Les heures de délégation
Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts[1]. Cette définition des missions du délégué syndical conditionne la conformité de l’utilisation des heures de délégation.
En pratique, les missions dévolues aux délégués syndicaux sont nombreuses (l’on peut citer les réunions syndicales, les négociations annuelles sur les salaires, l’égalité homme/femme, la capacité d’ester en justice…). C’est afin de pouvoir les exercer pleinement qu’il dispose d’heures de délégation.
Heures de délégation : minimum légal[2] en fonction du mandat et de la taille de l’entreprise.
Mandat
Effectif |
Représentant syndical au CE ou au CCE |
Représentant de la section syndicale |
Délégué syndical |
Délégué syndical central |
11 à 49 |
- |
- |
-[3] |
- |
50 à 150 |
- |
4 |
10 |
- |
151 à 499 |
- |
4 |
15 |
- |
500 à plus de 1500 |
20 |
4 |
20 |
- |
Au moins 2000[4] |
20 |
4 |
20 |
20 |
La section syndicale dispose, d’un crédit global de 10 heures par an dans les entreprises d’au moins 500 salariés (15 heures dans celles d’au moins 1 000 salariés) pour préparer les négociations de conventions ou accords d’entreprise[5].
« Le fait d'apporter une entrave à l'exercice du droit syndical, défini par les articles L. 2141-4, L. 2141-9 et L. 2141-11 à L. 2143-22, est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros »[6].
QUELQUES POINTS POUR COMPRENDRE
- Les caractéristiques des heures de délégation
- Les heures de délégation sont personnelles
En principe, les heures de délégation sont attachées à la personne qui en est titulaire sans qu’il soit possible de les attribuer à d’autres représentants. Cependant les délégués syndicaux d’un même syndicat ont la possibilité d’établir une répartition des heures de délégation, à condition de prévenir l’employeur[7].
Exception : Le délégué syndical central dispose d’un crédit d’heures qui lui est strictement personnel.
Lorsque le délégué syndical est absent, l’utilisation d’heures de délégation par le suppléant s’impute sur le crédit d’heures du titulaire.
- Les heures de délégation ne peuvent être reportées, mais peuvent se cumuler.
Le report des heures de délégation non utilisées sur le mois suivant est impossible.
Le cumul des mandats emporte cumul des heures de délégation.
Exceptions :
- Délégué syndical d’établissement / Délégué syndical central[8]
- Délégué syndical / Délégué du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés[9]
- Délégué syndical / Représentant syndical au comité d’entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés
- L’utilisation des heures de délégation
- 1. Principes généraux
- Toute heure de délégation accomplie au titre du mandat s’impute au crédit d’heures de délégation. L’utilisation doit être conforme au mandat.
- A l’épuisement de ce crédit, le délégué ou le représentant syndical peut dépasser légalement son contingent d’heures de délégation en justifiant de circonstances exceptionnelles[10]. Elles sont définies comme un « un surcroît de démarches et d'activité débordant le cadre de leurs tâches coutumières en raison, notamment, de la soudaineté de l'événement ou de l'urgence des mesures à prendre » (1).
Constitue une circonstance exceptionnelle : un projet de licenciement collectif important.
- Le titulaire des heures de délégation syndical bénéficie d’une présomption de bonne utilisation. Cette présomption ne vaut pas pour le dépassement du contingent d’heures légales ou conventionnel.
- L’absence d’autorisation préalable : Aucune autorisation n’est requise de l’employeur pour que le délégué quitte son poste de travail (2). Aucun contrôle de l’employeur ne peut être effectué a priori sur l’utilisation du crédit d’heures (3). Le fait de contrevenir à ces prescriptions est constitutif du délit d’entrave.
- L’existence d’une information préalable : Le délégué se doit d’informer son employeur lorsqu’il doit s’absenter de son poste. Aucun délai de prévenance n’est prévu par la loi.
- Une mauvaise utilisation des heures de délégation peut entraîner des sanctions. Exemple de faits ayant donné lieu à un licenciement pour faute grave :
- L’utilisation du crédit d’heures pour effectuer des travaux de bâtiment.
- L’utilisation du crédit d’heures pour aller à la chasse.
- Bons de délégation : Pratique autorisée par la jurisprudence permettant à l’employeur d’être informé de la prise des heures de délégation, et de faciliter leur comptabilisation.
- Leur mise en place nécessite une concertation avec les représentants du personnel intéressés.
- Ils ne doivent pas avoir pour objet ou pour effet de contrôler a priori, ou d’autoriser, l’utilisation d’heures de délégation (4).
