La construction du "droit à la sécurité"

Publié le 22/08/2015 Vu 12 056 fois 0
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Le droit à la sécurité, bien qu'absent des textes constitutionnels, peut-il être considéré comme un droit fondamental ?

Le droit à la sécurité, bien qu'absent des textes constitutionnels, peut-il être considéré comme un droi

La construction du

 La construction du droit à la sécurité

Le principe de sécurité a été transposé au niveau national en tant qu'outil du débat démocratique, bien de communication politique : il a mécaniquement influencé le législateur à prendre des mesures propres à en assurer l’exercice sur le terrain juridique.

§.1/ La sécurité dans le langage politique, outil de communication privilégié :

Si le principe contemporain de sécurité a toujours constitué un point de clivage entre les deux principales formations politiques françaises, la première revendiquant le monopole de l'ordre et de la fermeté en matière de sécurité, alors que la seconde insistait sur les libertés ; la question de la "sécurité" au cœur du débat politique à droite, comme à gauche, fait consensus à la fin des années 1980, période charnière ou culmine le problème de la violence en France comme ailleurs:

Dans un premier temps, se développe une approche globalisante de la "question de la ville" impliquant rénovation du bâti, développement social, insertion des jeunes et prévention de la délinquance. Néanmoins, au début des années 1990, le curseur sera progressivement mis sur la question générale de la "sécurité" en tant qu'objectif principal. A la fin des années 1990, le point d'orgue de la lutte contre l'insécurité émerge : dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre fait ainsi de la sécurité une priorité gouvernementale et officialise une nouvelle doctrine politique, en proclamant que la "sécurité" est au rang de "première des libertés", qu'elle est l'enjeu de l'égalité républicaine. Il ne s'agit plus de concilier deux impératifs caractéristiques de chacune des deux formations politiques, à savoir la sécurité pour la droite, et la liberté pour la gauche, mais bien plutôt d'affirmer que la jouissance des libertés ne peut être assurée que lorsque la sécurité est garantie.

A ce titre, le colloque de Villepinte "Des villes sûres pour des citoyens libres" marque la priorité accordée au programme politique du gouvernement de l'époque : la sécurité doit être garantie au niveau local, nécessitant que soient prises de nouvelles initiatives en la matière : dorénavant, "la sécurité [devient] l'affaire de tous, […] et ne saurait plus être l'affaire des seules forces de police ni du ministère de l'Intérieur.". Progressivement, la sécurité va constituer un bien politique et va recouvrir des catégories générales d'appréhension : le thème de l'"insécurité" va ainsi constituer une catégorie "sui generis" du débat politique contemporain, lequel aura nécessairement sa place à occuper dans le domaine de l'utilisation des technologies numériques.

§.2/ La sécurité dans le langage juridique, d’une doctrine politique au droit :

Si l'on retrouve pour la première fois la notion de "droit à la sécurité" dans le langage juridique dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, c'est dans le contexte politique des années 1990, notamment depuis la loi du 21 janvier 1995 relative à la vidéosurveillance que l'on retrouve réellement la notion juridique de "droit à la sécurité" en France. De nouvelles questions relatives au modèle de société moderne émergent alors, entre « société de surveillance » et « société de contrôle ».

§.2.1) Le droit à la sécurité : principe juridique ancré dans le droit français.

L'article premier de la loi du 21 janvier 1995 dispose que "la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives": la sécurité en tant que droit fondamental implique non seulement que l'Etat assure son exécution, mais plus encore veille, "sur l'ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics, à la protection des personnes et des biens". La sécurité constitue autant un droit personnel et, ou collectif, qu'un devoir à la charge des autorités publiques.

Par la suite, la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne va venir réaffirmer le caractère fondamental du droit à la sécurité, condition sine qua non de l'exercice des libertés individuelle et collectives, mais ajoute plus encore qu'elle est la condition de réduction des inégalités, avant que la loi du 18 mars 2003 ne supprime cette dernière mention, sans pour autant dénier le caractère fondamental de ce droit.

