C'est dans le cas où un acheteur s'était engagé positivement à acheter, ou un vendeur à vendre, une certaine quantité d'un produit, ce que l'on qualifie dans la pratique d'engagement de quota, que la jurisprudence a admis le plus rapidement et le plus facilement la nullité pour indétermination du prix. Les difficultés les plus sérieuses, et du même coup la jurisprudence la plus abondante, se sont manifestées lorsque le vendeur ou l'acheteur, sans s'être engagés positivement à acheter ou à vendre, s'étaient seulement obligés négativement, par une clause d'exclusivité, à n'acheter ou à ne vendre qu'à l'autre partie, ce qui les contraignait en fait, mais pas en droit, à acheter ou à vendre.
Il est donc intéressant de tenter de préciser le domaine d'application de ce texte en cette matière. Il peut être utile auparavant de rappeler les solutions retenues par quelques droits étrangers. 1. - La fixation unilatérale du prix par l'une des parties.
4. - Quant à la première solution, on peut soutenir qu'en contrepartie des avantages financiers ou autres qui lui sont consentis dans le contrat cadre, le revendeur s'est placé sous la subordination économique de l'autre partie et qu'il s'en est remis à elle du soin de fixer les prix sous la seule réserve d'en user sans discrimination. Cette solution, préconisée très vite par certains auteurs et reprise encore récemment par d'autres, se déduirait d'une définition sui generis du contrat de concession ou, plus généralement, de commercialisation dans un réseau intégré. Elle exprimerait juridiquement l'intégration économique de la distribution.La Cour de cassation, après quelques hésitations, a clairement rejeté cette conception inégalitaire. Pour elle la vente, afin de mériter cette qualification, doit comporter un échange de consentements sur un objet et un prix déterminés d'un commun accord. Une convention ne peut avoir pour objet licite la renonciation de l'une des parties à refuser son consentement à la formation d'un contrat dont elle ne connaît pas les éléments essentiels. Certes, dans une promesse unilatérale de vente, le promettant donne par avance son consentement à la vente à conclure. Mais ce consentement doit nécessairement porter sur un prix déterminé ou déterminable, dans la promesse elle-même, sans nouvelle intervention de la volonté des parties. Une convention qui impose, en fait, la conclusion de ventes successives en laissant l'une des parties en fixer le prix est frappée de nullité par une jurisprudence aujourd'hui constante, et cela quel que soit le contenu plus ou moins complexe, ou la qualification, du contrat cadre initial dans lequel figure la clause d'exclusivité. Une vente ne peut être imposée à l'une des parties à un prix fixé unilatéralement par l'autre. Il ne s'agit pas ici du simple respect de l'art. 1591 c. civ. qui, dans une lecture purement littérale, pourrait s'accommoder d'un prix dont la détermination serait abandonnée contractuellement à l'une des parties. Il ne s'agit pas non plus de protéger une catégorie de contractants en raison de leur faiblesse économique présumée à tort ou à raison, même si cette protection est souvent légitime à condition de ne pas créer de nouveaux incapables. Ce qui est en cause est beaucoup plus important. Il s'agit de la raison d'être du contrat et de la justification de sa force obligatoire. La procédure contractuelle permet de présumer, sauf vice du consentement ou incapacité, que chacune des parties a été à même de défendre ses intérêts afin de réaliser un échange qu'elle tenait, à tort ou à raison, pour équilibré. C'est cela qui fait toute la valeur de cette procédure en tant qu'instrument privilégié des échanges dans une économie libérale. Mais dès l'instant que cette procédure ne peut plus remplir son office la force obligatoire du contrat perd sa raison d'être. Or il en est incontestablement ainsi lorsque l'une des parties est obligée d'acheter ou de vendre à un vendeur ou un acheteur à un prix qui lui est imposé par son cocontractant. Il n'y a pas, en effet, de libre consentement concevable sans la liberté de ne pas conclure le contrat. Peu importe qu'un contrat antérieur soit la source de cette obligation. Il ne peut y avoir de consentement valable ayant pour objet de renoncer à l'avance au droit de ne pas conclure une convention dont on ne connaît pas les termes essentiels, à savoir l'objet ou le prix. 2. - L'absence de détermination du prix des ventes futures dans le contrat cadre.
