Alors que de nombreux produits dits « de luxe » ou de « haute technologie » sont de longue date commercialisés au moyen de réseaux de distribution sélective, les véhicules automobiles avaient toujours bénéficié d'un système de distribution exclusive autorisé notamment à compter de 1984 par un premier règlement d'exemption catégorielle spécifique à ce secteur d'activité (n° 123/85 du 12 décembre 1984), puis par un second règlement (1475/95 du 28 juin 1995), expirant le 30 septembre 2002.
Dans leur grande majorité, les constructeurs, mais aussi certaines organisations de concessionnaires ont tout entrepris pour obtenir, à cette échéance, le maintien d'un système de distribution exclusive.
Toutefois, la Commission européenne, inflexible, a décidé de réformer en profondeur les structures de la distribution automobile en privilégiant la mise en place de réseaux de distribution sélective et non plus exclusive.
En effet, si l'option de l'exclusivité reste théoriquement possible, celle-ci sera en pratique marginale du fait que le système proposé ne permet plus d'interdire la vente de véhicules neufs à des revendeurs professionnels étrangers aux réseaux de distribution (suppression de la clause d'étanchéité).
Ainsi, les marques ou groupes de marques qui représentent moins de 40 % des parts de marché (V. règlement 1400/2002, considérants n° 7 et 8 et article 3) se voient-elles proposer le choix entre un système de distribution sélective purement qualitative (c'est-à-dire sans limitation du nombre de distributeurs) et un système de distribution sélective quantitative. Au-delà de 40 %, l'exemption est subordonnée à l'adoption d'un système de distribution sélective purement qualitative.
La plupart des constructeurs automobiles (Renault, PSA, Daimler Chrysler, Fiat, Toyota, BMW, Ford ...) ont décidé d'instaurer un système de distribution sélective quantitative. Les réseaux sélectionnés en vertu de ce nouveau système sont censés être finalisés et opérationnels pour le 1er octobre 2003 au plus tard, c'est-à-dire au terme de la période transitoire prévue à l'article 10 du règlement 1400/2002. A moins de six mois de cette échéance, il est permis de s'interroger (voire de s'inquiéter) sur la méthode arrêtée de façon apparemment concertée (suite à des réunions tenues début septembre 2002 par l'ACEA - Association des constructeurs européens d'automobiles), par laquelle les constructeurs entendent appliquer le règlement 1400/2002 à leurs réseaux de revendeurs.
Après avoir rappelé les principes de droit régissant le système de distribution exclusive préexistant ainsi que le nouveau système sélectif quantitatif (I), il sera intéressant d'analyser le processus de sélection mis en oeuvre par la majorité des constructeurs en vue de l'échéance du 1er octobre 2003 (II), avant de tenter de définir les causes et conséquences de cette stratégie destinée à retarder l'application effective du règlement 1400/2002 (III).
I - Principes de droit régissant la sélection des revendeurs dans le cadre d'une distribution exclusive et d'une distribution sélective quantitative
A - La sélection des distributeurs exclusifs
La distribution exclusive consistant à ne désigner en principe qu'un seul et unique distributeur bénéficiaire d'une exclusivité absolue sur un territoire déterminé aboutit à supprimer toute concurrence intra Brand sur la zone concédée. En dépit des aménagements apportés par le second règlement d'exemption CEE 1475/95 du 28 juin 1995 (possibilité d'effectuer des publicités non personnalisées à l'extérieur de la zone d'exclusivité, V. article 3 § 8 b du règlement précité), force est de constater que les distributeurs d'un même réseau n'étaient pas placés dans une situation de concurrence directe.
Le recrutement des distributeurs pour chacune des zones concédées s'opérait donc à la discrétion du concédant, sans nécessité de recourir à des critères de sélection objectifs, et essentiellement en fonction d'un élément par définition subjectif, en l'occurrence l'intuitu personae ou firmae (J.-Cl. Contrats distribution, Fasc. n° 8025, § 48). Si tout candidat se devait de respecter des « normes standards », le choix du concédant entre les différentes candidatures soumises à son agrément était donc libre et n'avait pas à être justifié (V. P. le Tourneau, La concession commerciale, Economica, p. 29 s.). De même, faute d'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les différents membres du réseau, leur exclusion n'était pas davantage soumise à un quelconque contrôle, la résiliation des contrats de concession exclusive pouvant intervenir sans motif sous réserve d'un préavis suffisant.
Ce système conférait donc une grande liberté aux concédants dans l'organisation, voire la réorganisation, de leurs réseaux, la nomination ou l'exclusion de ses membres n'étant soumise à aucune contrainte particulière et découlant de leur seul libre arbitre. Comme on le verra ci-après, cette liberté se trouve sensiblement restreinte dans l'hypothèse d'un système de distribution sélective purement qualitative ou sélective quantitative.
B - La sélection des distributeurs dans le système de distribution sélective quantitative tel qu'instauré par le règlement 1400/2002
Faute de bénéficier de la protection d'un territoire exclusif, tous les membres d'un réseau de distribution sélective sont réputés être placés en situation de concurrence directe. Le règlement 1400/2002, en privilégiant un tel système, s'est d'ailleurs fixé comme objectif, entre autres, de restaurer une concurrence objective entre représentants de la même marque « concurrence intra Brand » (V. brochure explicative du règlement 1400/2002, p. 12). Cette situation de concurrence directe impose un traitement impartial de chaque distributeur tant au moment de sa sélection au sein du réseau que lors de son éventuelle exclusion.