Il faudra attendre le 12 mars 2012 pour que soit créé le code de la sécurité intérieure, pris par ordonnance sur le fondement de la Loi d'Orientation de Performance et de Programmation pour la Sécurité Intérieure du 14 mars 2011 (LOPPSI II), pour que les trois proclamations du droit fondamental à la sécurité soit codifiées : en moins de dix ans, il n'est ainsi pas moins question de trois réaffirmations du « droit fondamental la sécurité », comme de sa codification en matière de principes généraux de sécurité intérieure.

§.2.2) La sécurité, outil de protection ou de surveillance ?

L'article 17 de la loi LOPPSI II est venu remplacer, dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot "vidéosurveillance" par le mot "vidéo-protection": la gestion de la sécurité au plan local est passée de l'existant, la vidéosurveillance comme système de constatation des infractions appelant une réaction, à l'objectif : la vidéo-protection. On parle dorénavant d'un "système d'anticipation des infractions répondant à

une logique de pro-action.[Alors qu’auparavant], l'installation des premiers dispositifs de vidéosurveillance correspondait seulement à une réponse sécuritaire sans intégrer à proprement parler de stratégie d'action(…)". Par la suite, la vidéo-protection va prendre en compte la mobilité des actes délinquants, et inscrit la politique locale non plus dans une logique de surveillance, mais bien de protection, sinon de contrôle. C'est dire que si les objets utilisés demeurent similaires (caméras de surveillance), leur logique d'utilisation conduit aujourd'hui à parler de garantie de sécurité plutôt que de sûreté des citoyens, comme elle permet enfin de persuader la population qu'il ne s'agit plus seulement de surveiller son comportement, pour mieux contrôler son action, sinon d'assurer sa protection, pour asseoir la nécessité des impératifs de sécurité.

Le fonctionnement de la sécurité sur le plan national passe donc d'un système classique de surveillance, hérité de la tradition de Bentham ou de Foucault, au système de contrôle théorisé par le philosophe Gilles Deleuze, lequel trouve en particulier matière à s'épanouir sur le terrain numérique au regard notamment des textes de lois relatifs au renseignement en cette année.

 L'émergence d'un nouveau droit fondamental ?

Bien qu'il s'agisse d'un "droit fondamental à la sécurité", cette consécration infra-législative ne semble pas conférer au droit une réelle "fondamentalité" ; cependant, certains textes juridiques invitent à s'interroger sur l'actualité du droit fondamental à la « sûreté numérique », lequel a traditionnellement valeur supra-législative.

§.1/ Quelle réalité du "droit fondamental à la sécurité" ?

Le droit à la sécurité n'est pas apparu de façon autonome, comme vu précédemment il fût accompagné du substantif "fondamental" : cependant, peut-on réellement parler d'un droit fondamental à la sécurité ?

Les droits fondamentaux ont progressivement remplacé l'expression de liberté publique dans une nouvelle logique d'approche des « droits et libertés fondamentaux » visant à homogénéiser un ensemble. L'expression « droits fondamentaux » vise aujourd'hui plus à garantir la protection de l’ensemble contre l'ingérence des autorités publiques, qu'à distinguer ceux des droits exigibles, impliquant une action des pouvoirs publics, des libertés nécessitant cette fois une abstention de ces autorités dans leur sphère d'exercice par les citoyens : dans cette logique, le « droit fondamental à la sécurité » impliquerait non seulement que les pouvoirs pu-blics ne puissent pas commettre d'ingérence dans les droits des citoyens, mais nécessiterait encore que l'Etat remplisse son devoir d'assurer le droit . On serait donc en présence d’un droit à caractère subjectif d’une part, revêtant le caractère de créance exigible par le particulier envers les pouvoirs publics, comme d’un droit à caractère objectif d’autre part, impliquant le devoir de l’Etat débiteur d’un droit envers le particulier.

