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Concubins : ces difficultés que l’absence de mariage impose aux couples, aux ex et aux familles
Le prix de la liberté Publié le 18 janvier 2014
Caroline Yadan-Pesah et Jean-René Binet
Caroline Yadan-Pesah est avocate en droit de la famille.
Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’Université de Franche-Comté. Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit de la famille, des personnes et de la bioéthique, il a dernièrement publié, avec Bernard Beignier, un manuel de Droit des personnes et de la famille, aux éditions Lextenso-LGDJ, à jour de l’importante réforme du mariage opérée par la loi du 17 mai 2013.
Notre société, par la conjonction de différents éléments juridico-sociétaux, a vu se développer de manière très importante le concubinage comme modèle de vie familiale. Il a d'ailleurs été propulsé sur le devant de la scène par la relation supposée du président Hollande avec l'actrice Julie Gayet alors qu'il vit en concubinage au palais de l’Élysée.
Atlantico : Quels sont les problématiques quotidiennes, pas forcément visibles, que rencontrent les concubins et pas les couples mariés ?
CarolineYadan-Pesah : Les problématiques liées au concubinage se retrouvent davantage au moment de la séparation ou du décès de l’un des concubins, que dans la vie quotidienne.
Des difficultés au quotidien peuvent cependant apparaître notamment concernant le ou les enfants du conjoint, puisque aucune disposition particulière en vue de protéger les enfants non communs n’existe encore à ce jour, même si des réflexions relatives aux familles recomposées et à l’autorité parentale sont en cours.
La publication des bans rend le mariage public, tandis que le concubinage relève de l'état de fait. Quelles sont les implications de cette absence de déclaration de vie commune devant la société ? Cela signifie-t-il que le concubinage n'implique ni engagement, ni honnêteté réciproque ?
Caroline Yadan-Pesah : Effectivement, il n’existe pas de statut légal de l’union libre, ce qui signifie que les concubins se trouvent dans une situation de non droit, et bénéficient donc, en tant que couple, d’une protection juridique limitée, contrairement aux couples mariés ou, dans une moindre mesure aux couples pacsés.
Les concubins demeurent étrangers l’un par rapport à l’autre, et le concubinage n’a aucune incidence sur leur état civil. Il n’est pas mentionné en marge des actes de naissance. L’union libre n’a pas non plus d’effet s’agissant des enfants que ce soit en matière d’établissement de la filiation, d’autorité parentale, d’adoption ou de procréation médicalement assistée. L’engagement ou l’honnêteté réciproque est avant tout moral, les concubins ne se devant pas juridiquement, par exemple, fidélité.
Il va de soi toutefois que cet absence d’engagement n’implique pas la possibilité d’abuser de l’autre, puisque la faute, sur le fondement de la responsabilité civile, ou la violence, sont toujours sanctionnées par la loi.
Lors du décès soudain de l'un des concubins quels problèmes peuvent émerger dans ce type de situation ?
Caroline Yadan-Pesah : Plusieurs difficultés peuvent effectivement apparaître lors du décès de son concubin. Du point de vue des droits successoraux, le concubin n’est pas protégé. En effet, les concubins n’héritent pas l’un de l’autre. Si un concubin décède sans avoir fait de testament ses biens vont à sa famille par le sang. S’il n’existe aucun héritier les biens sont dévolus à l’Etat.
Du point de vue du logement, si le bail était aux noms des deux concubins, le bail se poursuit au profit du survivant. Si le logement n’était loué qu’au défunt, le survivant peut demander le transfert du bail à son nom à condition que le bail ait été notoire et ait duré depuis plus d’un an. Si le logement était la propriété du concubin décédé, le survivant n’a aucun droit sur le logement et peut donc être expulsé par les héritiers.
Du point de vue de la protection sociale, le concubin d’un assuré au régime général de la Sécurité sociale a droit au capital décès s’il était à la charge affective totale et permanente du défunt. Il ne bénéficie pas en revanche de l’allocation veuvage du régime de base.
Les concubins de salariés décédés n’ont droit à aucune retraite de réversion.
Enfin, du point de vue du droit du travail, aucune autorisation d’absence n’est prévue par la loi en cas de décès du concubin ou des parents de ce dernier, contrairement aux couples mariés.