Ainsi, la sélection des distributeurs doit-elle être opérée en vertu de critères objectifs et la résiliation de leurs contrats doit-elle être motivée pour « empêcher un fournisseur de résilier un accord parce qu'un distributeur... (aurait eu) un comportement favorisant la concurrence... » autorisé par le présent règlement (V. règlement 1400/2002, considérant n° 9 et article 3 § 4).
La distribution sélective quantitative (encore appelée sélective qualitative et quantitative) suppose une sélection des revendeurs à partir de critères qualitatifs mais aussi quantitatifs, ces derniers limitant directement leur nombre (V. article 1er § 1 g du règlement 1400/2002 et sur le site internet Europa de la Commission européenne mémo/02/174 du 17 juillet 2002 ainsi que « the new motor véhicle block exemption regulation the current rules and the new rules explanatory slides »).
L'ensemble de ces critères, qu'ils soient qualitatifs ou quantitatifs, obéissent eux-mêmes à des conditions de validité (contrôle a priori) (1) et de mise en oeuvre (contrôle a posteriori) (2).
1 - Conditions de validité des critères de sélection « contrôle a priori »
a) Les critères qualitatifs - Les conditions de licéité de ces critères ont été définies tant par le législateur que par la jurisprudence et sont communes à tout système de distribution sélective quel que soit le secteur d'activité. Contrairement à la distribution exclusive, la sélection des distributeurs doit intervenir sur la base de critères objectifs non constitutifs de restrictions injustifiées (exemple : CA Paris, 5e ch. B, 15 sept. 1995,Parfumerie Ozone c/ Kenzo, D. 1997, Somm. p. 60, obs. D. Ferrier, et P. Arhel, La pratique des accords de distribution, p. 71 s., Editions EFE, préf. L. Vogel).
L'objectivité des critères - Les critères de sélection doivent être précis et identifiables ; par sécurité, l'écrit est donc recommandé. L'article 1 d du règlement d'exemption par catégorie des accords verticaux du 22 décembre 1999 (n° 2790/1999) définit le système de distribution sélective en se référant à des « distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis ».
Un système de distribution sélective n'est donc conforme à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi qu'à l'article 81-1 CE qu'à la condition de correspondre à des critères objectifs de caractère qualitatif relatifs à la qualification professionnelle des revendeurs, de leur personnel, de leurs installations (V. Contrats, conc., consom., hors série, février 1997, p. 122).
Justification des critères - Ceux-ci ne doivent pas aller au-delà de ce qui nécessaire à une bonne commercialisation des produits contractuels au risque, sinon, de tomber sous le coup du droit des ententes. Sont notamment prohibés :
- l'agrément de distributeurs subordonné à leur engagement à pratiquer des prix réservant une marge bénéficiaire élevée ;
- les clauses excluant les magasins discounts (CJCE 25 octobre 1983, aff. 107/82, Allgemeine Elektrizitäts-Gesellschaft), ou limitant la publicité du distributeur ;
- les clauses de verrouillage du marché excluant certaines formes de distribution (V. P. Arhel, ouvrage préc., p. 74 s.).
b) Les critères quantitatifs - Tolérée en droit interne mais prohibée en droit communautaire durant de nombreuses années, la sélection fondée sur des critères quantitatifs fait l'objet d'une jurisprudence fournie. Elle est aujourd'hui consacrée par le législateur européen dans le règlement général 2790/1999 précité ainsi que dans le nouveau règlement d'exemption du 31 juillet 2002.
Le droit interne - Les principes dégagés par la jurisprudence française consistent à valider les critères de sélection quantitatifs à condition qu'ils s'inscrivent dans une perspective de progrès technique ou économique au profit du consommateur. Les critères quantitatifs sont ainsi justifiés s'il est notamment établi que :
- le nombre excessif de points de vente rendrait trop onéreux le coût de la distribution ;
- la multiplication des points de vente dépasserait la capacité de production du fabricant (V. Actualis Affaires Droit économique, 1999, § 3269).
Dans un arrêt du 24 février 1994, la cour de Paris (5e chambre B, Patchouli c/ Boucheron) a sanctionné la société Boucheron pour avoir fait savoir à l'un de ses candidats que le nombre des distributeurs déjà agréés sur la zone géographique considérée « constituait un nombre suffisant compte tenu de ce que la densité locale était supérieure à la densité moyenne nationale », alors que, selon la cour, ce critère quantitatif n'aurait pu revêtir un caractère objectif que si le fabricant avait démontré qu'il s'imposait uniformément à partir d'un taux de densité maximum défini pour l'ensemble du marché.
A été également sanctionné un refus d'agrément fondé sur le numerus clausus qui conduisait à maintenir dans une ville de plus de 35 000 habitants un monopole générateur d'une « rente de situation » au profit d'un seul revendeur, lequel se voyait ainsi attribuer un territoire géographique exclusif, l'ouverture d'un second point de vente permettant de garantir l'instauration d'une concurrence minimum (CA Paris, 4e ch., 13 mai 1993,Duresse c/ Clinique).
Par contre, est légitime le refus d'agrément fondé sur une étude de marché déterminant le nombre de points de vente potentiels par zone considérée et démontrant que la création de nouveaux points de vente excédentaires entraînerait des surcoûts (CA Paris, 1re ch. B, 10 févr. 1995, Gift shop c/ Boucheron, D. 1997, Somm. p. 62, obs. D. Ferrier ; Cass. soc. 13 janv. 1998, pourvoi n° 95-423, arrêt n° 56, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel précité).