Par ailleurs, si on entend par "droits fondamentaux" une protection à un niveau « supra législatif » des droits et libertés, notamment constitutionnel, le droit à la sécurité ne dispose que d'une valeur législative, bien qu'il ait été qualifié de fondamental par certains textes législatifs : c'est dire qu'il s'agit plus de la « fonda-mentalité » contextuelle d'un certain droit, que du caractère fondamental d'un droit appelant des évolutions juridiques structurelles.

D'ailleurs, le Conseil d'Etat rappelle que le droit à la sécurité n'est pas une liberté fondamentale au sens du référé-liberté dans son ordonnance du 20 juillet 2001, « Commune de Mandelieu-La-Napoule ».

Cependant, il est question aujourd’hui des profondes modifications entraîné par le numérique sur le "régime juridique de plusieurs libertés fondamentales", parmi lesquelles siègent les nouvelles garanties devant être assurée pour l'exercice de la liberté personnelle face aux nouveaux instruments du droit à la sécurité. Bien que la liberté individuelle, correspondant au droit ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire garanti par l’article 66 de la Constitution, se distingue de la liberté personnelle, proclamée par l’article 2 de la Déclara-tion des Droits de l’Homme du Citoyen de 1789, l’utilisation du numérique à des fins de protection de la sécurité peut aujourd’hui conduire à « porter atteinte à la liberté personnelle ».

Ainsi, « tandis qu’une confusion s’est installée entre la sûreté telle qu’elle figure dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et la sécurité des personnes et des biens », il est aujourd’hui encore plus complexe de déterminer si le droit à la sécurité correspond à la protection de la vie privée, ou à la sauvegarde de l’ordre public impliquant protection de l’intégrité des biens et des personnes, et sûreté de ces derniers.

§.2/ Quel avenir pour le "droit à la sûreté numérique" ?

Parallèlement, la Loi LOPPSI II du 14 mars 2011 fixait de nouveaux objectifs en matière de lutte contre la « cyber criminalité », et créait le délit d’usurpation d’identité numérique :

Avant l’entrée en vigueur de la loi, la victime de l’usurpation ne pouvait poursuivre l’auteur de l’infraction que si cette usurpation avait constitué le moyen de commettre une infraction au principal comme l’escroquerie, ou l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image. Cette nouvelle loi consacre désormais le ca-ractère autonome du délit d’usurpation de l’identité numérique, lequel devient une infraction au principal : ce délit est ainsi consommé lorsqu’il porte sur l’identité même de la victime. Par la suite, l’infraction doit avoir pour but de créer un préjudice effectif ou éventuel résultant du troublé porté à la tranquillité d’une vic-time directement lésée, ou bien à celle d’un tiers par le biais de l’usurpation d’identité d’une victime au prin-cipal, laquelle constitue alors un simple moyen de commettre l’infraction.

Le délit concerne donc deux catégories de victimes : la personne dont l’identité a été usurpée d’une part, ce qui implique que l’infracteur nuise directement à l’image de l’intéressé, à sa réputation et trouble ainsi sa tranquillité ; le tiers trompé d’autre part, ou l’infracteur va induire l’internaute en erreur et lui soutirer des informations et, ou de l’argent. L’usurpation d’identité numérique devient donc soit l’objet même de l’infraction, soit le moyen de commettre une infraction contre un tiers.

Pour parer à ces nouvelles menaces, le législateur a d’ailleurs pu prendre une année plus tard la loi relative à la protection de l’identité numérique, appelant à repenser le concept traditionnel de « sûreté » sur le terrain numérique. Aujourd'hui, s’il reste prudent de distinguer « sécurité » et « sûreté », on peut penser que le droit à la « sûreté numérique » permet d'assurer la sécurité juridique personnelle des internautes, et tend à constituer un droit fondamental à part entière, tandis que le droit à la sécurité viserait plutôt à asseoir une certaine régulation de l'activité, un cohérence d'un ensemble de droits personnels sur le terrain numérique.

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