Jean-René Binet : Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il n’y a pas de cadre juridique. En effet, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, a consacré l’existence juridique du concubinage en posant une définition dans le Code civil à l’article 515-8. Selon ce texte, « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Cela étant, il est vrai que ce cadre est minimaliste puisqu’il se résume à cette seule définition. Que doit-on en retirer ? Il s’agit d’une « une union de fait », c’est-à-dire un lien de fait qui unit deux personnes, principalement caractérisé par l’existence d’une vie commune. Cette condition fait directement référence à l’étymologie du mot concubinage : cum cubare ce qui signifie coucher ensemble. De plus, cette communauté de vie doit présenter « un caractère de stabilité et de continuité », ce qui signifie, a contrario, qu’une relation passagère n’est pas un concubinage.
La situation fiscale d'un couple non-marié ou non-pacsé est-elle plus complexe, ou au contraire plus avantageuse que celle d’un couple marié ?
Jean-René Binet : Il faut, pour répondre, distinguer selon la nature de l’impôt. S’agissant de l’impôt sur le revenu, les concubins sont imposés séparément. S’ils ont des enfants communs, ceux-ci sont rattachés à l’un ou l’autre ou répartis entre eux. Selon les cas, le rattachement peut être avantageux ou non. Concrètement, la situation est un peu plus complexe puisqu’il faut remplir deux déclarations au lieu d’une. On retrouve la même situation au regard de la taxe d’habitation, qui sera due par l’occupant en titre du logement : il est judicieux que les enfants lui soient rattachés pour lui permettre de prétendre aux abattements pour charges de famille. En revanche, pour ce qui concerne l’ISF, les personnes vivant en concubinage au 1er janvier de l’année constituent un seul foyer fiscal : à cet égard, il n’y a donc pas de différence entre un couple marié et un couple de concubins.
Caroline Yadan-Pesah : Elle est souvent plus simple mais moins avantageuse. Les personnes vivant en union libre sont imposables séparément à l’impôt sur le revenu. Quel que soit leur régime matrimonial les époux (comme les partenaires d’un Pacs) sont, eux, soumis à une imposition commune (sauf en cas de séparation). Les enfants communs aux deux concubins peuvent être comptés à charge par leur mère ou leur père, mais pas les deux à la fois. La situation peut donc être plus avantageuse pour l’un et moins pour l’autre et vice-versa, tout dépend des revenus respectifs et du nombre d’enfants en commun.
A noter que le premier enfant de concubins n’ouvre pas droit à la majoration supplémentaire d’une demi part de quotient familial, qui est réservée aux célibataires, divorcés ou séparés qui vivent seuls. Chaque concubin est tenu personnellement au paiement de son impôt, sans solidarité entre les membres du couple.
Le vide juridique autour du concubinage devient-il particulièrement problématique dans le cadre d'une séparation ?
Jean-René Binet : L’expression « vide juridique » est inexacte. En l’occurrence, il y a peut-être une organisation insuffisante de la relation, mais juridiquement, on ne peut parler de vide : chaque problème trouve sa solution. C’est le cas pour la séparation tant à l’égard de ses causes que de ses effets.
Commençons par les causes. Plusieurs évènements causent, pour des raisons différentes, la cessation du concubinage. Les plus heureux résultent de la décision, prise par les concubins, de s’unir par le mariage. La vie commune aura alors été, pour les concubins, l’occasion de réfléchir à leurs sentiments, leur compatibilité d’humeur et la solidité de leur projet : il s’agit de quasi fiançailles. Mais il est possible que le concubinage prenne fin parce que les concubins souhaitent voir cesser leur vie commune. Cette rupture volontaire est totalement libre. Par conséquent, elle peut résulter d’une manifestation unilatérale ou bilatérale de volonté, n’est soumise à aucun délai ni contrôle, n’entraîne aucune conséquence particulièrement organisée tant au regard des éventuels enfants du couple que de leurs relations patrimoniales. Etant donné que la rupture du concubinage est libre, aucune procédure ne vient la réglementer. Ainsi, aucun concubin ne peut demander une prestation compensatoire suite à la séparation. Cependant, la responsabilité civile trouve à s’appliquer en cas de rupture fautive. Le principe est que même si la rupture ne constitue pas en elle-même une faute elle peut donner droit à des dommages-intérêts si elle revêt, notamment au regard des circonstances qui l’entourent, un caractère fautif.