Le droit communautaire - Le règlement 2790/1999 du 22 décembre 1999 dit « règlement général » sur les accords verticaux introduit pour la première fois de façon explicite et officielle, aux côtés de la distribution sélective qualitative, la possibilité d'une sélection quantitative qui, par rapport à la première, « ajoute d'autres critères de sélection qui limitent plus directement le nombre potentiel de revendeurs agréés » (V. communication de la Commission CE n° 2000/C 291/01, n° 185). L'article 1er § 1g du règlement 1400/2002 du 31 juillet 2002 reprend cette définition en se référant à « des critères qui limitent directement le nombre (des distributeurs ou réparateurs) ». De tels critères peuvent opérer une limitation du nombre de distributeurs en fonction de la population du territoire ou de l'obligation de réaliser un chiffre d'affaires minimum (F. Moreau et P. Sergant, D. 2002, Chron. p. 2725).
Toutefois, il est bien évident que la mise en oeuvre de critères quantitatifs en application de l'un ou l'autre de ces règlements communautaires demeure soumise à un contrôle par les autorités de la concurrence et par les juridictions nationales ou communautaires, ce contrôle portant sur le caractère objectif et justifié desdits critères. Les principes énoncés par la jurisprudence précitée demeurent donc pleinement d'actualité.
Ainsi, statuant en application du règlement général 2790/1999, la cour d'appel de Paris a sanctionné la SA Rolex France au titre d'une clause de sélection quantitative insuffisamment précise ne garantissant pas une application objective et non discriminatoire de façon uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels. Le critère reposait en l'espèce sur « les possibilités locales de vente des produits ». La cour a reproché au fournisseur de ne justifier « d'aucune définition objective des zones de chalandise, ni des méthodes adoptées pour respecter l'antériorité des demandes », les distributeurs potentiels ne pouvant « de ce fait apprécier la portée du critère imposé » (5e ch. B, 9 nov. 2000, SA Marley c/ SA Rolex France).
Par conséquent, les producteurs pourront donc désormais recourir à la distribution sélective quantitative, mais « la porte entrouverte demeure étroite ; la licéité des critères dépendra de leur précision et de leur objectivité... il faudra donc déterminer des zones de chalandise et se fonder sur des indices de richesse vive précis avant d'écarter tout candidat sur le fondement d'une sélection quantitative » (C. Vilmart, Gaz. Pal., 27-28 juin 2001, p. 1027 à 1036).
2 - Conditions d'application des critères, « contrôle a posteriori »
Qu'il s'agisse des critères qualitatifs ou quantitatifs de sélection, ceux-ci doivent non seulement, comme on l'a vu, être précis et justifiés, mais surtout, leur mise en oeuvre doit être impartiale et non discriminatoire comme n'ont pas manqué de le réaffirmer constamment la jurisprudence et la doctrine précitées.
A titre d'exemple, la cour d'appel de Versailles rappelle que : « le fabricant est tenu, dans la mise en oeuvre de ses critères de sélection... de ne pas adopter d'attitudes discriminatoires... ses critères... doivent être exigés, sur l'ensemble du territoire, de tous les points de vente demandeurs à l'agrément... une part irréductible de subjectivité (étant cependant admise) dans le processus d'appréciation des qualités présentées au fabricant » (20 déc. 1995, Clarins, Dalloz Affaires 1996, p. 233). Il s'ensuit que, si le choix des distributeurs est arbitraire, le réseau devra être condamné.
En toute circonstance, le fournisseur doit faire connaître les motifs concrets du refus d'agrément (V. Cass. com. 23 févr. 1993, Contrats, conc., consom. 1993, comm. n° 88, obs. L. Vogel). C'est pourquoi, la plupart des réseaux de distribution sélective adoptent une procédure transparente et uniforme d'agrément (V. J.-Cl. Contrats Distribution, Fasc. 1020, § 28). Cette procédure comprend différentes étapes successives telles que par exemple :
- le dépôt de candidature, la réponse du fournisseur qui adresse un dossier de candidature mentionnant les critères de sélection ;
- l'examen par le fournisseur des informations fournies par le candidat sur sa capacité à satisfaire les critères qualitatifs ;
- l'examen final de la candidature par un conseil d'agrément qui décide alors d'agréer, d'ajourner ou de refuser le candidat.
Dans l'hypothèse d'un numerus clausus, il doit être proposé au candidat de figurer sur une liste d'attente définie objectivement (V. également Le principe de non-discrimination : l'application objective des critères de sélection dans l'examen des candidatures, Lamy Droit économique 2003, § 4594).
Il convient maintenant d'examiner si les constructeurs automobiles respectent ou ont respecté les principes de droit intangibles sus-énoncés pour sélectionner qualitativement et quantitativement les candidats qui constitueront leur(s) réseau(x) de distribution à l'échéance prochaine du 1er octobre 2003.
