Le 20 mai 2014, la Cour de cassation a jugé que l’exigence d’un préavis écrit prévue par l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce constitue une règle de fond à laquelle ne peut déroger l’auteur d’une rupture des relations commerciales établies, sous peine d’engager sa responsabilité délictuelle, quand bien même il aurait pris le soin, avant la rupture, d’informer la victime de sa volonté de rompre toute relation d’affaire.
La notion de rupture d’une relation commerciale établie est posée à l’article L 442-6, I, 5° du code de commerce qui interdit à tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers : «de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Selon la Cour de cassation, on entend par relation commerciale établie « une relation commerciale entre les parties qui revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l’interruption brutale pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaire avec son partenaire commercial ». (Cass. Rapp. Annuel 2008 p. 306)
En l’espèce, la filiale d’une société de droit français avait conclu un contrat d’approvisionnement, à long terme, en fil de verre enduit avec deux autres sociétés appartenant à un groupe de sociétés de droit néerlandais.
La société holding à laquelle appartenaient les deux sociétés de droit néerlandais avait comme objectif de parvenir à une intégration verticale de sa production ; ce qui impliquait la cessation progressive des approvisionnements de ses filiales par des sociétés tierces. Cette politique était connue de tous les opérateurs du marché.
Lors d’une réunion tenue en 2005, la société néerlandaise avait informé la société française de sa volonté de cesser progressivement ses approvisionnements auprès d'elle.
Cependant, les volumes de commandes entre la société néerlandaise et la filiale française ont continué à augmenter sur une période de 2 ans allant de 2006 à 2008. En parallèle, les partenaires commerciaux ont aussi ouverts des discussions à propos de la poursuite de leur relation commerciale jusqu’en 2010.
Malgré cela, la société néerlandaise avait notifié, par une lettre du 27 mars 2009, la cessation totale de toute commande avec la société française au titre de l’année 2009.
C’est ainsi que la société française et sa filiale ont assigné la société néerlandaise et sa maison mère en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales.
Leur demande est accueillie par les juges du fond qui ont condamné la société néerlandaise à payer à la société française une certaine somme d’argent au titre de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
La société néerlandaise et sa maison mère se sont alors pourvues en cassation en soutenant :
- D’une part, que la société française ne pouvait pas invoquer une rupture brutale des relations commerciales dans la mesure où elle était informée de la cessation progressive des approvisionnements lors de la réunion tenue en 2005. En plus de cela, elle ne pouvait pas ignorer la stratégie d’intégration verticale de la société mère qui était connu de tous les acteurs du marché ;
- Et, d’autre part, en invoquant la règle locus actum pour justifier l’absence de préavis écrit. Selon elles, la forme du préavis devait être déterminée non pas par le droit français mais plutôt par le droit néerlandais qui, en l’occurrence, ne faisait pas de l’écrit une forme obligatoire du préavis.
Cependant, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en retenant que:
« le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage, en vertu de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la responsabilité délictuelle de son auteur, l’exigence d’un préavis écrit prévue par ce texte constituant une règle de fond ; »
Par cet arrêt, la Cour de cassation a rappelé l’obligation de respecter un préavis écrit suffisant en cas de rupture d’une relation commerciale établie et cette exigence constitue, selon la cour, une règle de fond ayant vocation à s’appliquer dans les relations internationales.
En effet, pour la Cour de cassation, le fait pour la victime d’une relation commerciale établie d’être informée, avant la rupture, de la volonté de son auteur de cesser toute relation d’affaire n’est pas de nature à dispenser ce dernier de l’exigence d’un préavis écrit.
Selon les juges du droit, il ne suffit pas uniquement d’informer la victime de son intention de rompre toute relation commerciale, ni d’apporter la preuve que cette dernière avait bien eu connaissance de la cessation progressive des approvisionnements pour se libérer de l’exigence d’un préavis écrit prévue par l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
L’auteur d’une rupture des relations commerciales établies doit non seulement respecter un préavis écrit mais aussi et surtout, prendre la précaution d’en aviser suffisamment à l’avance son partenaire économique afin que ce dernier puisse s’adapter à ces modifications.
Le caractère suffisant du préavis s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.
La position de la Cour de cassation s’explique par le fait que la rupture d’une relation commerciale vise à protéger la partie victime qui est le plus souvent considérée comme étant la partie faible.
En effet, la notion de rupture d’une relation commerciale établie a pour objectif de sanctionner toute rupture jugée brutale ; c’est-à-dire une rupture imprévisible, soudaine et violente créant un déséquilibre dans les affaires de la victime.
C’est sur la légitimité de la croyance de la victime en la pérennité de la relation commerciale ainsi que dans l’absence ou la brièveté du préavis que les jugent prennent appui pour apprécier la brutalité de la relation qui a été rompue.
Or, en l’espèce, le caractère ancien et suivi du flux d’affaires entre les parties, l’augmentation du volume des commandes entre 2006 et 2008 ainsi que l’existence de négociations à propos d’approvisionnements ultérieurs étaient de nature à créer dans l’esprit de la victime une croyance légitime en la pérennité de leur relation commerciale de telle sorte qu’elle pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaire avec son partenaire commercial.
Même s’il est possible d’envisager que les négociations entreprises par les partenaires commerciaux n’ont pas été concluantes, n’empêche que l’auteur de la rupture aurait du prendre la précaution d’aviser suffisamment à l’avance la victime de sa volonté de rompre toute relation avec elle afin que cette dernière puisse prendre des mesures nécessaires pour remédier à la désorganisation que la rupture pourrait lui causer.
C’est donc en raison de la brièveté du préavis donné que l’auteur de la rupture des relations commerciales a été condamné, en l’espèce, par la Cour de cassation.
Il ressort clairement de cet arrêt qu’il est interdit de rompre une relation commerciale établie sans un préavis écrit suffisant sous peine d’engager la responsabilité délictuelle de son auteur.
Yaya MENDY
Etudiant en droit
Préparant l’examen d’entrée au CRFPA