Atlantico : Au mois de février, le gouvernement enterrait le projet de loi famille dans lequel il était question de l'ouverture de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et de la reconnaissance des enfants nés d'une gestion pour autrui à l'étranger. Mardi 8 avril, un rapport commandé au mois d'octobre 2013 par l'ancienne secrétaire de la famille a été rendu public (voir ici). Ces propositions sont-elles différentes de celles qui constituaient le projet de loi sur la famille ?
Caroline Yadan Pesah : Oui, c’est bien sûr une nouveauté pour les couples qui ont recours à la PMA et à la GPA, car la loi du 17 mai 2013 n’a, à aucun moment, ni interdit ni légalisé le recours à ces modes de procréation.
Si les époux du même sexe n’accèdent pas à l’adoption pour une raison ou pour une autre, ils ne sont, en l’état du droit actuel, pas admis non plus à recourir à une assistance médicale à la procréation ou à une gestation pour autrui.
Avec la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes du même sexe, le droit de l’adoption a été repensé et "l’homoparenté" a été consacrée. En effet, en permettant aux couples de personnes de même sexe de se marier, la loi leur ouvre donc nécessairement l’accès à l’adoption.
A cet égard, le législateur a souhaité une égalité de traitement de tous les époux traduite dans le nouvel article 6-1 du Code Civil :
"Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations (…) que les époux soient de sexe différent ou de même sexe".
Cet accès à l’adoption, grâce à la loi, concerne tant les adoptions en couple, que les adoptions de l’enfant du conjoint.
C’est par le dépôt d’une requête en adoption (simple ou plénière) de l’enfant de son conjoint que de nouveaux liens filiaux vont pouvoir être tissés.
Cette procédure d’adoption est simplifiée par la loi. Il suffit, selon la loi, ou à tout le moins son "esprit", que les couples se marient pour pouvoir ensuite programmer l’adoption, éventuellement croisée, de leurs enfants.
Malgré la volonté du législateur de simplifier au maximum les adoptions des couples homosexuels, des difficultés subsistent car le texte est resté silencieux concernant le mode de procréation de l’enfant adopté, notamment lorsqu’on est en présence de l’enfant de son conjoint.
Si la demande d'adoption de l'enfant né d'une précédente union nécessairement hétérosexuelle de son conjoint, ne pose pas de difficulté particulière, il n’en va pas de même de la programmation d'une naissance ou de l’adoption de l'enfant adoptif de son conjoint.
En effet, il n’est pas rare que les couples programment une naissance dans le cadre d’un projet parental. Or, puisque tout enfant du conjoint peut être adopté, les époux sont bien évidemment tentés de se rendre à l’étranger pour devenir parents, malgré les interdits posés en France en matière bioéthique (don de sperme, gestation pour autrui).
En théorie, dans ce cas, l’autre conjoint devrait avoir tout le loisir d’autoriser l’adoption plénière puisque l’enfant n’aura de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint, dans la mesure où l’un des parents biologiques sera forcément occulté.
Pourtant tout n’est pas aussi simple.
Quels sont les problèmes juridiques que posent aujourd'hui la reconnaissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger ou d'une PMA dans un couple de femmes ?
Comme je l’ai précisé le recours à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui est, en France, illégal. Les textes du Code de la Santé Publique restent inchangés et exigent toujours une raison médicale et non de convenance personnelle.
Pour l’heure ainsi, les demandes émanant d’époux de même sexe, sont encore irrecevables, tout comme d’ailleurs, les demandes individuelles.
A cet égard, l’un des effets collatéraux de la réforme Mariage pour tous qui facilite l’adoption de l’enfant du conjoint conduit à inciter les demandeurs à contourner la loi française.
En effet, une fois enceinte, grâce à un don de sperme obtenu illicitement à l’étranger, la mère pourrait consentir à l’adoption de son enfant par son épouse. Cette adoption permettra au couple de mener à bien son projet parental en deux temps, même si la première étape contrevient à l’ordre public.
Il existe une hypocrisie certaine dans la loi du Mariage pour tous qui consiste à honnir toute assistance médicale à la procréation en dehors du cadre légal, tout en favorisant l’adoption de l’enfant ainsi né.
En voulant éviter la polémique, on a favorisé les difficultés. Celles-ci auxquelles sont aujourd’hui confrontés de nombreux couples homosexuels mariés et qui ont un projet d’adoption, viennent de là : en tant que couple marié ils sont en droit d’adopter, mais si l’enfant qu’il souhaite adopter a été conçu à l’étranger selon un mode de procréation reconnu illicite en France, leur demande risque sérieusement d’être refusée par les tribunaux. Ce qui peut constituer un véritable choc pour un couple qui n’a pas réalisé, en déposant une demande d’adoption, que les conditions de la conception de l’enfant seraient examinées.
La Cour de Cassation vient de réaffirmer dans un arrêt du 19 mars 2014 qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance et l’aboutissement en fraude à la loi française d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui. Ce faisant, elle n’a fait que confirmer sa position. (cf Cour de Cassation 1ère Chambre 13.09.2013)
La difficulté essentielle provient du fait que nombre de Procureurs de la République, partie prenante dans les demandes d’adoption, s’y opposent formellement faisant valoir que les requérants à l’adoption, en ayant eu recours à une procréation illégale, ont commis une fraude à la loi qui corrompt le lien juridique entre la mère et l'enfant, et que cette filiation frauduleusement établie fait obstacle au prononcé d'une adoption.
Pour autant, la position des procureurs n’est pas unanime et dépend aujourd’hui des tribunaux. En l’état, une demande d’adoption déposée à Paris a plus de chance d’aboutir qu’à Aix en Provence, par exemple ...
Jusqu'à présent aucune décision de justice ne s'est toutefois encore opposée à une adoption, les procureurs n’émettant qu’un avis, qui peut ou non être suivi par les tribunaux. Ainsi, à Toulouse, l’avis du procureur n’a pas été suivi par les juges qui ont prononcé une adoption par un couple de même sexe, faisant valoir l’intérêt supérieur de l’enfant. D’où la nécessité de clarifier le débat et d’uniformiser les positions, afin d’éviter la disparité éventuelle de décisions de justice se prononçant sur les adoptions sollicitées par des couples ayant eu recours à la GPA ou PMA. D’où également l’importance des préconisations de ce rapport que vous évoquez…
Si une cour de justice reconnaissait les enfants de PMA ou de GPA (comme le préconisait la circulaire Taubira dans le cas de la GPA) une telle décision ne pourrait-t-elle pas faire jurisprudence reconnaissant ainsi la PMA pour les couples de femmes ainsi que la GPA ?
Ce sont les règles de procédure civile qui s’appliquent. Si aucune clarification n’est entreprise, il y a de fortes chances pour que l’on se trouve en présence de décisions de première instance contradictoires, en fonction des régions.
Il faudra alors attendre les positions des Cours d’Appel et surtout de la Cour de Cassation qui tranchera, puis éventuellement de la Cour de justice de l'Union européenne. Cela peut prendre des années, les enfants en cours d’adoption auront donc le temps de grandir, sans que leur statut ne soit clarifié vis-à-vis de leurs parents.
Dans l’esprit de la loi, le mariage ouvert aux couples homosexuels devait permettre l’adoption, de manière aussi simple et égalitaire, que pour les couples homosexuels. Il devait s’agir d’une simple formalité. Tel n’est pas encore le cas aujourd’hui…