Par Soufiane JEMMAR, Avocat en droit fiscal
Auteur de "l'évaluation des biens et services en droit fiscal",
L'Harmattan, Collection Logiques Juridiques, 548 pages, 06/2010
1- Faits de l'espèce
Par acte authentique du 13 décembre 1997, le fondateur de la société P a donné à chacun de ses deux enfants (les consorts S) la nue-propriété d'un certain nombre de ses parts sociales.
Estimant que la valeur déclarée ne correspondait pas à la valeur réelle, l'administration fiscale a mis en recouvrement des droits supplémentaires d'enregistrement.
2- Motifs du pourvoi en Cassation
Les consorts S reprochaient à l’arrêt de la Cour d’Appel d’avoir rejeté leur demande alors que l'évaluation de l'usufruit et de la nue-propriété s'effectue selon le barème Issu de l'article 762 d u CGI pour la seule liquidation des droits de mutation à titre gratuit. Ainsi, pour débouter les consorts S de leurs contestations relatives aux redressements fiscaux, la Cour a considéré que le barème issu de l'article 762 du CGI ayant été légalement applicable à la date du redressement, l'administration fiscale a pu y avoir recours pour un tiers dans la détermination de la valeur en nue-propriété des actions C détenues par la société P, dont les parts sociales seules ont fait l'objet d'une donation-partage en nue-propriété au profit des consorts S. Or, en l'absence de mutation à titre gratuit des actions C demeurées au bilan de la société P, le barème issu de l'article 762 du CGI n'était pas applicable ;
Par ailleurs, les consorts S. soutenaient que le barème issu de l'article 762 du CGI ne créant de présomption irréfragable qu'à l'égard des seules mutations à titre gratuit, l'administration fiscale qui se réfère à ce barème à titre facultatif pour rectifier l'évaluation retenue par les contribuables doit démontrer que celle-ci était inférieure à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. Or, la Cour a considéré que l'administration fiscale a pu se référer pour un tiers à l'article 762 du CGI, dans la détermination de la valeur en nue-propriété des actions C détenues par la société P, sans constater au préalable que l'évaluation retenue par les consorts S de la nue-propriété des titres C était inférieure à sa valeur vénale réelle, ni même rechercher si le barème issu de l'article 762 du CGI, qualifié de désuet et d'imparfait, utilisé par l'administration fiscale rendait compte de la valeur vénale réelle en nue-propriété des titres C.
3- Décision rendue
Statuant sur les motifs de contestation soulevés par les consorts S. La Cour de Cassation a jugé qu'aucun texte n'interdit a l'administration fiscale de se référer pour partie au barème de l'article 762 du CGI, alors applicable aux mutations à titre gratuit, pour apprécier la valeur de titres non cédés faisant partie de l'actif de la société en cause.
S'agissant de titres non cotés, l'estimation doit être réalisée en tenant compte de toutes les informations disponibles et que la valeur des titres P dépend de celle des actions de la société C, son seul actif. Dans ces condition, la Haute juridiction considère que c’est à bon droit que, pour procéder à la valorisation en nue-propriété des actions de la société C, l'administration fiscale a mis en œuvre une méthode directe impliquant la prise en compte de la valeur mathématique des actions en pleine propriété et l'application, pour l'estimation de leur valeur en nue-propriété, du barème de l'article 762 précité, ainsi qu'une méthode dite d'actualisation des flux futurs correctement appliquée eu égard à la nature des titres en question et tenant compte de la réserve d'usufruit, qu'elle a ensuite procédé à la détermination de la valeur moyenne en nue-propriété des actions C avant de valoriser celle des titres P, après avoir appliqué une décote dite de minorité de 20 % ainsi que le susdit barème, parvenant ainsi à une valeur par action supérieure à celle déclarée.
Pour l’ensemble de ces motifs, la requête des consorts S. a été rejetée.