"Les épreuves orales d'admission [au CRFPA] comprennent (...) un exposé de quinze minutes, après une préparation d'une heure, suivi d'un entretien de trente minutes avec le jury, sur un sujet relatif à la protection des libertés et des droits fondamentaux permettant d'apprécier les connaissances du candidat, la culture juridique, son aptitude à l'argumentation et à l'expression orale".
Arrêté du 17 octobre 2016, entrant au vigueur à compter de la session 2017
Le « grand oral » est, sans conteste, l’épreuve que les candidats au CRFPA redoutent le plus. Cette appréhension est fondée : le programme de révision est immense ; le coefficient est important ; et l’ironie veut que cette épreuve, sensée porter sur les droits fondamentaux, se trouve parfois être largement tributaire de l’arbitraire des membres du jury.
D’un IEJ (institut d’études judiciaires) à l’autre, la nature même de l’épreuve varie : il pourra ainsi s’agir d’un commentaire de texte (citation, projet de loi, article juridique) ; d’un sujet de plaidoirie (« défendez que l’avortement est / n’est pas compatible avec les droits fondamentaux ») ; ou plus prosaïquement d’un sujet de dissertation (« la théorie de la loi écran » ; « la droit à l’oubli à l’ère numérique : aspects européens » ; « les lois mémorielles »).
Pour ce qui me concerne, c’est à cette dernière catégorie que j’ai eu affaire. Ayant délibérément choisi de ne pas faire de prépa, je n’ai eu pour ainsi dire que deux occasions de me prêter à cet exercice devant un jury : l’épreuve blanche et « le jour J ».
Pour la première, le sujet qui m’a été attribué était « le suicide » ; pour la seconde, « l’imprescriptibilité de l’action publique ». Travailliste convaincu, j’ai découvert ces deux sujets en faisant la grimace. Pourtant, je m’en suis sorti honorablement, avec les notes respectives de 16/20 et 18/20. C’est donc dire que rien n’est impossible, même lorsque le sujet tombé ne correspond pas à vos attentes.
Cet article est l’occasion pour moi d’expliciter la méthode de travail que je recommande pour préparer cette épreuve – c’est à elle que je dois ma réussite au CRFPA. Mais auparavant, une modeste précaution : il n’y a pas UNE méthodologie de travail qui vaille mieux qu’une autre. C’est à chacun qu’il appartient d’une part de dédramatiser l’exercice, d’autre part de tenter d’en rationaliser les mécanismes.
- Le droit est dur, mais c’est le droit – la part « académique » du travail personnel
Réussir le grand oral implique d’avoir une approche systémique du droit. Il faut être en mesure d’en connaître l’étendue, c’est-à-dire avoir au moins la connaissance des sujets qu’il régit (ou devrait régir). Ne vous limitez pas aux seules libertés fondamentales telles qu’elles sont présentées dans les manuels, puisqu’au final, tout touche de près ou de loin aux DLF.
Cette approche systémique implique également la connaissance « formelle » du droit : il est extrêmement rare qu’un sujet particulier ne soit traité que dans un seul code. Un bon exemple peut être trouvée avec le traitement juridique de la mort. On trouvera, sur ce sujet, des dispositions dans le Code civil (respect dû aux morts), le Code général des collectivités territoriales (service funéraire), le Code pénal (prohibition des violations de sépultures)…
Il est donc nécessaire, bien avant l’examen, d’avoir une approche décloisonnée du droit. Et si je ne devais donner qu’un conseil : feuilletez vos codes ! Compilez des fiches pour chaque sujet (« le droit à la vie », « la liberté d’expression », « le respect de la vie privée »…) avec l’indication des textes et articles de référence. Le gain de temps sera immense pour le jour J. Et, pour chacune de ces sujets, hiérarchisez les normes applicables selon le modèle Kelsenien.