Caroline Yadan-Pesah : Cela dépend des situations. La séparation peut être problématique s’il existe une forte disparité entre les revenus des concubins : en effet, ils ne sont tenus d’aucun devoir de secours l’un envers l’autre ou d’assistance matérielle contrairement aux couples mariés en cas de divorce. Si l’un des concubins n’a pas de ressource, il ne peut exiger de l’autre qu’il subvienne à ses besoins.
Tandis que lorsqu’il existe une disparité dans les conditions de vie respectives des époux qui divorcent, et que cette disparité résulte de la rupture du mariage, le conjoint dans le besoin peut se voir attribuer le paiement d’une prestation compensatoire. Les concubins ne se doivent pas non plus fidélité. On ne peut donc reprocher juridiquement à l’autre son infidélité quand on se sépare. La rupture n’ouvre pas droit à des dommages et intérêts au profit du concubin abandonné (sauf faute avérée sur le fondement de la responsabilité civile).
En revanche, la protection des concubins victimes de violence au sein du couple est similaire à celle des époux, tant pendant l’union qu’au moment de la séparation. Du point de vue des dettes du ménages, la situation est également différente entre les couples mariés et ceux qui ne le sont pas : le principe pour les époux est celui de la solidarité de ces dettes, tandis que les concubins ne sont pas tenus solidairement des dépenses contractées pour les besoins de la vie commune. Dans ce cas, le concubinage peut paraître moins contraignant en cas de séparation, puisque dans ce cas chacun répond des dettes qu’il a contracté personnellement, son créancier ne pouvant pas en réclamer le paiement à l’autre (sauf toutefois lorsque les concubins ont pu donner aux tiers l’apparence d’un mariage).
En cas de séparation d’une union libre, il a pu se créer une confusion des patrimoines, source de difficultés. Les biens meubles sont censés appartenir à celui qui apporte la preuve de cette appartenance par tous moyens, ce qui n’est pas chose aisée. La chose est encore moins aisée concernant les achats de biens immobiliers : à qui appartient le bien acheté en commun ? qui y a davantage contribué financièrement ? qui va pouvoir continuer à y vivre ? sous quelles conditions ? Les juges se reportent en principe au titre de propriété et/ou à la preuve des participations de chacun. Lorsqu’un bail est au nom d’un seul des concubins, sauf à prouver l’abandon de domicile imprévisible, le titulaire du bail peut le résilier librement, sans droit pour celui qui reste.
Si le bail est au nom des deux, celui qui part reste tenu du loyer et des charges vis-à-vis du propriétaire, même s’il donne congé, et ce jusqu’au renouvellement du bail, si celui-ci contient une clause de solidarité.
En quoi cela peut-il poser problème dans le cadre professionnel ?
Caroline Yadan-Pesah : Cette question ne relève pas du juridique mais, sauf erreur de ma part, du psychologique...
Je peux vous préciser que, contrairement aux conjoints et aux partenaires de Pacs, les concubins qui travaillent dans la même entreprise n’ont pas droit à un congé payé simultané. Leur situation n’est pas prise en compte pour l’établissement de l’ordre des départs en congés lorsqu’ils travaillent dans des entreprises différentes.
Le concubin d’un chef d’entreprise agricole qui exerce à ses côtés est dans la même situation qu’un conjoint : il peut opter pour le statut de collaborateur, de salarié ou de chef d’exploitation ; ce n’est pas le cas, en revanche pour le concubin du chef d’une entreprise commerciale, artisanale ou libérale, le concubin n’étant pas assimilé à un conjoint.
Lorsqu’un concubin a travaillé dans l’entreprise de l’autre sans être rémunéré, il peut saisir la justice au moment de la séparation en établissant soit l’existence d’une société créée de fait, soit un enrichissement sans cause au profit de l’autre.
Pour éviter les litiges, les concubins ont intérêt :
- S’agissant des achats de biens immobiliers effectués durant la vie commune, à indiquer clairement dans l’acte d’achat les contributions de chacun
- A conserver des comptes bancaires séparés pour encaisser leurs revenus propres
- Ouvrir un compte joint uniquement pour régler les dépenses du ménage
- Conclure le bail aux deux noms
- Souscrire un contrat d’assurance-vie au profit de l’autre
- Faire un testament en faveur de son conjoint
Jean-René Binet : Dans le cadre professionnel, deux concubins peuvent exercer librement leur profession, comme le peuvent aussi – faut-il le préciser ? – des époux. De ce point de vue, le concubinage ne pose donc aucun problème de principe. Il peut cependant devenir un handicap, comparativement au mariage, en cas de mutation. En effet, dans la fonction publique, le concubinage ne permet pas d’obtenir un rapprochement de conjoint. La seule manière d’assouplir la rigueur de cette règle est d’avoir des enfants : rejoindre géographiquement l’autre parent permet alors que les enfants vivent avec leurs deux parents. L’intérêt de l’enfant sera alors pris en compte.
