Exposé des motifs du projet de loi
(Article 40 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011)
"I. – La section 5 du chapitre Ier bis du titre IV de la première partie du livre Ierdu même code est complétée par un article 885 T ter ainsi rédigé :
« Art. 885 T ter. – Les créances détenues, directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs sociétés interposées, par des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France, sur une société à prépondérance immobilière mentionnée au 2° du I de l’article 726, ne sont pas déduites pour la détermination de la valeur des parts que ces personnes détiennent dans la société. »
II. – Le I s’applique à l’impôt de solidarité sur la fortune dû à compter de l’année 2012".
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Les personnes physiques non-résidentes sont imposables à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sur les parts qu’elles détiennent dans des sociétés à prépondérance immobilière, telles que des sociétés civiles immobilières (SCI), à proportion du rapport entre la valeur des biens détenus en France par la société et l’actif total de la société, mais pas sur leurs placements financiers.
En conséquence, en finançant une société à prépondérance immobilière dont ils détiennent des part par le biais d’apports en compte courant, des associés non-résidents peuvent réduire la valeur de leurs parts dans la société, qui sont imposables à l’ISF, dès lors que ces apports figurent au passif, sans que les créances ainsi détenues ne soient incluses dans leur patrimoine taxable, puisqu’elles constituent des placements financiers.
Pour mettre un terme à de tels schémas d’optimisation, il est proposé d’exclure les dettes contractées à l’égard des associés non-résidents pour la valorisation des parts qu’ils détiennent dans une société à prépondérance immobilière.
Cet article tend à limiter les possibilités d’optimisation du montant de l’impôt de solidarité sur la fortune dont sont redevables les contribuables non-résidents en excluant les créances qu’ils détiennent dans des sociétés à prépondérance immobi lière de la valorisation de leurs parts dans ces mêmes sociétés.
Cette modification du droit en vigueur devrait permettre d’imposer les contribuables qui en bénéficiaient à hauteur de 20 millions d’euros supplémentaires par an.
I– L’IMPOSITION DES CONTRIBUABLES NON-RÉSIDENTS À L’IMPÔT DE SOLIDARITÉ SUR LA FORTUNE
La qualité de contribuable non-résident s’apprécie au regard des dispositions présentées à l’article 4 B du code général des impôts relatif à l’impôt sur le revenu. Selon ces dispositions, sont en effet considérées comme domiciliées fiscalement en France les personnes :
– qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
– qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;
– qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.
En outre, sont également considérés comme résidents les agents de l'État qui exercent leurs fonctions ou sont chargés de mission dans un pays étranger et qui ne sont pas soumis dans ce pays à un impôt personnel sur l'ensemble de leurs revenus.
Les contribuables non-résidents constituent donc l’ensemble des foyers fiscaux qui ne remplissent aucun de ces critères. Cette qualité leur est reconnue au titre de l’ensemble des impositions dont ils sont redevables en France.
1– L’assujettissement des non-résidents à l’impôt de solidarité sur la fortune
L’article 885 A du CGI précise que « sont soumises à l’impôt annuel de solidarité sur la fortune, lorsque la valeur de leurs biens est supérieure à la limite de la première tranche du tarif fixé à l’article 885 U […], les personnes physiques n’ayant pas leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France ».
En 2010, 8 044 contribuables non-résidents ont ainsi acquitté 65 millions d’euros au titre de l’ISF.
Contrairement aux contribuables domiciliés en France, soumis à une obligation fiscale illimitée portant sur tous les biens dont ils disposent qu’ils soient situés sur le territoire national ou à l’étranger (1), les contribuables non-résidents ne sont donc imposés qu’au titre des biens qu’ils détiennent en France.
Toutefois, ce principe d’imposition est tempéré, à l’article 885 L du CGI, par une exonération générale des placements financiers réalisés par les non-résidents.
Cette disposition tend à inciter ces derniers à conserver ou à accroître leurs placements sur le territoire.