5. - Elle n'entraîne pas nécessairement la nullité du contrat cadre. Si ce dernier ne fixe aucun prix pour les ventes futures c'est au moment où l'acheteur va négocier avec le fournisseur, qui lui est imposé par la convention cadre, que les éléments essentiels de la vente seront déterminés, et particulièrement le prix de la marchandise livrée. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, le 9 juill. 1963, « que la convention s'analysait, non en un contrat de vente immédiate, mais en un contrat d'exclusivité prévoyant la fourniture à des prix qui devaient être et qui, pendant toute la période d'exécution antérieure à la résiliation, ont été librement débattus et acceptés par les parties ». Elle en a déduit que c'est à bon droit qu'a été écartée « la nullité pour défaut d'accord sur la chose et sur le prix ».La même Chambre commerciale, sous une forme différente mais voisine, a repris ce raisonnement au début de l'année 1991. La solution est d'une parfaite logique formelle. La question se pose toutefois de savoir comment un acheteur, obligé d'acquérir une certaine quantité de produits, et, a fortiori, la totalité des produits dont il a besoin pour exercer son activité professionnelle, à un vendeur déterminé, peut encore bénéficier de prix « librement débattus et acceptés ». Il ne peut en être ainsi qu'à la condition expresse que le contrat cadre puisse être rompu, ou devienne caduc, à défaut d'un tel accord réel sur le prix des fournitures, car il ne peut y avoir de liberté de négocier, et surtout, ce qui est la seule question essentielle, d'accepter le prix en l'absence de liberté de ne pas acheter. L'exigence de prix « librement débattus et acceptés » est une constante de la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui en fait état, outre l'arrêt précité du 9 juill. 1963, notamment dans ses arrêts des 22 janv. 1991, 5 nov. 1991 et 19 nov. 1991. M. Aynès, commentant cette formule, écrit : « Si l'on comprend bien l'exigence de la Cour de cassation, il faudrait que le distributeur puisse, avant de passer commande, négocier les prix de vente ». Il ajoute : « C'est une exigence ignorée du droit positif qui se contente de la rencontre d'une offre et d'une acceptation : de nombreux contrats sont formés sans négociation préalable ! ». L'observation est exacte puisque les contrats gardent cette qualification même en l'absence de négociation préalable, car ce qui caractérise la procédure contractuelle c'est l'accord des volontés et non la négociation. Un arrêt du 16 juill. 1991 se borne pourtant à faire état de prix « librement débattus » pour constater il est vrai qu'en l'espèce ils pouvaient l'être. En réalité ce qui est essentiel c'est que les prix aient fait l'objet d'un véritable accord, autrement dit, peu importe qu'ils aient été ou non débattus dès l'instant qu'ils ont été librement acceptés. Or M. Aynès, qui critique cependant la jurisprudence de la Cour de cassation en faisant même état d'une « obsession de la détermination du prix », admet que « dès lors que le distributeur a l'obligation d'acheter, et de n'acheter qu'à un fournisseur déterminé, la possibilité de discuter le prix avant de l'accepter risque d'être purement verbale ». Il en conclut que « c'est finalement à l'exclusivité même que s'en prend la Cour de cassation », car, écrit-il, « Comment, en effet, concilier les libres discussion et acceptation du prix avec l'impossibilité de se fournir ailleurs ? ». On ne saurait mieux dire qu'il n'y a pas de possibilité d'un prix librement accepté sans la faculté de ne pas acheter. A partir de là il ne peut suffire pour condamner la jurisprudence de la Cour de cassation d'affirmer, comme le fait M. Aynès, que « les exclusivités d'approvisionnement et de fourniture sont licites, sous certaines conditions ..., tant en droit français qu'en droit communautaire » et de se demander « pour quelle obscure raison le droit commun des obligations condamnerait-il par un détour une convention dont le droit de la concurrence reconnaît des effets bénéfiques ? ». En réalité le droit de la concurrence a sa logique et ses exigences propres. Il s'agit de faire en sorte que des contrats ne puissent pas fausser les effets bénéfiques de la concurrence dans le fonctionnement du marché en régime libéral. C'est une question différente, et préalable, que de savoir si un contrat, avant d'être licite au regard du droit de la concurrence, répond encore à sa définition de procédure bilatérale de création d'effets de droit, présumée protectrice par le fait même des intérêts des deux parties. La question est de savoir ce qui reste de cette procédure bilatérale dans une vente lorsque l'une des parties est obligée de la conclure et donc d'accepter le prix imposé par l'autre. En fait la validité du contrat cadre ne peut alors être admise qu'à la condition, soit de confier au juge le pouvoir de fixer le prix, soit de ne reconnaître au contrat cadre que la portée d'un simple accord de principe de négocier de bonne foi les prix des ventes successives d'application. 