acquéreur éventuel d'actions existantes, le risque de voir sa participation diluée en cas d'exercice par les détenteurs des obligations convertibles de leur droit à convertir ces obligations en actions nouvelles.
Or, l’application d’un abattement pour tenir compte du risque de dilution en cas d’existence d’obligations convertibles en actions n’est pas automatique. En effet, la Haute juridiction précise que l'appréciation de l'influence de du risque de dilution sur le prix unitaire des actions en cause doit tenir compte des circonstances concrètes de la transaction faisant l'objet de l'évaluation contestée.
Analysant les circonstances factuelles entourant les transactions en cause, le Conseil d’Etat en déduit que dans le cas où une société procède le même jour à la vente et au rachat des actions d'une entreprise, l'acquéreur intermédiaire étant une société appartenant au même groupe, l'administration est, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la maîtrise par les mêmes personnes de l'ensemble des éléments susceptibles d'affecter la valeur des titres cédés, et en particulier de la circonstance que les obligations convertibles étaient détenues par les acteurs de la cession, fondée à écarter tout risque de conversion de ces obligations en actions, et donc de décote des titres vendus.
En conséquence, il est jugé que c’est à bon droit que l'administration refuse de prendre en considération la probabilité de conversion, que la société A estimait à 70 %, de 10 000 obligations convertibles en actions, émises le 1er novembre 1987 pour une durée de quinze ans, inscrites au passif du bilan de la société B et détenues, à la date de l'évaluation des actions de la société B, par une société C, contrôlée par les mêmes personnes que celles qui contrôlent les sociétés A et B.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat rappelle le principe selon lequel l'administration est normalement tenue de tenir compte, pour l'évaluation des titres d'une société, des réserves indisponibles destinées à garantir les droits des obligataires que la société n'a pas constituées, en méconnaissance des obligations résultant de l'article 196 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales alors en vigueur.
Or, compte tenu des circonstances de l'espèce, eu égard à l'identité des personnes contrôlant les titres de la société cédée et de la société cédante, le risque de conversion des obligations étant nul, c’est à bon droit que l'administration a refusé de tenir compte de l'obligation de constituer ces réserves. La circonstance que la société dont les titres ont été cédés disposait de la trésorerie pour constituer cette réserve ou que l'absence de comptabilisation de la réserve résulterait d'une négligence de la part de cette société est, dans ce contexte, sans incidence.