- Attention : Lorsque cette procédure a été suivie, le refus d’un représentant d’utiliser les bons de délégation peut revêtir un caractère fautif de nature à justifier son licenciement (5). Des sanctions disciplinaires sont envisageables lorsque leur utilisation a été frauduleuse.
- 2. Cas atypiques
- En cas d’absence de l’entreprise, (congé(s), maladie, chômage partiel etc.), le mandat du représentant n’est pas suspendu, de sorte qu’il peut utiliser ses heures de délégation.
Quelques précisions :
- En cas de mi-temps thérapeutique : le temps de délégation ne peut réduire le temps travaillé de plus d’un tiers, et les heures de délégation doivent être prises sur le temps de travail.
- Pour les salariés à temps partiel et titulaires d’un mandat syndical : le temps de délégation ne peut réduire le temps travaillé de plus d’un tiers. Ces salariés peuvent toutefois utiliser leur crédit d’heures en dehors de leurs heures de travail.
- En cas de congés payés : les heures de délégation ne peuvent faire l’objet d’une rémunération cumulée avec l’indemnité de congés payés.
- En cas de maladie : le délégué syndical doit respecter les prescriptions de la sécurité sociale.
- Le paiement des heures de délégation
- Le temps de délégation est du travail effectif : « Les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale »[11].Par conséquent elles ne doivent entraîner aucune perte de salaire (principal et accessoire) (6).
- En cas de dépassement du temps de délégation, seule la justification decirconstances exceptionnelles permettent le paiement des heures. Ces circonstances doivent être prouvées par le(s) représentant(s) (7). Le fait de dépasser son crédit d’heures en l’absence de telles circonstances peut entrainer une retenue sur salaire (8), et amener à un licenciement (9).
- Les heures de délégation peuvent être utilisées en dehors du temps de travail (10). Si l’utilisation des heures de délégation amène le délégué syndical à dépasser sa durée de travail hebdomadaire, les heures passées doivent être rémunérées en tant qu’heures supplémentaires, à condition que ce dépassement soit justifié par l’exercice de son mandat. Pour les salariés à temps partiel, ces heures sont payées comme des heures complémentaires.
- La contestation de l’utilisation des heures de délégation
- L’employeur peut contester l’utilisation des heures de délégation. Un régime juridique distinct est à appliquer selon qu’il s’agit d’heures légales ou de dépassement.
- Heures légales : l’employeur doit payer puis contester la légitimité du crédit.
- Dépassement du contingent d’heures légales : l’employeur peut les contester en ne payant pas ces heures. Il reviendra alors au bénéficiaire du crédit de saisir le conseil des prud’hommes et de démontrer que les heures ont été utilisées conformément à la mission du délégué syndical.
- « L'employeur qui entend contester l'utilisation faite des heures de délégation saisit le juge judiciaire »[12]. Deux procédures doivent se succéder (11), sans qu’elles puissent être réunies en une seule instance (12).
- La demande d’explication : action en référé devant le juge des prud’hommes afin de demander des indications sur l’activité du délégué.
- Une fois cette action effectuée, il peut saisir à nouveau le CPH afin de demander le remboursement des heures irrégulièrement utilisées. On parle de demande de justification. L’employeur doit dans le cadre de cette action rapporter la preuve de la non-conformité de l’utilisation des heures de délégation (13).
Cette action est source de contentieux en raison de la frontière très mince qui existe entre demande d’explication et demande de justification.
ERREURS À EVITER
- Pour l’employeur
- Imputer les heures passées lors des réunions rendues obligatoires par l’employeur sur le temps de délégation. Ces heures doivent être considérées comme du temps de travail effectif[13], et ne peuvent être imputées sur le contingent d’heures du délégué syndical. Il n’en va pas de même pour les réunions préparatoires.
- Faire la distinction heures de travail et heures de délégation sur le bulletin de paie (sauf pour les heures dépassant le crédit d’heures légal). L’employeur doit joindre une fiche annexe sur laquelle figure le montant et la nature de la rémunération de l’activité de représentant du personnel[14].
- Ne pas convoquer un délégué syndical malade. Cela constitue un délit d’entrave
- Refuser de payer les heures de délégation (légales) au titre de la contestation, ou conditionner leur paiement à la fourniture d’explications. En refusant de payer, l’employeur commet une faute qui ouvre droit à des dommages-intérêts pour le représentant du personnel (14). Par ailleurs, l’employeur se rend coupable du délit d’entrave (15).
- Contester systématiquement l’utilisation du crédit d’heures sans qu’aucun grief ne puisse être retenu. Cela constitue un abus de pouvoir pour l’employeur (16), ouvrant droit à des dommages et intérêts pour le titulaire du crédit.