6. - M. Aynès observe encore qu'en « droit français même, on a peine à comprendre que l'indétermination du prix ait des conséquences radicalement différentes suivant qu'il s'agit de payer une chose ou un service ». La justification se déduit pourtant de façon évidente de la solution différente retenue quant aux pouvoirs du juge en la matière. Dans la mesure où pour la plupart des contrats de prestations de services l'exigence d'un prix déterminé dans le contrat est écartée, c'est parce que celui-ci peut être alors fixé par le juge en cas de désaccord. Comme l'observe M. Leveneur « Pour ne se heurter à aucune objection, le principe général du refus d'annulation, sur le fondement de l'art. 1129 c. civ., de ceux des contrats n'engendrant pas d'obligations réciproques de donner qui ne détermineraient pas ou ne rendraient pas déterminable le montant de la prestation pécuniaire, doit aller de pair avec la reconnaissance d'un pouvoir général pour les juges du fond de fixer ultérieurement le prix ou la rémunération en cas de litige. Toute autre solution, qui abandonnerait une partie au pouvoir arbitraire de l'autre, serait contraire à la plus élémentaire justice contractuelle, et donc serait difficilement acceptable ». Allons plus loin, elle serait inacceptable. Il ne peut y avoir de choix qu'entre deux degrés de l'autonomie contractuelle : ou bien l'on considère que le juge ne peut intervenir en tant que tel dans la fixation du prix, solution constante en droit français en matière de vente, et le prix doit être alors déterminable à partir du contrat lui-même, sans nouvelle intervention de la volonté unilatérale (c'est précisément ce caractère unilatéral qui est contraire à la notion même de contrat) de l'une ou de l'autre partie ; ou bien l'on admet que le juge peut fixer le prix à défaut d'accord des parties (comme il est de règle en matière de louage de service, de mandat salarié, et plus généralement de conventions engendrant essentiellement des obligations de faire), ce qui réduit l'autonomie contractuelle mais sans porter atteinte à l'essence bilatérale de la convention. La logique de l'autonomie et de la procédure contractuelle se rejoignent d'ailleurs pour n'admettre cette seconde solution que de façon plus ou moins exceptionnelle. L'une et l'autre, en tout cas, excluent absolument que la volonté unilatérale et arbitraire de l'une des parties fixe le prix. Celui-ci ne doit résulter que d'un accord de volontés ou de l'arbitrage d'un tiers, choisi par les parties, ou être imposé par le droit positif, c'est-à-dire, pratiquement, fixé par le juge. 7. - Toute la question est alors de savoir dans quels contrats le juge peut fixer le prix à défaut de détermination préalable de ce dernier ou d'accord ultérieur. Malgré la généralité des termes de l'art. 1129 c. civ. la Cour de cassation lui reconnaît expressément ce pouvoir, de façon générale pour les honoraires des professions libérales et, semble-t-il, pour les contrats d'entreprise. Cette différence de régime entre la vente et le contrat d'entreprise ou le mandat salarié n'a pas d'inconvénient sur le plan de la justice contractuelle puisque le prix sera fixé équitablement par le juge. On peut alors se demander légitimement pourquoi le juge français, à l'instar de nombreux juges étrangers, ne disposerait pas d'un même pouvoir en matière de vente. Il faut sans doute en rechercher l'explication dans l'importance attachée traditionnellement en France au contrat de vente, spécialement de vente immobilière, et dans la réticence tout aussi traditionnelle à permettre au juge d'intervenir dans la formation du contrat, exprimée dans le dogme classique de l'autonomie de la volonté. On déduit de ce que le contrat fait la loi des parties que le juge ne pourrait même indirectement en modifier les termes. Il serait sans doute difficile de modifier aussi fortement nos traditions juridiques. Force est alors de distinguer entre les contrats dans lesquels, à défaut d'un pouvoir de fixation du prix par le juge, celui-ci doit être déterminé, et ceux, dans lesquels ce pouvoir d'intervention étant admis, le prix peut n'être pas initialement déterminé. L'important est ici de trouver une ligne de partage suffisamment nette pour d'évidentes raisons de sécurité juridique. Compte tenu des solutions admises actuellement, le plus simple serait sans doute de limiter ce pouvoir du juge aux contrats de prestations de services par opposition aux ventes et à ceux qui impliquent des ventes d'exécution. S'il fallait absolument justifier ce partage au regard des textes en vigueur il ne serait pas inconcevable de revenir à l'application du seul art. 1591 c. civ., propre à la vente, mais en le déclarant applicable, comme la jurisprudence le faisait déjà avant 1978, aux contrats qui impliquent des ventes d'exécution. Il suffirait que la Cour de cassation use de son pouvoir d'interprétation de ces deux textes puisque, si l'art. 1129 peut parfaitement