Chaque grand débat contemporain sous-tend une opposition entre droit(s) et liberté(s). Deux exemples simples :
- L’interdiction des fontaines de boissons sucrées en libre accès ? Assurément, elle limite la liberté du commerce (décret d’Allarde, loi le Chapelier, devenu principe à valeur constitutionnelle, mais aussi PGD…) pour assurer la protection de la santé publique (art. 11 du Préambule de la Constitution 1946 ; dispositions du CSP…).
- L’expropriation ? Elle limite le droit de propriété (art. 17 DDHC, protocole n°1 de la CEDH…) afin de faire primer une cause d’utilité publique (art. 17 DDHC in fine ; Code de l’expropriation (…)).
Le bon candidat est celui saura expliciter ces oppositions et porter un jugement (juridique !) sur l’arbitrage retenu.
Entendons-nous il n’est pas demandé aux candidats d’avoir une connaissance encyclopédique du droit. D’ailleurs, le jour de l’examen, tous les codes et recueils de textes sont autorisés, à la condition de ne pas être commentés. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il est indispensable d’avoir un solide bagage juridique. Si lors des quinze minutes de « discussion », qui tiennent parfois plus d’un interrogatoire du KGB, vous séchez sur une question simple de droit constitutionnel, de droit de la responsabilité, de droit pénal général… Il faudra peut-être repasser la case départ ! Révisez donc l’ensemble des matières qui vous ont été enseignées en Licence (les Mémentos et autres Carrés feront l’affaire), parce qu’une chose est sûre : on ne laissera pas devenir avocat quelqu’un qui ne connaît pas le sens de la légalité des délits et des peines.
Passez du temps sur les points que vous maîtrisez le moins (pour ma part, le droit des étrangers, le droit administratif…) et ceux qui ne figurent pas dans les codes autorisés. Le droit au logement, par exemple, figure dans le CCH… Qui n’existe qu’en version commentée, et qui est donc interdit. Et je ne vous ai pas parlé de la jurisprudence de l’Union européenne…
Les manuels de DLF sont légion. Je vous conseille de travailler sur plusieurs ouvrages. Je me souviens avoir travaillé sur le Cabrillac, l’Hypercours, le Précis, différents fascicules provenant de différentes prépas (merci les amis !)… Soit un total de plus de 1700 pages. Mais cela en valait la peine ! D’une part, parce que la matière est souvent plaisante à réviser tant elle permet de comprendre le monde qui nous entoure ; d’autre part parce que si cela ne vous servira pas le jour J, vous aurez au moins acquis une culture juridique extrêmement solide.
- Le droit est une dureté critiquable appliquée à une réalité complexe – la preuve de l’intelligence
L’intelligence, c’est la capacité de lier les choses entre elles (inter ligare). À l’évidence, on ne peut pas lier rien avec rien. D’où la nécessité, exposée précédemment, de maîtriser le programme de l’épreuve tel que listé par l’arrêté de 2003.
Cependant, un bon candidat au CRFPA n’est pas (qu’)un rat de bibliothèque. C’est également la personne qui démontre son « aptitude à l'argumentation et à l'expression orale ». Et c’est là véritablement le cœur de mon propos : l’étude stricte du droit ne suffit pas.
De prime abord, il est indispensable de comprendre que le droit positif n’est jamais qu’une solution simple (parce qu’unique) appliqué à une réalité complexe, et qu’en cela elle est maladroite.
Je m’explique. La volonté générale, qui guide (en principe) l’action du législateur, n’est jamais consensuelle – des voix discordantes se font toujours entendre. Pensez au mariage homosexuel, à la peine de mort, à l’accueil des réfugiés. Le bon candidat est, je pense, celui qui s’attache à comprendre les antagonismes en présence, à faire l’effort de peser la mesure de leur part de légitimité.