- Utiliser les bons de délégation dans le but de contrôler leur utilisation. L’employeur s’exposerait au délit d’entrave (17).
- Pour le délégué syndical
- Utiliser de façon inappropriée le crédit d’heures. Outre les sanctions disciplinaires auxquelles le délégué s’expose, il risque de ne pas être couvert en cas d’accident du travail.
- Mentir sur les activités exercées lors du crédit d’heures. Cela est constitutif du délit d’escroquerie.
- Invoquer l’existence de circonstances exceptionnelles de façon abusive. Plus elles sont invoquées moins elles sont valables.
CONSEILS DU JURISTE
- Conseillons à l’employeur de mettre en place des bons de délégation. Ils faciliteront la comptabilisation des heures utilisées.
- Si le délégué syndical n’a pas le devoir de se justifier quant à l’utilisation des heures de délégation, il semble raisonnable d’apporter à l’employeur des réponses à ses questions. Il ne s’agit pas de détailler toute l’activité, mais d’apporter des éléments qui pourront suffire à l’employeur. L’absence de réponse peut amener à un conflit inutile.
- Conseillons aux délégués syndicaux de garder tout élément objectif susceptible de prouver le bon usage de ses heures de délégation.
- Conseillons au délégué syndical d’informer l’employeur de son absence dans le respect de la bonne foi contractuelle. Si aucun délai n’est prévu par la loi, le juge tient compte de la nature du poste occupé et des circonstances. De sorte qu’une sanction pourrait être retenue si l’information a été effectuée trop tardivement.
POUR APPROFONDIR
- F.Barbé « Utiliser ses heures de délégation » Cahier Lamy du C.E n° 83 - Juin 2009
- J.Y Kerbourc'h « Durée du travail et heures de délégation » La Semaine Juridique Social n° 40, 30 Septembre 2008, 1511
- J.Y Kerbourc'h « Pas de perte de salaire en raison de l'utilisation d'heures de délégation »La Semaine Juridique Social n° 8, 17 Février 2009, 1086
- L.Dauxerre « Du repos compensateur de remplacement en contrepartie d'heures de délégation accomplies en dehors du temps de travail » La Semaine Juridique Social n° 43, 23 Octobre 2012
- Références jurisprudentielles présentes dans la fiche :
- Absence d’autorisation préalable :
(2) Cass.crim., 12 avril, 1988, n° 87-84.148
(3) Cass.crim., 4 février, 1986, n° 84-95.402
- Bons de délégation :
(4) Cass.crim, 25 mai 1982, n° 81-93.443
(5) Conseil d’état, 8 août 2002, n° 109749
- Utilisation des heures de délégation :
(10) Cass.soc., 25 juin 2008, n° 06-46.223
- Circonstances exceptionnelles :
(1) Cass.soc., 3 juin 1986, n° 84-94.424
(7) Cass.soc., 4 juillet 2000, n° 97-44.846
- Paiement :
(6) Cass.soc., 28 octobre. 2008, n° 07-40.524 et n° 07-42.927
- Circonstances exceptionnelles – paiement :
(8) Cass.soc., 6 décembre 1994, n°93-41.864
(9) Conseil d’état, 17 décembre 1993, n°116531
- Contestation – paiement :
(11) Cass.soc., 30 novembre, 2004, n° 03-40.434
(12) Cass.soc., 4 décembre, 1991, n° 88-44.977
(14) Cass.soc., 18 juin 1997, n° 94-43.415
(13) Cass.soc., 26 octobre, 2005, n° 03-46.091
(16) Cass.crim., 16 octobre 1990, n° 88-84.200
- Délit d’entrave :
(15) Cass.crim., 18 juin 1997, n° 94-43.415
(17) Cass.crim., 12 avril 1988, n° 87-84.148
[1] Article L.2131-1 du Code du travail
[2] Un accord peut prévoir un crédit d’heures plus important.
[3] Dans les entreprises de moins de 50 salariés, un DP élu peut être désigné DS. Cette désignation ne lui confère aucune heure de délégation supplémentaire, mais l’impose comme négociateur incontournable.
[4] Et comportant au moins deux établissements
[5] Article L2143-16 du Code du travail
[6] Article L.2146-1 du Code du travail
[7] Article L.2143-14 du Code du travail
[8] Article L.2143-15 du Code du travail
[9] Article L.2143-6 du Code du travail
[10] Article L.2143-13 du Code du travail
[11] Articles L.2142-1-3 et 2143-17 du Code du travail
[12] Article L.2142-1-3 du Code du travail
[13] Article L.2325-8 du Code du travail