Comment expliquer que la situation de concubinage soit en conséquence si peu encadrée ?
Caroline Yadan-Pesah : Il y a une différence de situation importante entre les époux et les concubins : les premiers sont assujettis à une solidarité financière et à un ensemble d’obligations légales qui ne pèsent pas sur les seconds. On ne peut réclamer les avantages, sans avoir les inconvénients.
Concernant la séparation, la justification tient au fait à mon sens, que les concubins n’ont, l’un vis-à-vis de l’autre, ni devoir de fidélité, ni devoir de secours, et qu’ils ont donc accepté tous deux par avance la précarité de leur situation, contrepartie, sans doute d’une plus grande liberté…
Jean-René Binet : Si l’on résume le concubinage à l’union libre, l’absence de réglementation en est l’essence. Les concubins vivant en union libre ne recherchent pas de statut particulier, de sorte que l’intervention du législateur, à leur égard, peut être minimaliste. L’essentiel est de garantir l’existence de certains droits essentiels, tels que la continuation du bail avec le concubin survivant du titulaire décédé, ce qui est prévu par la loi du 6 juillet 1989. Mais il est également possible de considérer que le concubinage recouvre également le pacte civil de solidarité qui en constitue une modalité d’organisation. Ainsi, nous voyons coexister deux formes de concubinage, différemment prises en compte par la loi : l’union libre (concubinage inorganisé) et le PACS (concubinage organisé).
Le mariage reste-t-il plus avantageux - ou non- sur le pur plan juridique ?
Jean-René Binet : Tout dépend des avantages que l’on recherche. Pour qui recherche la liberté totale et ne souhaite pas s’engager, le concubinage est idéal. En revanche, pour qui recherche la protection de la loi et souhaite s’engager et assumer des devoirs réciproques, le mariage reste l’idéal insurpassable tant en matière de relations personnelles que s’agissant des relations patrimoniales.
Sur le plan personnel, contrairement aux personnes mariées, les concubins n’ont en effet aucun devoir réciproque de respect, de fidélité ou d’assistance. Le concubinage n’entraîne non plus aucun droit en matière d’usage du nom, d’acquisition de la nationalité française ou de regroupement familial et les concubins ne peuvent adopter conjointement un enfant. Sur un plan patrimonial, le principe est le même qu’en matière de relations personnelles. Le concubinage ne produit pas d’effets particuliers. Les concubins ne sont soumis ni au devoir de secours, ni à l’obligation de contribuer aux charges du ménage : chacun d’eux doit prendre en charge les dépenses de la vie courante qu’il a engagées. Aucun d’eux ne peut obliger l’autre à contribuer à des charges qu’implique nécessairement une communauté de vie. Chaque concubin est propriétaire des biens qu’il acquiert. Si aucun d’eux ne parvient à prouver la propriété d’un bien alors ce dernier est présumé indivis entre les concubins. Si les concubins achètent ensemble un bien, celui-ci est indivis à moins qu’il n’en soit stipulé autrement dans l’acte d’acquisition. Enfin, et ce n’est pas le moins important, le concubinage ne créé pas de vocation successorale : les concubins n’héritent pas l’un de l’autre.
Le socle du concubinage étant la relation amoureuse, est-ce à dire que les personnes qui se marient (ou au moins un certain nombre d'entre elles) ont par avance anticipé le délitement progressif de ce lien-là ? S'attendent-elles à ne plus être amoureux comme aux débuts, et sur quoi font elles par avance reposer leur couple ?
Caroline Yadan-Pesah : On le sait, les divorces sont très fréquents, et font aujourd’hui partie intégrante de la société.
Les statistiques illustrent, à cet égard, parfaitement cet état de fait. Pour autant, le mariage reste une institution à valeur symbolique importante, qui n’empêche cependant pas le délitement du couple ni les séparations.
Le choix de se marier ou non reste bien entendu une décision personnelle. Chacun y met un sens qui lui est propre.