II - Le processus de sélection mis en place par les constructeurs automobiles dans le cadre de l'application du règlement d'exemption du 31 juillet 2002
Selon toute logique, il était permis de penser que les constructeurs automobiles qui ont opté pour un système de distribution sélective qualitative et quantitative (la majorité d'entre eux) :
- définiraient en premier lieu leurs critères de sélection qualitatifs et quantitatifs en s'attachant à leur conférer un caractère objectif, précis, et justifiés au moyen d'un écrit opposable à tout candidat potentiel ;
- effectueraient un appel à candidatures en tenant à la disposition de tous les candidats les critères de sélection ;
- sélectionneraient dans la limite d'un numerus clausus défini et objectivement justifié toutes les candidatures reçues en les soumettant éventuellement à un conseil d'agrément ;
- agréeraient les meilleures candidatures dans la limite des places disponibles en établissant, le cas échéant, une liste d'attente pour les candidats satisfaisant aux critères qualitatifs, mais évincés en raison de la limitation du nombre de distributeurs.
Force est cependant de constater qu'aucun constructeur n'a suivi un tel processus, la plupart d'entre eux préférant, suite aux réunions de concertation organisées dans le cadre de l'ACEA au début du mois de septembre 2002, agir selon un schéma quasi identique mais pour le moins inédit en matière de distribution sélective.
1°) Le 13 septembre 2002 la société automobiles Citroën a adressé une lettre recommandée avec AR à chacun de ses distributeurs exclusifs les informant qu'elle avait opté pour l'instauration d'un système de distribution sélective en vue de l'application du nouveau règlement à compter du 1er octobre 2003. Le concédant proposait d'embléeà chaque destinataire de son courrier de « substituer à votre contrat actuel trois contrats, à savoir, un contrat distribution VN, un contrat de distributeur officiel de pièces de rechange et un contrat de service après-vente ».
Il était précisé que chaque contrat contiendrait des critères de sélection « correspondant aux standards actuellement en vigueur, et qui devront être en permanence respectés... et qui conditionneront le maintien du contrat considéré... ». Le concédant notifiait parallèlement la résiliation du contrat en cours avec un préavis d'un an en application de la procédure extraordinaire de résiliation pour cause de nécessité de réorganiser la totalité ou une partie substantielle du réseau prévue par l'article 5 § 3 du règlement 1475/95 du 28 juin 1995. Le concessionnaire devait accepter au plus tard le 30 novembre 2002 les propositions de contrat en les retournant signées à cette date, tout défaut de réponse dans le délai ou toute réserve valant refus.
2°) Le 16 septembre 2002 la société Daimler Chrysler France a adressé une lettre recommandée avec AR à tous ses réseaux (Chrysler, Mercedes, Mitsubishi, etc.) par laquelle elle résiliait avec préavis d'un an les contrats en cours en se référant aux « profonds changements du cadre juridique de la distribution automobile » impliquant « une restructuration globale du réseau », ces profonds changements (rendant) d'autant plus nécessaires la poursuite et la finalisation des regroupements et réorganisations en cours.
Daimler Chrysler France proposait selon l'identité du destinataire de ses courriers :
- soit un seul contrat service (réparateur agréé) pour les concessionnaires auxquels elle avait péremptoirement décidé de ne plus confier d'activités de distribution de véhicules neufs et de pièces de rechange ;
- ou deux contrats, l'un portant sur la distribution VN et l'autre sur le service après-vente.
Les propositions de contrat devaient être retournées signées au plus tard le 30 septembre, les contrats étant subordonnés au respect des critères de sélection qualitatifs (non pas au moment de la sélection du distributeur, mais seulement à compter du 1er octobre 2003).
3°) Le 20 septembre 2002 la société Renault SA a adressé une lettre recommandée avec AR à son réseau pour l'informer :
- de la nécessité, au regard du nouveau règlement, de procéder à une réorganisation commerciale et juridique ;
- de la résiliation avec préavis d'un an à échéance du 30 septembre 2003 des contrats en cours.
Le constructeur précisait en outre : « ... indépendamment de ces contraintes d'ordre législatif, Renault entend poursuivre sa coopération avec son réseau... Nous vous proposons de vous présenter, au plus tard le 30 septembre 2003, le contrat ayant fait l'objet d'un accord avec le GCRE (Groupement des concessionnaires Renault européen) et votre Groupement, ainsi que les annexes essentielles relatives aux critères de sélection, de même que la procédure à suivre en vue de la conclusion individuelle des nouveaux contrats ».
Renault concluait en précisant que les contrats seraient établis « suivant les règles de la distribution sélective qualitative et quantitative... en matière de vente VN » et suivant celles de la distribution sélective qualitative pour l'après-vente.
4°) Le 23 septembre 2002, la société Groupe Volkswagen France a adressé elle aussi une lettre recommandée avec AR à ses réseaux (Volkswagen, Audi, Seat, Skoda) par laquelle elle prétendait vouloir « renforcer les bases économiques des entreprises de (son) réseau ».
Elle rappelait :
- avoir résilié comme ses prédécesseurs les contrats en cours en application de l'article 5 § 3 du règlement 1475/95 à effet du 30 septembre 2003 par un courrier parallèle lui aussi daté du 23 septembre 2002 ;
- avoir opté pour le système de distribution sélective qualitative et quantitative concernant les véhicules neufs, d'après lequel tous les concessionnaires devront remplir des critères qualitatifs au 1er octobre 2003, annonçant que « le nombre de concessionnaires au niveau national sera limité par le constructeur » ;
- avoir opté en matière de service après-vente pour le système de distribution sélective purement qualitative.
Groupe Volkswagen France ponctuait son courrier en s'engageant à faire parvenir à ses distributeurs son « offre contractuelle définitive... avant la fin de l'année », tout en précisant que « dès aujourd'hui, nous souhaitons nous engager à vous soumettre une telle offre contractuelle. Nous nous félicitons de pouvoir continuer notre collaboration avec vous et vous prions de bien vouloir nous confirmer votre accord sur le principe de continuer notre relation contractuelle... ».