Prenons un exemple simple, le droit à l’avortement. Il porte atteinte au droit à la vie de l’enfant à naître ; mais permet d’assurer le droit de la femme à disposer librement de son corps. Faire ce constat, c’est éclaircir la situation de façon bien modeste. Le bon impétrant aura lui su saisir d’autres aspects de la question posée :
- Sa dimension philosophique, avec l’illustration de l'individualisme poussé (cf. la pensée de Locke…) de notre société actuelle
- Sa portée historique, avec l’évolution radicale du droit en la matière : de la prohibition à la tolérance puis la prise en charge
- Sa portée économique, avec le débat de son remboursement par la sécurité sociale
- Sa portée politique, avec la question récente de la distinction entre les avortements contraints et les « avortements de confort ».
C’est la connaissance de ces éléments « para-juridiques » qui permettra au candidat de nourrir une réflexion poussée, et qui suscitera singulièrement l’intérêt du jury. Cela implique évidemment une bonne culture générale. L’idéal est, à ce niveau, d’avoir également une solide culture classique. Vous devez parler d’inceste ? Évoquez Phèdre. De désobéissance civile ? Citez Antigone. De torture ? Pensez à Sisyphe, Tantale ou aux Danaïdes.
Les analogies seront également intéressantes. On vous parle de clonage ? Rappelez-vous d’Orphée, traversant les enfers pour tenter de sauver Eurydice. Hier comme aujourd’hui, on serait prêt à braver les interdits élémentaires pour retrouver l’être aimé.
Ce travail de mise en perspective n’est pas difficile, mais nécessite un entraînement intensif. Avec mes deux meilleurs camarades de galère, nous nous livrions à un jeu sadique : chacun attribuait aux autres un sujet de grand oral extrêmement complexe (merci Mathieu pour « l’étranger utile » !). En quinze minutes, nous devions avoir rédigé une introduction et un plan détaillé, que nous restituions à tour de rôle dans les conditions de l’examen. Quelle meilleure préparation que celle-ci ? De plus, ainsi qu’il l’a été rappelé, l’expression orale des candidats entre en jeu dans la notation. Votre jury amical aura vite fait de vous dire si vous parlez trop rapidement, avez un quelconque tic de langage, respectez ou non le temps imparti…
Pour la forme, je conseille toujours de s’inspirer de ceux que l’on trouve les plus éloquents. Idéalement, écoutez des conférences ou des discours afin de noter les effets de rythme, voire la musicalité des mots. Même involontairement, vous vous livrerez à un mimétisme salutaire. Pour ma part, mes références furent, à ce moment, Marc Bonnant et Jacques Vergès dont vous trouverez deux conférences ici : http://www2.unine.ch/centenaire/page-3641.html
Pour le reste, que puis-je recommander ? Évidemment, d’être au fait de l’actualité juridique – n’hésitez pas à vous abonner aux pages juridiques sur les réseaux sociaux (Fil Droit ; Sociajuris ; Que pour les juristes ; l’excellent Lex transatlantica…). N’oubliez pas la presse généraliste (Le Monde). Soyez incollable sur les grands thèmes actuels : l’opportunité d’une intervention en Syrie, le sort réservé à Dieudonné, l’éternelle volonté de réformer le Code du travail… Rappelez-vous toujours, en bon socratiques, que "tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien".
Cette approche systémique du grand oral est, à mon sens, la plus pertinente. Elle permettra de faire montre au jury de vos qualités de juriste (mais normalement, tous vos semblables en seront capables), mais également de citoyen éclairé et cultivé, sensible au sort du monde. Vous démontrerez, en sus de vos capacités d'analyse et votre rigueur, que vous comprenez que le droit prétend incarner le "juste", le "vrai", pour régir une société à un instant donné... Mais que ce juste ou ce vrai sont relatifs, qu'ils peuvent (et doivent) être questionnés, remis en cause. Comment, après une telle démonstration, ne pas vous laisser porter la robe ?
Addendum - Je vous rappelle que la transcription de mon grand oral est disponible ici
Addendum n°2 - Une excellente lecture, si vous désirez aller plus loin dans l'appréhension de l'épreuve : http://pascalmbongolibertesetdroits.com/Grand-oral-du-CRFPA/