Soufiane JEMMAR, Avocat en droit fiscal
Auteur de l’ouvrage « L’évaluation des biens et services en droit fiscal », L’Harmattan, Coll. Logiques Juridiques, 548 pages
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CHAPITRE 1 : CHAMP D'APPLICATION DE L'OBLIGATION DOCUMENTAIRE
Les personnes morales visées par l'obligation documentaire en matière de prix de transfert prévue à l'article L. 13 AA du livre des procédures fiscales sont celles établies en France :
a) dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe ou l’actif brut figurant au bilan est supérieur ou égal à 400.000.000 €, ou
b) détenant à la clôture de l’exercice, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital ou des droits de vote d’une entité juridique satisfaisant à l’une des conditions mentionnées au a), ou
c) dont plus de la moitié du capital ou des droits de vote est détenue, à la clôture de l’exercice, directement ou indirectement, par une entité juridique satisfaisant à l’une des conditions mentionnées au a), ou
d) bénéficiant de l’agrément prévu à l’article 209 quinquies du code général des impôts, et, dans cette hypothèse, toutes les entreprises imposables en France faisant partie du périmètre de consolidation, ou
e) appartenant à un groupe relevant du régime fiscal prévu à l’article 223 A du code général des impôts lorsque celui-ci comprend au moins une personne morale satisfaisant à l’une des conditions mentionnées aux a), b), c), ou d).
L’expression « personnes morales établies en France » inclut les personnes morales étrangères disposant en France d’un établissement stable, étant précisé dans ce cas :
- que les conditions mentionnées au a) seront considérées comme satisfaites si elles sont remplies au niveau de l'établissement stable en France ou au niveau de la personne morale à l'étranger ;
- que les conditions mentionnées au b) seront considérées comme satisfaites si elles sont remplies au niveau de l'établissement stable en France ;
- que les conditions mentionnées au c) seront considérées comme satisfaites si elles sont remplies au niveau de la personne morale à l'étranger.
Les termes « entité juridique » s’entendent de toute personne morale, de tout organisme, de toute fiducie ou de toute institution comparable, qui est établi ou constitué en France ou à l’étranger.
Les critères retenus seront appréciés par l'administration pour chacun des exercices visés par l'avis de vérification de comptabilité.
Les entreprises qui ne sont pas situées dans le champ d'application de l'obligation documentaire en matière de prix de transfert prévue à l'article L.13 AA du livre des procédures fiscales sont soumises aux dispositions de l'article L.13 B du même livre.
CHAPITRE 2 : CONTENU DE L'OBLIGATION DOCUMENTAIRE
L’obligation documentaire en matière de prix de transfert prévue à l’article L.13 AA du livre des procédures fiscales vise sans distinction tous les types d’opérations réalisées entre entreprises associées.
La notion d’entreprises associées coïncide avec celle d’entités juridiques liées au sens de l’article 39.12 du code général des impôts. Ainsi, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises :
a) lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ;
b) lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au a), sous le contrôle d’une même tierce entreprise.
Conformément aux recommandations du code de conduite élaboré par le Forum conjoint de l'Union européenne, la documentation requise devra être constituée d’un ensemble d’éléments comportant deux niveaux d’information : des informations générales concernant le groupe d’entreprises associées et des informations spécifiques concernant l'entreprise associée faisant l'objet d'une vérification de comptabilité.
Pour les personnes morales réalisant des transactions avec une ou plusieurs entreprises associées situées ou constituées dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du code général des impôts, l’obligation documentaire mentionnée à l’article L.13 AA du livre des procédures fiscales est renforcée conformément aux dispositions du nouvel article L.13 AB du même livre.
Conformément aux dispositions de l'article L.123-22 du code de commerce et de l'article 54 du code général des impôts, l’administration a la possibilité de demander que des documents rédigés dans une langue étrangère fassent l’objet d'une traduction en français.
Section 1 : Informations générales concernant le groupe d’entreprises associées
Ces informations doivent permettre à l'administration d'appréhender l'environnement économique, juridique, financier et fiscal du groupe d'entreprises associées. L'entreprise faisant l'objet d'une vérification de comptabilité devra fournir à l'administration les documents suivants :
- Une description générale de l’activité déployée incluant les changements intervenus au cours de l’exercice vérifié ;
- Une description générale des structures juridiques et opérationnelles du groupe d’entreprises associées comportant une identification des entreprises associées du groupe engagées dans des transactions contrôlées ;
- Une description générale des fonctions exercées et des risques assumés par les entreprises associées, dès lors qu’ils affectent l’entreprise vérifiée ;
- Une liste des principaux actifs incorporels détenus (brevets, marques, noms commerciaux, savoir- faire...), en relation avec l’entreprise vérifiée ;
- Une description générale de la politique de prix de transfert du groupe.