5°) Le 26 septembre 2002, la Société Fiat Auto France (réseaux Fiat, Lancia et Alfa Romeo) a adressé une lettre recommandée avec AR à chacun de ses concessionnaires en annonçant que l'entrée en vigueur du nouveau règlement 1400/2002 entraînait une nécessité de « réorganiser tout ou partie de notre réseau de distribution ». Fiat Auto France résiliait elle aussi le contrat de chacun de ses concessionnaires moyennant le respect d'un préavis d'un an en application de la procédure extraordinaire de résiliation pour cause de restructuration du réseau à effet du 30 septembre 2003.
Toutefois, Fiat Auto France ajoutait : « Nous avons le plaisir de vous informer que nous sommes en mesure de porter la période de préavis susmentionnée de un an à deux ans, sous réserve que vous nous confirmiez par écrit, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la présente lettre votre acceptation sur ce qui suit :
« (a) A compter du 1er octobre 2003, le contrat sera remanié, interprété et adapté aux nouvelles dispositions du règlement, conformément à notre choix de mettre en place un système de distribution sélective. A partir de cette date, toutes clauses insérées au contrat et qui ne seront pas compatibles avec le nouveau règlement deviendront caduques et dans tous les cas seront nulles et non avenues.
« (b) A compter du 1er octobre 2003, nous serons contraints de modifier les aspects économiques et opérationnels, et ce en application des dispositions du nouveau règlement et de la politique générale de nos marques en résultant ».
Fiat Auto France concluait son courrier en confirmant que : « la résiliation sera ainsi effective à l'expiration de deux ans à compter de la date de réception de la première présentation de la présente et au plus tard le 30 septembre 2004 ».
6°) Le 27 septembre 2002, la Société Automobiles Peugeot a adressé à son réseau de concessionnaires une lettre recommandée avec AR par laquelle elle notifiait la résiliation des contrats en cours à effet du 1er septembre 2003 conformément à la procédure prévue à l'article 5 § 3 du règlement 1475/95.
Automobiles Peugeot annonçait la mise en place :
- d'un système de distribution sélective, qualitative et quantitative pour la distribution des véhicules neufs ;
- d'un système de distribution sélective, qualitative et quantitative pour la distribution des pièces de rechange ;
- d'un système de distribution sélective, qualitative pour la distribution des services après-vente.
En fonction de l'identité du destinataire de ses courriers, et de façon apparemment injustifiée, la Société Automobiles Peugeot écrivait : - Dans le cadre de cette réorganisation, nous vous proposons d'exercer les activités suivantes à compter du 1er octobre 2003 : pour le site X : soit réparateur agréé (uniquement) pour environ quinze concessions du réseau ; soit réparateur agréé, distributeur VN, distributeur pièces de rechange pour le reste du réseau. Il s'ensuit que, en fonction de l'identité du concessionnaire, celui-ci se voyait soit reconduit dans l'intégralité de ses activités, soit exclu du réseau Automobiles Peugeot pour ce qui concerne la distribution des véhicules neufs et des pièces de rechange, ce qui a été le cas initialement pour les distributeurs évincés précités.
Cependant, dans un second temps, la société Automobiles Peugeot serait revenue sur certaines de ses décisions en reconduisant des concessionnaires qui ne s'étaient vu proposer initialement qu'un seul contrat de réparateur agréé, c'est-à-dire en s'engageant à leur présenter les trois contrats : distribution Véhicules neufs, distribution pièces de rechange et réparation agréée. Par la même correspondance, la société Automobiles Peugeot communiquait à chacun de ses distributeurs, en fonction du ou des contrats proposés, les critères de sélection retenus et les textes types des contrats « préparés en concertation avec vos associations nationales et européennes qui représentent la majorité d'entre vous ».
Automobiles Peugeot sollicitait une acceptation sur ses propositions de contrat pour le 15 décembre 2002 au plus tard en apportant les mêmes restrictions quant à cette acceptation que la société Automobiles Citroën. Automobiles Peugeot faisait savoir aux concessionnaires souhaitant poursuivre leurs relations contractuelles qu' : « il vous reviendra de prendre vos dispositions pour que votre entreprise réponde... au plus tard le 30 septembre 2003, aux catégories de critères de sélection ci-annexés correspondant aux activités proposées. Nous ferons le point avec vous sur la réalisation de ces critères le 30 juin 2003 au plus tard ».
Une fois les critères vérifiés, Automobiles Peugeot s'engageait à soumettre les contrats proposés à la signature de ses distributeurs.
7°) Le même 27 septembre 2002, la société Nissan France adressait une lettre à son réseau par laquelle elle résiliait les contrats en cours à effet du 30 septembre 2003 tout en spécifiant : « néanmoins nous entendons vous présenter un nouveau contrat de concession. Le nouveau contrat sera établi suivant les règles de la distribution sélective, qualitative et quantitative prévues par le nouveau règlement en matière de véhicules neufs. En ce qui concerne l'après-vente, il suivra les règles de la distribution sélective qualitative ».
Comme sa grande soeur, la société Renault France SA, Nissan France SA s'engageait à présenter un contrat de concession conforme au nouveau règlement « au plus tard le 30 septembre 2003 », la signature de ce nouveau contrat impliquant « l'atteinte des critères de sélectivité prévus dans le cadre du nouveau système ».