(1) Sauf dispositions contraires prévues par des conventions internationales.
Les placements financiers constituent l’ensemble des placements réalisés dont les revenus relèvent ou relèveraient de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. En pratique, il s’agit des dépôts à vue ou à terme en euros ou en devises, des comptes courants d’associés détenus dans une société ou une personne morale qui a son siège social en France, des bons, obligations, actions ou droits sociaux et des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation souscrits auprès de compagnies d’assurance établies en France.
2– Le régime spécifique des placements financiers réalisés dans des sociétés à prépondérance immobilière
Selon l’article 885 L précité, certains titres n’ont cependant pas le caractère de placements financiers, à l’instar des actions ou parts détenues par des non-résidents dans une société ou une personne morale française ou étrangère, dont l’actif social français est principalement constitué d’immeubles ou de droits réels immobiliers situés sur le territoire français. Cette disposition vise à éviter que la constitution d’une société à prépondérance immobilière par le contribuable non-résident ne fasse obstacle à la perception de l’ISF au titre des biens immobiliers détenus.
Trois conditions doivent être remplies pour que ces titres ne soient pas considérés comme des placements financiers :
● Le patrimoine de la société qui a émis les titres doit être principalement immobilier. Les trois catégories de biens pouvant être pris en compte pour apprécier la composition de ce patrimoine sont les immeubles bâtis ou non bâtis, les droits réels immobiliers portant sur de tels biens (usufruit, bail à construction…) ou les titres de sociétés elles-mêmes à prépondérance immobilière. La prépondérance immobilière est par la suite constatée si la valeur de ces biens situés en France (1) représente plus de 50 % de la valeur de l’actif social situé en France.
● Les titres ne doivent pas être admis aux négociations sur un marché réglementé français ou étranger. Une exception s’applique néanmoins aux titres des SICOMI qui sont considérés comme des placements financiers, que la société soit cotée ou non, afin de ne pas introduire de distorsion de concurrence à l’intérieur de cette catégorie.
● Les actions et les parts sont détenues par des redevables de l’ISF qui n’ont pas leur domicile fiscal en France.
(1) Autres que les immeubles affectés par la société à sa propre exploitation industrielle, commerciale industrielle, commerciale, agricole ou non commerciale.
Les actions et parts répondant à ces trois conditions sont alors imposées à proportion de la valeur des biens immobiliers situés en France par rapport à l’actif total de la société en France et à l’étranger.
Par exemple, une société dispose d’un actif social d’une valeur totale de 100 répartie comme suit :
_____________Actifs français_______Actifs étrangers___________Total
Immobilier 30 10 40
Mobilier 10 50 60
Total 40 60 100
Cette société sera considérée comme une société à prépondérance immobilière car son patrimoine immobilier situé en France représente 75 % de son actif social situé en France et ce, alors même que son patrimoine total n’est pas principalement composé de biens immobiliers.
Si la valeur d’une part de cette société est de 10, seule une valeur de 3 sera imposée au titre de l’ISF puisque l’actif immobilier sis en France ne représente que 30 % de l’actif total de la société.
3– Les pratiques d’optimisation
Les parts de sociétés à prépondérance immobilière ainsi définies sont soumises à l’ISF pour leur valeur vénale qui est obtenue en divisant l’actif net comptable par le nombre de parts.
L’actif net comptable d’une société correspond à la valeur du patrimoine immobilier détenu, augmentée des fonds bancaires dont elle dispose et minorée de toutes les dettes inscrites au passif, à l’instar des apports en compte courant par les associés. Ces comptes courants retracent le montant des sommes prêtées temporairement à la société par le contribuable. En théorie, cette possibilité permet à la société de bénéficier, en cas de besoin, d’une source de financement interne et moins coûteuse que les autres formes de financement. Ces comptes constituent un élément de souplesse très important pour les sociétés et l’acceptation d’un risque pour les associés qui détiennent cette créance.