Les principales entités du groupe devront être présentées. Le niveau de détail des informations relatives à chacune sera fonction, d'une part, de sa place dans l’organisation du groupe et de sa contribution à l’ensemble des activités, d'autre part, de la place que ses fonctions et ses actifs occupent dans la détermination de la politique de prix de transfert du groupe.
Section 2 : Informations spécifiques concernant l’entreprise associée faisant l’objet d’une vérification de comptabilité
Ces informations doivent permettre à l'administration d’apprécier la conformité au principe de pleine concurrence, tel que défini par les Principes directeurs de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, de la politique de prix de transfert mise en œuvre par l’entreprise vérifiée.
L'entreprise faisant l'objet d'une vérification de comptabilité doit notamment fournir les documents suivants :
- une description de l’activité déployée incluant les changements intervenus au cours de l’exercice vérifié ;
Pour les établissements de crédits et les entreprises d’investissements tels que définis respectivement aux articles L.511-1 et L.531-4 du code monétaire et financier, cette description présentera notamment les différentes lignes de métiers et lignes de produits.
- une description des opérations réalisées avec d’autres entreprises associées incluant la nature des flux et les montants, y compris les redevances ; ces éléments pourront porter sur les flux globaux par type de transaction ;
Pour les établissements de crédit et les établissements d’investissement mentionnés supra ces informations pourront être fournies par catégories d’opérations ou par lignes de produits ou de métiers, selon la structure et l’organisation propres à l’établissement de crédit ou à l’entreprise d’investissement.
- une liste des accords de répartition de coûts, une copie des accords préalables en matière de prix de transfert et des rescrits couvrant la détermination des prix de transfert, affectant les résultats de l’entreprise vérifiée ;
- une présentation de la ou des méthode(s) de détermination des prix de transfert dans le respect du principe de pleine concurrence, comportant une analyse des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés ainsi qu’une explication concernant la sélection et l’application de la ou des méthodes retenues ;
Pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement précités, la documentation produite pourra décrire les méthodes utilisées par catégories d’opérations, ou par lignes de produits ou de métiers.
- lorsque la méthode de détermination des prix de transfert retenue le requiert, une analyse des éléments de comparaison considérés comme pertinents par l’entreprise, incluant les caractéristiques des biens ou services, l’analyse fonctionnelle (fonctions exercées, actifs utilisés, risques assumés), les clauses contractuelles, les situations économiques et les stratégies spécifiques des entreprises utilisées comme comparables.
L’entreprise faisant l’objet d’une vérification de comptabilité peut produire, si elle le juge utile, tout autre document susceptible d’éclairer l’administration.
Conformément au droit de contrôle prévu par l’article L. 10 du livre des procédures fiscales, l’administration conserve la possibilité de demander à l’entreprise vérifiée des éléments complémentaires.
Section 3 : Informations complémentaires requises lorsque des transactions sont réalisées avec des entreprises associées situées dans un Etat ou territoire non coopératif
Lorsque des transactions de toute nature sont réalisées avec une ou plusieurs entreprises associées établies ou constituées dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du code général des impôts, la documentation visée à l’article L. 13 AA du livre des procédures fiscales comprend également, pour chaque entreprise bénéficiaire des transferts, une documentation complémentaire comprenant l’ensemble des documents qui sont exigés des sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés, y compris le bilan et le compte de résultats établis dans les conditions prévues par les articles 102 U et 102 V de l’annexe II du code précité.
La liste des Etats ou territoires non coopératifs, établie par arrêté conjoint des ministres chargés de l’Economie et du Budget après avis du ministre des Affaires étrangères, est mise à jour au 1er janvier de chaque année.
CHAPITRE 3 : MODALITES DE MISE EN OEUVRE
Section 1 : Une documentation fondée sur des éléments contemporains et tenue à jour
La documentation requise énumérée supra doit être tenue à la disposition de l'administration à la date d'engagement de la vérification de comptabilité générale, ponctuelle ou simple, à savoir, à la date de la première intervention sur place telle que figurant sur l'avis de vérification de comptabilité.
Sans préjudice d’ajustements de fin d’exercice, cette documentation doit être établie ou actualisée de manière à permettre aux entreprises visées à l'article L.13 AA du livre des procédures fiscales de veiller, dès le moment où elles fixent leurs prix de transfert, à ce que ces prix soient conformes au principe de pleine concurrence. Corrélativement, les études de comparables doivent privilégier les informations les plus récentes disponibles à la date de facturation des transactions. Lorsque les conditions d’exercice de l’activité demeurent inchangées, il peut néanmoins être admis que les études de comparables soient actualisées par période triennale.
Section 2: Envoi d'une mise en demeure en cas de non-respect de l'obligation documentaire
Lorsque l'entreprise vérifiée ne produit pas la documentation requise ou lorsqu'elle produit une documentation partielle, l'administration lui adresse une mise en demeure de la produire ou de la compléter dans un délai de trente jours. La mise en demeure, adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, mentionne les documents ou les compléments attendus ainsi que les sanctions applicables en cas de défaut de réponse ou de réponse partielle.