La plupart des autres marques ont procédé de façon identique si bien qu'il est permis de dégager l'épine dorsale commune à l'ensemble des constructeurs automobiles du processus qu'ils ont décidé de mettre en oeuvre dans la perspective de l'entrée en vigueur du règlement 1400/2002 à compter du 1er octobre 2003.
A quelques mois de l'entrée en vigueur effective et généralisée du règlement 1400/2002 du 31 juillet 2002, l'analyse de ce processus de sélection suscite pour le moins interrogations (A) et critiques (B).
A - Les interrogations
Première question : comment les constructeurs peuvent-ils opérer arbitrairement, sans se référer à aucun critère objectif, une présélection de tout ou partie de leur(s) réseau(x) préexistant(s) en décidant ou non de proposer « à la tête du client » un, deux ou trois contrats ou promesses de contrat, acceptant ou refusant d'emblée de leur donner un agrément de principe, fût-il conditionnel ?
Deuxième question : pourquoi les constructeurs prennent-ils l'initiative de solliciter directement la seule candidature de certains de leurs anciens distributeurs au lieu d'agir dans un ordre plus logique des choses en procédant de façon ouvertement transparente à un appel officiel à candidatures ainsi qu'en plaçant sur un pied d'égalité tous les candidats, qu'ils soient internes ou externes au réseau en place ?
Troisième question : pourquoi les critères qualitatifs et quantitatifs ne sont-ils toujours pas édités officiellement, accessibles et contrôlables par tous ceux qui y auraient intérêt et cela alors même que certains constructeurs se permettent d'ores et déjà d'opposer sans l'ombre d'une justification des refus de communication de leurs critères de sélection, voire des refus d'agrément à des candidats extérieurs au réseau ou à des concessionnaires performants en arguant d'une prétendue saturation d'un numerus clausus pas même encore défini ?
Quatrième question : comment les constructeurs vont-ils pouvoir revendiquer, dans de telles conditions, le bénéfice d'une exemption catégorielle au titre d'un système licite de distribution sélective, qualitative et quantitative ?
Cinquième question : comment pourront-ils justifier de la présence dans leurs réseaux au 1er octobre 2003 d'anciens concessionnaires dont la résiliation aura été notifiée durant la période d'application du règlement 1475/95 et dont le préavis n'expirera que sous l'empire du nouveau règlement 1400/2002 (V. par exemple la proposition de résiliation à deux ans à effet du 30 septembre 2004 formulée par Fiat Auto France) ?
Comment exiger des concessionnaires en cours de résiliation la réalisation des investissements nécessaires au respect des nouveaux critères qualitatifs ?
Ne devront-ils pas faire l'objet d'une nouvelle résiliation conforme au règlement 1400/2002 et notamment assortie d'une motivation précise et transparente ?
B - Les critiques
Première critique : la présélection organisée par les constructeurs dans leur lettre type du mois de septembre 2002 passant par l'agrément de principe, même conditionnel, de tout ou partie du réseau préexistant constitue :
- une sélection illicite reposant sur la seule base d'un intuitu personae ou firmae hérité de la distribution exclusive (en cours d'abolition), et non sur des critères objectifs et justifiés ; une telle sélection, discriminatoire dans sa mise en oeuvre, contrevient gravement à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et à l'article 81 § 1 CE ;
- une pratique concertée favorisant indûment les distributeurs en place et faisant obstacle à l'arrivée libre et spontanée de nouveaux entrants.
Deuxième critique : les critères qualitatifs et quantitatifs qui vont être définis, pour tous les réseaux, postérieurement à cette présélection, ne sont en réalité destinés qu'à valider celle-ci a posteriori, puis à être opposés au moment venu comme un véritable filtre à l'arrivée de nouveaux entrants.
A l'évidence, et comme la société Daimler Chrysler France le reconnaît explicitement dans son courrier précité du 16 septembre 2002, le processus mis en place par les constructeurs vise à maintenir le réseau préexistant et à finaliser les politiques de concentration engagées il y a maintenant quelques années dans la perspective du maintien et d'une extrapolation des exclusivités territoriales.
En effet, la politique de plaques ne constitue, ni plus ni moins, qu'un renforcement substantiel des exclusivités territoriales concédées. La meilleure preuve en est que le patron de Daimler Chrysler France, Reinhard Lhys, a récemment déclaré que Daimler Chrysler France avait pris de l'avance sur ses concurrents, se disant satisfait de sa politique de plaques : « le nombre de nos partenaires a diminué mais les liens qui régissent nos rapports commerciaux ont été renforcés sur l'ensemble de nos marques » (V. Auto Infos, n° 1166, 14 févr. 2003 : « Un réseau déjà restructuré »).
Troisième critique : dans ces conditions, il est permis de se demander si, en maintenant des exclusivités de fait, et en entravant la mise en oeuvre d'une concurrence intra Brand effective ainsi que l'avènement d'un véritable multimarquisme, le système mis en place pourra bénéficier d'une exemption catégorielle au titre d'un système de distribution sélective quantitative, ou s'il devra être requalifié en système de distribution exclusive avec les conséquences qu'y attachent le nouveau règlement 1400/2002, à savoir la suppression de la clause d'étanchéité et la possibilité pour tout revendeur professionnel de s'approvisionner en véhicules neufs auprès du réseau officiel.
Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les constructeurs ont décidé d'agir comme si, en fait, le règlement 1400/2002 ne modifiait en aucun cas les structures du droit de la concurrence dans le secteur de la distribution automobile, protégeant leurs réseaux préexistants et entravant l'arrivée de nouveaux entrants qui n'ont pas même un libre accès aux critères sélectifs.
Il est temps pour les autorités de la concurrence comme pour tous ceux qui sont victimes d'une telle stratégie de réagir au plus vite pour infléchir le cours des choses durant le laps de temps restant à courir avant l'échéance du 1er octobre 2003. Quoi qu'il en soit, les causes et les conséquences d'un tel dérapage aussi concerté que contrôlé méritent d'être mises en évidence.
III - Causes et conséquences du non-respect par les constructeurs des règles présidant à la constitution de tout réseau de distribution sélective qualitative ou quantitative
A - Les causes
Loin d'avoir anticipé l'évolution réglementaire consacrée par le règlement 1400/2002 et le passage d'un système de distribution exclusive à la généralisation d'un système de distribution sélective qualitative et/ou quantitative, les constructeurs aidés en cela par certaines organisations de concessionnaires avaient parié de longue date sur le maintien d'un système de distribution exclusive à l'échéance du règlement 1475/95. Ce pari était d'autant plus intéressé que, depuis 1997/1998, la plupart des marques automobiles avaient tablé sur le maintien d'un tel système pour procéder à d'importantes restructurations de leur réseau de concessionnaires.
Qu'il s'agisse de la société Daimler Chrysler France, de la société Automobiles Peugeot, de la société Renault ou de l'ensemble des marques, toutes ont souhaité compenser la baisse des marges commerciales et de la rentabilité de l'activité de distribution de véhicules neufs par une augmentation du potentiel de vente accordé à chaque distributeur. C'est pourquoi, les constructeurs se sont engagés dans des politiques de forte concentration de leur réseau en mettant en place des ensembles appelés « plaques » constituées d'un distributeur qui, outre son territoire exclusif initial, s'est vu attribuer les territoires d'un, deux ou de trois distributeurs limitrophes, la plupart du temps après avoir racheté leur affaire.
Cette concentration traduisait, ipso facto, une extrapolation du principe de l'exclusivité territoriale puisque la zone concédée à chaque distributeur « survivant » était substantiellement agrandie par rapport à son territoire d'origine. Si les réseaux sont quasiment tous restructurés, la plupart des regroupements demeurent récents et sont intervenus dans des conditions de temps et de gestion souvent périlleuses.
Ces « grands investisseurs » n'ont souvent pas même commencé à amortir leurs acquisitions dont la rentabilisation n'est censée intervenir que dans plusieurs années et ne repose que sur le maintien, au cours de cette période, de leur position exclusive et non concurrencée sur leur zone.
La Commission européenne est certes venue gravement contrarier les plans des constructeurs et les politiques de concentration en abolissant purement et simplement la distribution exclusive ou, en la vidant de sa substance, en retirant, pour ceux qui opteraient pour ce système, toute possibilité d'opposer une clause d'étanchéité aux revendeurs professionnels extérieurs au réseau. Devant un tel dilemme, les constructeurs n'avaient que très peu de solutions à leur disposition ; en réalité, ils en avaient deux :
Première solution : expliquer aux distributeurs qui constituent aujourd'hui l'ossature de leur réseau et qui ont consenti de très lourds investissements non amortis que, finalement, après avoir perdu leur pari du maintien d'un système de distribution exclusive lors du renouvellement du règlement d'exemption, ils se voient aujourd'hui contraints de désigner un ou plusieurs distributeurs sur leur zone de chalandise pour respecter à la lettre les exigences inhérentes à tout système de distribution sélective quantitative.
Cette première solution, qui aurait eu l'avantage de la franchise, n'aurait pas manqué de susciter de vives et légitimes réactions de la part des concessionnaires « têtes de plaque » en raison de l'importance de l'endettement consenti pour réaliser les investissements imposés par leur concédant. Le risque de contentieux judiciaires aurait pu s'avérer lourd de conséquences, sans compter l'ampleur des perturbations commerciales susceptibles de découler d'un conflit collectif entre le concédant et son réseau. En outre, en respectant à la lettre une procédure de sélection objective, et eu égard aux efforts déjà accomplis dans le cadre de la constitution de leur plaque, il n'est pas certain que les concessionnaires subsistant aient disposé des moyens financiers nécessaires pour remplir scrupuleusement sur chacun de leurs sites tous les critères de sélection qualitatifs requis.
Deuxième solution : les constructeurs n'ont donc eu d'autre choix que de se concerter, au début du mois de septembre 2002, pour adopter de façon conjointe et solidaire une attitude destinée principalement à gagner du temps et à permettre de maintenir, aussi longtemps qu'ils le pourront, une situation d'exclusivité de fait au sein de leur réseau afin que les concessionnaires titulaires de plaques puissent tout au moins amortir à défaut de rentabiliser leurs investissements.
Ceci explique la mise en place de cette curieuse application du règlement 1400/2002 du 31 juillet 2002 telle qu'elle se profile à moins de six mois de l'échéance du 1er octobre 2003. De deux choses l'une, soit les autorités de la concurrence et en premier lieu de la Commission européenne puis les distributeurs indûment victimes de refus d'agrément abusifs sauront réagir de façon suffisamment rapide et efficace pour enrayer le processus mis en place, soit le règlement d'exemption 1400/2002 n'aura strictement aucune chance d'atteindre les objectifs que la Commission lui a fixés.
