Je me souviens de cette cliente qui était venue me voir : une petite femme d'un certain âge, toute mince, les traits marqués, et une grosse voix de fumeuse. Cela n'allait plus avec son mari, et elle voulait divorcer.
J'ai donc rédigé les actes nécessaires, et déposé la requête en divorce pour faute (ancienne formule, c'était avant la réforme de 2004 ; désormais la requête ne mentionne plus aucun fondement, il est choisi par la suite).
Très tôt dans le déroulement de la procédure, elle a déclaré un cancer. L'ordonnance de non conciliation passée, l'assignation en divorce délivrée, j'apprends par un appel téléphonique d'un de ses enfants qu'elle est très malade, et que les médecins ont un pronostique très réservé. Elle m'appelle aussi elle-même pour me dire qu'elle tient absolument à divorcer : son espérance de vie est limitée en temps, mais elle souhaite mourir divorcée.
La situation matrimoniale était très simple : un remariage, pas d'enfant commun, pas de biens communs, pas de dettes. Nous sommes convenus avec le Conseil de son mari, qui a respecté le souhait de son épouse, même s'il aurait sans doute préféré éviter le divorce, de faire application de l'article 248-1 du Code Civil (aujourd'hui codifié sous le numéro 245-1), qui permet, dans le cadre d'une procédure en divorce pour faute, de prononcer le divorce moyennant un accord sur les torts (partagés ou non), et une dispense de motif (prononcer le divorce sans en indiquer les raisons).
Des conclusions ont été déposées de part et d'autres sur ce fondement : des torts partagés et la dispense de motif, mais le temps pressait. Ma cliente allait mal, et les délais d'audiencement de l'époque étaient déjà calamiteux.
De nouveau alertée par les enfants de ma cliente, je faisais une démarche au Greffe, qui, « le nez dans le guidon », ne comprenait pas l'urgence de ma demande, et ne pouvait me donner une date d'audience avant au moins six mois, temps dont ma cliente ne disposait pas, plus. Je faisais donc une démarche auprès du Magistrat en charge du dossier, qui elle, toute jeune sortie de l'école, me demandait de lui justifier que ma cliente allait mourir, preuve que je me voyais difficilement rapporter, en raison du secret médical d'une part, et de l'indélicatesse de la demande à présenter à ses enfants d'autre part.
Déroutée par ces réactions, je me tournais alors vers la Juge Chef de service des affaires familiales pour lui demander son aide, et respecter le vœu de ma cliente.
La Juge n'hésita pas une seconde, pris le dossier en plus des siens, et me fixa une audience, avec l'accord de l'Avocat du mari, qui était bien évidemment au courant de la démarche, et d'accord avec celle-ci, la semaine suivante.
J'ai procédé aux formalités de transcription sur les registres d'Etat Civil dans les plus brefs délais. Et la volonté de cette petite femme toute mince, avec sa grosse voix de fumeuse, a pu être respectée. J'en sais gré à ce Magistrat.
La machine judiciaire peut apparaître parfois inhumaine, quand ses dysfonctionnements apparaissent, où quand la sanction tombe, mais elle est destinée à régler des situations humaines, et elle est rendue par des Magistrats hommes ou femmes, qui bien souvent font preuve d'humanité, ou en tout cas la comprenne ; c'est indispensable dans un domaine tel que le droit de la famille.
L'humain doit rester au centre de la Justice.