Les apports en compte courant sont considérés comme des placements financiers et sont donc exonérés d’ISF si le contribuable est non-résident. Cette exonération vise ainsi à renforcer l’attractivité des sociétés situées en France, qui pourraient bénéficier de placements étrangers et à protéger celles dont certains des associés sont non-résidents. Toutefois, elle permet également des montages d’optimisation de l’impôt dû au titre de l’ISF que cet article se propose d’encadrer.
En effet, les apports en compte courant d’un contribuable non-résident figurant au passif des comptes de la société diminuent le montant de l’actif net comptable de cette société et par conséquent, la valeur de la part détenue par ce même contribuable. Si ce contribuable avait été résident, ce schéma d’optimisation n’aurait pas été possible puisque ces placements financiers auraient été imposés.
Dans le cas d’une société dont l’actif est de 20 et à laquelle un associé résident et un associé non-résident ont apporté chacun 10 sur des comptes courants d’associés, l’actif comptable net est nul et, par conséquent, la valeur des parts l’est également. Aucun des associés ne sera donc soumis à l’ISF au titre de ces parts.
Cependant, le contribuable résident sera imposé à l’ISF au titre de son placement financier de 10, alors que le contribuable non-résident n’est pas imposable sur cette assiette.
On constate donc que le contribuable non-résident peut annuler ainsi son imposition au titre de l’ISF, tout en réduisant de moitié celle du contribuable résident, bénéficiaire indirecte de l’exonération.
II– LA NEUTRALISATION DES CRÉANCES DES NON-RÉSIDENTS POUR LA VALORISATION DES PARTS DE SOCIÉTÉS À PRÉPONDÉRANCE IMMOBILIÈRE
1– L’effet anti-abus de la mesure
Le présent article introduit un nouvel article 885 ter bis dans le CGI qui prévoit, qu’à compter de l’ISF acquitté au titre de l’année 2012, les créances détenues directement ou indirectement par les contribuables non-résidents dans des sociétés à prépondérance immobilière (1) ne sont plus prises en compte pour la détermination de la valeur des parts. Ces placements financiers ne sont donc pas imposés à l’ISF, mais simplement neutralisés au regard de la détermination de l’actif net comptable.
Dans l’hypothèse d’un tel mode de valorisation des parts, une société dont l’actif est de 20 et à laquelle un associé résident et un associé non-résident ont apporté chacun 10 sur des comptes courants d’associés, possède un actif comptable net de 10 puisque seul l’apport en compte courant du contribuable résident est porté au passif. Dans un premier temps, la valeur des parts détenues par les deux associés est déterminée par rapport à cet actif comptable net de 10. Ils sont donc chacun imposable à ce titre à l’ISF. Dans un deuxième temps, le contribuable résident est imposé à l’ISF au titre de son placement financier de 10, alors que le contribuable non-résident demeure non imposable sur cette assiette.
Par conséquent, le contribuable résident ne bénéficie plus indirectement de l’exonération, tandis que le contribuable non-résident ne peut plus annuler son imposition à l’ISF.
(1) Celles-ci sont désormais définies par référence à l’article 726 du CGI qui reprend la définition doctrinaire présentée à la DB 7 S 346.
2– Rendement de la mesure
Bien qu’il soit très difficile de chiffrer cette mesure, son rendement attendu est 20 millions d’euros par an. Aucune indication n’a pu être présentée sur le nombre de contribuables concernés et sur le ressaut d’imposition généré. Ce chiffrage qui repose sur la reconstitution d’une assiette de logements pouvant entrer dans la composition d’un patrimoine taxable à l’ISF, se fonde sur l’hypothèse non vérifiable que les contribuables non-résidents ont systématiquement optimisé leur imposition et que cette optimisation a permis de neutraliser entièrement l’imposition due. Par conséquent, le montant d’impôt supplémentaire résultant de la mesure devrait vraisemblablement être inférieur au montant présenté.
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