Il s'agit désormais davantage d'une question de volonté que de moyens puisque l'appareil législatif permet d'apporter les sanctions adéquates à de tels agissements qui pourraient ne pas rester sans conséquences.
B - Les conséquences du non-respect des règles inhérentes à l'instauration d'un système de distribution sélective quantitative
L'instauration d'un système de distribution sélective quantitative ne respectant pas les règles précédemment exposées est sanctionnable tant au regard des pratiques anticoncurrentielles (article 81 du traité CE et article L. 420-1 du code de commerce - ancien article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) que des pratiques restrictives de concurrence (pratiques discriminatoires, article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce - ancien article 36-1 de l'ordonnance de 1986 - et du refus de communication des conditions de vente, article L. 441-6 du code de commerce - ancien article 33 de l'ordonnance de 1986).
1 - Sur les pratiques anticoncurrentielles
Les accords verticaux de distribution conclus entre un producteur et ses distributeurs entrent dans le champ d'application des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE prohibant les ententes. En effet, l'agrément par un fabricant de ses distributeurs se fondant sur l'acceptation expresse ou tacite de la part de ces derniers de la politique commerciale poursuivie par le fabricant constitue un acte bilatéral de nature contractuelle au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce et de l'article 81 du traité CE.
Dès lors que le caractère anticoncurrentiel d'un système de distribution sélective est reconnu, il constitue une entente interdite par l'article L. 420-1 du code de commerce et l'article 81-1 du traité CEE, sauf à démontrer que ces pratiques ont pour effet d'assurer un progrès économique (article L. 420-4 du code de commerce - ancien article 10 de l'ordonnance de 1986 - et article 81-3 du traité CEE).
Sanctions en droit français - En cas d'entente interdite, le Conseil de la concurrence peut, en application de l'article L. 464-2 du code de commerce (ancien article 13 de l'ordonnance de 1986), prononcer trois types de mesures :
- des mesures conservatoires ;
- des injonctions permettant aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières ;
- des sanctions pécuniaires dont le montant maximum est pour une entreprise de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial HT.
Le Conseil de la concurrence peut en outre ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise. Il peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport annuel de l'entreprise condamnée.
Les victimes des pratiques anticoncurrentielles peuvent en outre sur le fondement de l'article L. 420-3 du code de commerce solliciter la nullité des conventions ou clauses contractuelles se rapportant à une pratique prohibée. Elles peuvent également solliciter le versement de dommages et intérêts.
Sanctions en droit communautaire - La Commission européenne peut prononcer deux types de mesures :
- des amendes qui peuvent atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial ;
- des injonctions, le cas échéant sous astreinte, afin de mettre fin aux infractions aux dispositions de l'article 81 du Traité CE.
Sur le plan civil, les victimes de pratiques anticoncurrentielles peuvent comme en droit interne solliciter la nullité des conventions ou clauses contractuelles se rapportant à une pratique prohibée (article 81-2 du traité CE) et demander des dommages et intérêts.
2 - Sur les pratiques restrictives
Outre la réglementation relative aux pratiques anticoncurrentielles, le droit français permet également de sanctionner les discriminations, même si elles ne résultent pas d'une entente ou d'un abus de position dominante. Le droit français contraint par ailleurs chaque fabricant à communiquer ses conditions de vente.
Pratiques discriminatoires - L'article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce dispose que : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : 1° De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de ventes ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ».
Il est de jurisprudence constante qu'un fabricant se rend coupable de pratiques discriminatoires lorsqu'un fournisseur refuse sans motif valable d'agréer un revendeur qui répond aux critères quantitatifs et/ou qualitatifs (CA Paris, aud. sol., 1re ch. G, 22 sept. 1999, Sté Gephav c/ Sté Biotherm D. 2001, Somm. p. 300, obs. D. Ferrier ; 26 juin 1996, Dalloz Affaires 1996, p. 1155).
Les pratiques commerciales discriminatoires interdites ayant été dépénalisées, elles engagent néanmoins la responsabilité de leur auteur sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Les victimes de pratiques discriminatoires peuvent donc, soit obtenir la condamnation du fabricant à leur payer des dommages et intérêts, soit, le cas échéant, obtenir leur agrément sous astreinte (V. CA Paris, aud. sol., 22 sept. 1999, préc.).
Par ailleurs, depuis la loi NRE du 15 mai 2001, l'article L. 442-6, III, 2°, du code de commerce permet au ministre de l'Economie et au ministère public de demander à la juridiction saisie d'ordonner :
- la cessation de pratiques discriminatoires ;
- la répétition de l'indu ;
- le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d'euros ;
- la réparation du préjudice subi.
Obligations de communication des conditions de vente - L'article L. 441-6 prévoit que : « Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente. Celles-ci comprennent les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et ristournes ».
Le non-respect de cette exigence est pénalement sanctionné par une amende de 15 000 euros, celle-ci pouvant être portée à 75 000 euros lorsque les personnes morales sont déclarées pénalement responsables. En cas de refus de communication des critères sélectifs qui sont susceptibles d'être assimilés à des conditions de vente, ceux-ci peuvent être sollicités et obtenus devant le juge des référés sous astreinte (Cass. com. 27 févr. 1990, D. 1990, Jur. p. 521, note Malaurie ; 8 oct. 1991, La Lettre de la Distribution, décembre 1991).
Source : Recueil Dalloz 2003 (Renaud Bertin)
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