« La France est en guerre », affirmait François Hollande, président de la République, au soir des attentats du 13 novembre 2015. Ce propos mérite assurément qu’on s’y attarde.
La guerre est souvent définie comme un conflit opposant deux États. Ce n’est que lorsque les parties prenantes (les « belligérants ») ne sont pas des États qu’un qualificatif est employé : on parle alors de guerre civile ; guerre de sécession…
Ce petit point de vocabulaire s’imposait, puisqu’il me conduit à constater une contradiction entre les éléments de langage utilisés par notre diplomatie. La France, un peu ridiculement à mon sens, persiste à dire que l’État islamique (ci-après EI) est une organisation et non un véritable État. On comprend la finalité de ce discours : dénier toute légitimité à l’ennemi (comme si c’était d’une reconnaissance internationale que l’État islamique tirerait sa force…). Mais alors si l’EI n’est pas un État, pourquoi parler de guerre ?
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Et quel malheur : que de noms pour qualifier l’EI… Doit-on parler d’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), ainsi qu’il était nommé ab initio ? D’État islamique ? De Daech/Daesh (et je vous épargne les différentes prononciations qui varient d’un discours politique à l’autre)…
La rhétorique déniant à l’EI sa qualité d’État est dépassée. Un État, classiquement, désigne une population (a) gouvernée (b) occupant un territoire donné (c). Il importe peu que ses frontières soient mouvantes (c’est là le but premier de la guerre : étendre son emprise territoriale) ; que son gouvernement n’ait pas de légitimité électorale ou que les droits fondamentaux du peuple ne soient pas garantis. Les trois critères de la définition classique sont remplis. Pour cette raison, nous parlerons ici d’État islamique, sans s’encombrer de précautions superfétatoires.
L’État islamique est en guerre contre les « apostâtes » et les « croisés ». Tels sont les mots qu’il emploie, ce qui revient à dire peu ou prou qu’il s’oppose au reste du monde (Amérique ; UE ; Russie ; l’Asie ; et surtout les pays limitrophes : Syrie, Turquie…) et rêve de djihad, c’est-à-dire d’y faire triompher l’Islam. Le mot djihad n’implique pas nécessairement, au sens strict, un quelconque emploi de la force.
L’EI, dont l’emprise territoriale n’a jusqu’à présent cessé de progresser, s’étend de manière discontinue entre l’Irak et la Syrie. La ville de Racca est souvent présentée comme étant sa capitale (le terme de « sanctuaire » est également employé, pour les raisons qu’à présent, vous connaissez). Sa richesse est considérable, et provient principalement de deux ressources : le pillage (banques nationales ; œuvres d’art) et la contrebande (l’EI produit 48.000 barils de pétrole par jour, qu’il revend essentiellement à certains acheteurs turcs).
Voilà qu’est brièvement identifié « notre ennemi », pour reprendre, une fois encore, les termes du Président de la République. La lutte à son endroit a deux dimensions : une dimension interne (2) et internationale (1).
1)La dimension internationale de la guerre contre Daech
Pour lutter contre l’EI, la France n’est pas seule. Elle prend part depuis quelques mois à ce que les médias nomment « la Coalition », une union déterminée à « détruire l’EI » (pour reprendre les mots du Président américain). Au sein de celle-ci se manifestent des désaccords – pas tant sur l’hostilité qui doit être manifestée à l’endroit de l’EI, mais davantage à l’égard du régime syrien en place, présidé par Bachar el-Assad.
La France, la Grande Bretagne, les Etats-Unis (…), s’accordent sur le fait que le conflit ne peut prendre fin qu’avec le départ du président syrien, à qui ils reprochent d’avoir joué un rôle certain dans l’instabilité de sa région (le nombre de 200.000 victimes est avancé). Une ingérence est donc souhaitée afin de faire tomber le régime en place. Les États occidentaux apportent d’ailleurs leur soutien à ceux qu’ils nomment « l’armée syrienne libre », que le régime qualifie de rebelle.
La Russie, qui a également des raisons d’entrer en guerre contre l’EI (suite, par exemple, à la revendication de l’explosion d’une bombe déposée dans la soute d’un avion à destination de Saint-Pétersbourg), ne partage pas ce point de vue. Elle reproche à l’occident ses ingérences passées, qui se sont soldées par des échecs (Libye pour la France, Irak pour les Etats-Unis…), et prêche en faveur de la souveraineté du régime en place. Il n’appartient pas, selon elle, à des États étrangers de dicter à une nation souveraine la politique qu’elle doit appliquer.
Cette divergence sur le sort qui doit être réservé au régime syrien semble passer au second plan depuis les derniers attentats de Paris. La finalité première de la Coalition est de frapper l’EI – elle se fait de plus en plus pressante. La Russie et les occidentaux semblent prêts à se rapprocher.
La France vient, par ailleurs, de faire adopter par le Conseil de sécurité de l’ONU une résolution visant à demander « aux États qui en sont capables de prendre toutes les mesures nécessaires, en conformité avec les lois internationales, et en particulier avec la charte de l'ONU [...] sur le territoire contrôlé par l'EI en Syrie et en Irak ».
Le principe de la guerre étant à présent acté, reste à en définir ses modalités. La France reconnaît le caractère indispensable d’une intervention au sol ; mais refuse d’en donner l’ordre à ses troupes…
2)La dimension interne de la guerre contre Daech
Sur ce point, je ne vais pas m’attarder plus qu’il n’est nécessaire. Cette dimension interne de la guerre contre Daech prend la forme de mesures administratives et judiciaires.
Les mesures administratives (préventives) sont celles qui, classiquement, tendent à garantir la sécurité publique. Elles ne méritent pas de développement.
Les mesures judiciaires (et souvent réactives) relèvent, pour leur majorité, du droit pénal et de la procédure pénale, qui doivent évidemment être connus par tout impétrant au CRFPA, à l’ENM… Il en va surtout, naturellement, des régimes dérogatoires.
Constatons simplement que l’état d’urgence ayant été décrété, ce dualisme tend à disparaître. Ce régime d’exception, tout récemment modifié, facilite grandement les mesures administratives (théoriquement préventives)… Et l’on ne peut qu’être songeur à la vue des nombreuses perquisitions qui reçoivent cette qualification alors qu’elles devraient sûrement relever, en temps normal, des actes de police judiciaire…