s'appliquer au prix, il ne vise pas expressément ce dernier. Mais il n'est pas certain que ce retour en arrière soit réellement nécessaire au regard des distinctions déjà admises sans difficultés particulières par la Cour de cassation quant au champ d'application de l'art. 1129 c. civ. 8. - La jurisprudence de la Cour de cassation n'enlève pas nécessairement au contrat cadre toute force obligatoire. Il impose en effet aux deux parties une obligation de négocier de bonne foi le prix des ventes d'exécution. Toutefois une telle négociation suppose la liberté de ne pas conclure la vente, ce qui n'est pas compatible avec l'obligation d'acheter ou de vendre pesant sur l'une des parties ou les deux, notamment par la stipulation d'un quota ou une clause d'exclusivité d'approvisionnement ou de fourniture. Ce n'est donc qu'en l'absence d'un tel engagement que le contrat cadre sera valable et fera naître une obligation de négocier de bonne foi le prix des ventes d'exécution. Il n'en serait autrement que si le contrat cadre était rédigé de telle façon que la force obligatoire de la clause d'exclusivité soit elle-même subordonnée à un accord réel sur le prix des ventes d'exécution, autrement dit qu'elle devienne caduque à défaut d'un tel accord. Enfin, si les parties entendent se lier davantage dès la conclusion du contrat cadre, ce dernier ne sera valable qu'à la condition qu'elles aient stipulé un mécanisme qui fasse échapper la détermination du prix des ventes successives à la volonté arbitraire de l'une d'elles. 3. - La détermination du prix, libérée de la volonté arbitraire des parties en application du contrat cadre.
9. - La stipulation d'un mécanisme qui fasse échapper la détermination du prix à la volonté, au moins à la volonté arbitraire, de l'une ou l'autre partie rend le contrat cadre valable. C'est finalement la seule façon d'organiser convenablement et valablement les relations contractuelles qui impliquent nécessairement des ventes successives pour une plus ou moins longue durée.Pratiquement, il s'agira le plus souvent de la mise en oeuvre des dispositions de l'art. 1592 c. civ. selon lesquelles le prix peut « être laissé à l'arbitrage d'un tiers ». Il peut s'agir d'un tiers déterminé, particulier, institution, telle qu'un syndicat professionnel commun et impartial, ou juridiction désignée par les parties, qui pourra fixer le prix directement ou désigner un tiers pour le faire. Il peut s'agir également d'une référence au prix du marché, à la condition que ce prix existe réellement, notamment au regard de la position de l'une des parties dans ce marché ou d'ententes éventuelles, et qu'il puisse être objectivement constaté. C'est ici, dans la mise en oeuvre du critère de la volonté arbitraire de l'une des parties, que la technique de rédaction des contrats doit jouer un rôle essentiel en s'efforçant de concilier loyalement les nécessités des engagements à long terme de la distribution intégrée, dont l'utilité sociale n'est pas contestable, avec le respect du consentement nécessaire des parties, seul garant d'une certaine justice contractuelle. Il faut un mécanisme suffisamment souple et pratique pour pouvoir intervenir facilement en cas de défaut d'accord des parties sur le prix des ventes successives et éviter ainsi la rupture du contrat. Mais il faut en même temps qu'il ne s'agisse pas d'une simple illusion d'impartialité. La nullité pour indétermination du prix de la vente ne doit pas être le moyen d'échapper trop facilement à ses engagements. Dès l'instant que le contrat cadre a mis en place un mécanisme suffisamment respectueux de la liberté de chacune des parties d'accepter ou non le prix proposé par l'autre, ou, à défaut, permettant la fixation du prix par un tiers indépendant et impartial, le contrat doit s'appliquer. Comme l'a observé M. Mestre(18) : « autant la jurisprudence initiale de la Cour de cassation avait pu sembler trop systématique et susciter trop de difficultés pour les praticiens du droit, même animés des meilleures intentions, autant celle élaborée à partir de 1988 avait paru faite d'équilibre et de mesure, laissant place à une certaine souplesse des stipulations des parties tout en se réservant la saine possibilité, par le biais de l'art. 1129, de sanctionner cet abus, concevable dans tous les contrats, qu'est la détermination arbitraire de la prestation financière par l'une des parties ». Un auteur(19) a montré que la jurisprudence de la Cour de cassation n'avait pas empêché la continuation des contrats de bière eux-mêmes, fût-ce au prix de ce qu'un autre auteur(20) a pu appeler « une astuce de rédaction », en fait l'utilisation « généralisée de la clause à dire d'expert », et que le contentieux « par rapport aux conventions existantes est faible sans pour autant être négligeable »(21). |
(1) Cette chronique sera reprise en substance dans la troisième édition de notre ouvrage sur La formation du contrat, à paraître en novembre 1993, n° 708 s ; Source : Recueil Dalloz Jacques Ghestin |