Le droit français accorde une protection particulière au domicile des personnes.
La raison en est que pour beaucoup le domicile coïncide avec la résidence principale c’est-à-dire le lieu où la personne mène habituellement sa vie personnelle et familiale.
A ce titre, le domicile ou la résidence est considéré comme un élément de la vie privée.
Pour mémoire, l’article 9 du Code civil dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
Par ailleurs, le droit au respect de la vie privée est un droit de l’homme et une liberté publique reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
Même si le législateur ne fait pas expressément référence au domicile ou à la résidence dans l’énoncé de l’article 9 du code civil, la Cour de cassation considère le domicile comme un élément de la vie privée.
En effet, la Cour de cassation a jugé que :
« la divulgation du domicile d'un agent par l'Administration sans son accord constituerait une atteinte à la vie privée » (Cass. Civ. 1re, 6 novembre 1990, Bull. civ. I, n° 238).
La Cour de cassation va même plus loin en affirmant le droit pour chacun de s’opposer à la recherche et à la révélation du lieu de son domicile ou de sa résidence.
Ainsi, chaque individu est en droit de s’opposer à la recherche par les tiers de son adresse lorsqu’elle n’a pas fait l’objet d’une publicité destinée à tous et à sa divulgation par une personne qui la connaît même si elle n’est pas tenue au secret professionnel (article 378 du Code pénal).
Cependant, le secret de l’adresse n’est pas pour autant absolu puisque le droit au secret de l’adresse cède devant le droit des créanciers d’obtenir paiement de leurs créances.
En effet, La Cour de cassation a, depuis longtemps, refusé que les droits fondamentaux soient invoqués par un débiteur pour se soustraire à ses obligations.
Ainsi, la haute juridiction écarte le droit au secret de l’adresse lorsque le refus de communiquer le lieu de son domicile ou de sa résidence n’est dicté que par le dessin illégitime de se soustraire à l’exécution de ses obligations.
Par conséquent, toute personne ayant un intérêt légitime, notamment le créancier d’une obligation inexécutée, ignorant l’adresse de son débiteur, est admis à rechercher ce renseignement, au besoin, auprès des tiers détenant des informations utiles au sujet du débiteur.(notamment les banques, l’Etat, les collectivités locales, les administrations publiques, l’employeur du débiteur …)
Pour ce faire, il faut réunir deux conditions :
- D’abord, la communication de l’adresse sans le consentement de l’intéressé doit avoir pour but la sauvegarde d’un droit légalement reconnu ou judiciairement constaté.
- Ensuite, le titulaire du droit ne peut invoquer des motifs légitimes pour s’opposer à la communication de son adresse.
L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 mars 1991 offre l’occasion de rappeler ces règles.
En l’espèce, une personne débitrice d’une certaine somme d’argent avait quitté son domicile sans laisser d’adresse à son créancier, la société Locunivers.
L’huissier de justice chargé de l’exécution a appris qu’elle était employée par les Hospices civils de Lyon, à qui il a demandé de lui faire connaître sa nouvelle résidence.
Les Hospices civils de Lyon invoquaient l'article 9 du code civil pour ne pas communiquer à la société Locunivers créancière l'adresse de l'employée en question.
Devant leur refus, la société Locunivers les a assignés en référé pour qu'il leur soit ordonné sous astreinte de fournir ce renseignement.
La cour d’appel de Lyon avait jugé que la contestation excédait la compétence du juge des référés.
La Cour de cassation a cependant désavoué les juges du fond en estimant que :
« si toute personne est en droit, notamment pour échapper aux indiscrétions ou à la malveillance, de refuser de faire connaître le lieu de son domicile ou de sa résidence, de sorte qu’en principe sa volonté doit être sur ce point respectée par les tiers, il en va autrement lorsque cette dissimulation lui est dictée par le seul dessein illégitime de se dérober à l’exécution de ses obligations et de faire échec aux droits de ses créanciers ; qu’il appartient au juge des référés de mettre un terme à une telle manœuvre frauduleuse, dès lors que celle-ci est manifeste » (Cass. Civ. 1ère, 19 mars 1991, pourvoi n° 89-19.960)
Par cet arrêt, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel le fait de refuser de communiquer son domicile ou sa résidence pour faire échec à ses obligations est une manœuvre frauduleuse qu'il appartient au juge des référés de faire cesser lorsqu'elle est manifeste.
Cette solution est à saluer car le domicile n’est pas uniquement le lieu où se déroule la vie privée et familiale d’une personne.
En effet, le domicile est le siège de la personne physique. C’est le lieu où il est possible de joindre la personne pour la mise en œuvre du rapport de droit ; c’est-à-dire le lieu où les particuliers et les administrations ont la possibilité de la joindre lorsque c’est nécessaire. C’est notamment le lieu où l'on paie ses impôts, où l'on est inscrit sur les listes électorales, où l'on reçoit sa correspondance.
C’est surtout le lieu où les créanciers sont sensés réclamer le paiement de leurs créances ou procéder à une saisie sur les biens du débiteur.
En effet, lorsque la dette est quérable, le créancier est tenu de se présenter au domicile de son débiteur pour obtenir paiement.
A ce titre, l’article 1247, alinéa 3 du code civil dispose:
« le paiement doit être fait au domicile du débiteur ».
Par conséquent, il faut que le domicile soit connu faute de quoi il ne peut remplir ce rôle.
La Cour de cassation établit ainsi un compris entre le droit au respect de la vie privée et le droit du créancier de l’obligation inexécutée.
Elle permet à toute personne ayant un intérêt légitime, notamment, le créancier d’une obligation inexécutée, ignorant l’adresse de son débiteur, de rechercher ce renseignement, au besoin, auprès d’autres cocontractants de son débiteur mieux informés (banques, employeur, Etat, collectivités locales…)
Pour cela, la Cour de cassation donne compétence au juge des référés, déjà habilité pour faire cesser les atteintes à l’intimité de la vie privée, pour mettre un terme au refus de communication de l’adresse, dès lors qu’elle résulte d’une manœuvre frauduleuse manifeste.
Aujourd’hui, la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 dite loi Béteille va plus loin en élargissant l’accès à l’information de l’huissier de justice chargé de l’exécution et porteur d’un titre exécutoire, en lui permettant d’obtenir des renseignements directement auprès des tiers qui les détiennent sans passer par le juge des référés.
Ainsi, les administrations de l'Etat, des régions, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou organismes contrôlés par l'autorité administrative doivent communiquer à l'huissier de justice chargé de l'exécution, porteur d'un titre exécutoire, les renseignements qu'ils détiennent permettant de déterminer l'adresse du débiteur, l'identité et l'adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier, à l'exclusion de tout autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel. (Article L 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution)
Toutefois, ces informations sont strictement limitées au cadre légal. Elles ne pourront être utilisées que dans la seule mesure nécessaire à l’exécution du ou des titres pour lesquels elles ont été demandées. Il est notamment interdit à l’huissier de justice de les communiquer à un tiers (Cass. Civ. 1ère , 22 mars 2012, n° 10-25811) ou de les réunir en un fichier nominatif.
Yaya MENDY
Etudiant en droit
Préparant l’examen d’entrée au CRFPA