La documentation est considérée comme complète lorsqu'elle permet à l’administration d’évaluer la politique de prix de transfert de l’entreprise dans son ensemble, sans préjuger des justificatifs que l’administration est en droit d’exiger dans le cadre de la vérification de transactions spécifiques. Elle conserve donc un caractère général (en pratique, elle n’a pas vocation à excéder une cinquantaine de pages) mais doit être suffisamment précise pour permettre à l’administration d’apprécier si la politique de prix de transfert mise en œuvre par l’entreprise vérifiée est conforme au principe de pleine concurrence et aux standards de l’OCDE.
Une documentation pourra être considérée comme partielle lorsque l'entreprise vérifiée ne fournit pas l'ensemble des documents visés ci-dessus ou lorsque la documentation produite fait référence à des principes très généraux (respect du principe de pleine concurrence, recours aux méthodes reconnues par l'OCDE...) sans justifier de l’application de ces principes à l’entreprise vérifiée.
L'entreprise vérifiée peut, par une demande écrite et motivée, solliciter, en précisant la durée, une prorogation du délai de réponse qui dans tous les cas ne pourra excéder au total une durée de deux mois. Dans cette hypothèse, il incombe à l'administration d'informer l'entreprise vérifiée de la décision retenue, en lui indiquant, dans l'affirmative, la date d'expiration du délai complémentaire accordé.
Section 3: Sanctions applicables
Lorsque l'entreprise vérifiée ne produit pas la documentation requise ou produit une documentation partielle dans le délai de trente jours suivant la réception de la mise en demeure adressée par le service vérificateur, ou dans le délai régulièrement prorogé, elle est passible d'une amende prévue à l'article 1735 ter du code général des impôts. Cette amende est égale à 10.000 € ou à un montant pouvant atteindre, compte tenu de la gravité des manquements, 5 % des bénéfices transférés au sens de l'article 57 du code général des impôts, si ce montant est supérieur à 10.000 €. L’amende s’applique pour chacun des exercices couverts par la vérification de comptabilité.
La pénalité maximale est appliquée en l’absence de toute documentation ou en cas de lacunes privant la documentation de toute pertinence.
Bien entendu, un simple désaccord sur la méthode de fixation des prix de transfert la plus appropriée ne saurait motiver l’application de la pénalité prévue à l’article 1735 ter du code général des impôts.
A. VISA HIERARCHIQUE
La décision d'appliquer l'amende visée à l'article 1735 ter du code général des impôts est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur départemental qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités (art. L.80 E et R.80 E-1 du livre des procédures fiscales).
Le visa de l'agent ayant au moins le grade d'inspecteur départemental est requis non seulement sur le document initial de motivation des pénalités mais également sur tout document qui, avant la mise en recouvrement et pour quelque motif que ce soit, modifie la base légale, la qualification ou les motifs des pénalités (CE, arrêt du 6 avril 2007, n°269 402).
B. MAINTIEN DU DROIT AUX PROCEDURES AMIABLES CONVENTIONNELLES
L'amende visée à l'article 1735 ter du code général des impôts ne constitue pas une pénalité grave au sens de l'article 8-1 de la convention européenne du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées et de l'instruction 14 F-1-06 du 23 février 2006 relative aux procédures amiables (Cf. paragraphe 26 de ladite instruction). Cette amende ne prive donc pas l'entreprise de la possibilité de recourir aux procédures prévues par la convention européenne du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées et par les conventions fiscales bilatérales.
Les dispositions de l'article L.189 A du livre des procédures fiscales ne s’appliquent pas à l'amende visée à l'article 1735 ter du code général des impôts.
L’amende prévue à l'article 1735 ter du code général des impôts doit être, le cas échéant, recalculée sur la base des rectifications confirmées à l’issue des procédures amiable ou d’arbitrage. S’il y a lieu, la différence entre l’amende recouvrée et l’amende confirmée à l’issue de ces procédures fait l’objet d’un remboursement ne donnant pas lieu au décompte d’intérêts moratoires.
CHAPITRE 4 : CONFIDENTIALITE DES INFORMATIONS TRANSMISES
Le caractère confidentiel de l'information ne peut être opposé à l'administration pour faire obstacle à la communication d'un document.
Les règles relatives au secret fiscal s'appliquent aux informations transmises dans le cadre de l'obligation documentaire prévue aux articles L.13 AA et L.13 AB du livre des procédures fiscales.
CHAPITRE 5 : ENTREE EN VIGUEUR
Les dispositions des articles L.13 AA et L.13 AB du livre des procédures fiscales s'appliquent aux transactions réalisées au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010.
Ci-après le lien vers l’instruction administrative :
http://www11.minefi.gouv.fr/boi/boi2011/4fepub/textes/4a1010/4a1010.pdf