La prescription acquisitive, encore appelée usucapion, est le fait pour le possesseur d’un bien sans droit ni titre d'acquérir la propriété de celui-ci, après l'écoulement d'un certain délai durant lequel il s’est comporté comme le véritable propriétaire.
Normalement, le délai requis pour acquérir la propriété d’un bien par prescription est de trente ans mais ce délai peut parfois être ramené à dix ans dans certaines conditions. C’est ce qu’on désigne par la prescription acquisitive abrégée ou usucapion décennale.
La prescription acquisitive abrégée vise à protéger l’acquéreur de bonne foi d’un bien immobilier qui dispose d’un titre de propriété entaché d’une irrégularité ne lui permettant pas d’acquérir des droits réels sur ledit bien. L’usucapion décennale vise donc à remédier à cette cause d'inefficacité en protégeant l’acquéreur.
Toutefois, pour bénéficier de l’abréviation du délai de prescription, le possesseur du bien immobilier doit non seulement respecter les conditions de la prescription acquisitive de droit commun énumérées par l'article 2261 du code civil mais aussi des conditions supplémentaires requises par l'article 2272 alinéa 2 du même code.
En effet, selon cet article, pour profiter de la prescription acquisitive abrégée :
- Le bien possédé doit d’abord être un immeuble,
- Ensuite, le possesseur doit disposer d’un juste titre,
- Et, enfin, être de bonne foi.
1°) la possession d’un bien immeuble
C'est en matière immobilière que nous avons l'abréviation du délai de prescription de trente ans à dix ans. C’est ce qui ressort de l’article 2272 du Code civil qui dispose : « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ».
Le bien possédé doit donc être un immeuble pour pouvoir invoquer le bénéfice de la prescription acquisitive abrégée.
Pour les meubles corporels, l'effet de la possession est beaucoup plus radical encore puisque c'est un effet immédiat en cas de bonne foi du possesseur.
En effet, la possession fait acquérir la propriété immédiatement, sans attendre l'écoulement d'un délai, sauf l'hypothèse du meuble perdu ou volé où il y a une suspension pendant trois ans de l'effet acquisitif.
Ainsi, selon l’article 2276 du code civil : « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »
En dehors de cette hypothèse, l'effet acquisitif d’un bien meuble corporel est toujours immédiat au profit du possesseur de bonne foi.
2°) L’existence d’un juste titre
La prescription acquisitive abrégée suppose en outre l’existence d’un juste titre.
En effet, selon la Cour de cassation, pour servir de fondement à l’usucapion décennale, le juste titre doit être translatif de droit réel immobilier, régulier et définitif (Cass. Civ. 3e, 6 novembre 1969), nonobstant la réelle qualité du propriétaire.
Le juste titre désigne un acte translatif de propriété à titre particulier, c’est-à-dire un acte dont le but est de transférer la propriété et qui porte sur un ou plusieurs biens immobiliers déterminés et destinés à être transmis isolément.
Ceci s'oppose aux transmissions universelles ou à titre universel réalisées tout particulièrement par voie successorale.
Dit autrement, cela signifie qu’un héritier ne peut se fonder sur la transmission successorale pour prétendre prescrire de façon abrégée un immeuble qu'il a trouvé dans la succession. En effet, pour prescrire un immeuble, un héritier doit remplir les conditions de droit commun ; c’est-à-dire rapporter la preuve d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire pendant 30 ans (article 2261 du code civil).
Pour faire simple, on doit être en présence d’une vente, d’une donation ou d’un échange entaché d’une irrégularité pour pouvoir invoquer l’usucapion décennale.
En effet, le juste titre visé par l’article 2272 du code civil est un acte qui a pour but de transférer la propriété d’un immeuble mais qui ne permet pas ce transfert en raison de son inefficacité.
Généralement, les causes d'inefficacité du juste titre se distinguent selon que le titre émane d'un non-propriétaire ou bien du propriétaire lui-même.
Lorsque le juste titre émane d'un non-propriétaire, la cause d'inefficacité découle du défaut de qualité de l'auteur. L’usucapion vise donc à remédier à cette cause d'inefficacité qui tient précisément au défaut de qualité. Il faut néanmoins que le titre soit tel que s'il était émané du propriétaire véritable, il eut transféré la propriété.
Par conséquent, l’acte visant à transférer la propriété de l’immeuble ne doit être ni nul, ni inexistant. L'usucapion ne se produira pas de façon abrégée en vertu d’un acte nul ou inexistant.
Ainsi, par exemple, la prescription acquisitive abrégée ne peut servir à remédier à une cause de nullité de l'acte conclu entre le véritable propriétaire et une personne à qui il voulait transférer la propriété.
En effet, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 2272, alinéa 2, lorsque le possesseur a acquis le droit sur l’immeuble du véritable propriétaire (Cass. Civ. 3e, 21 novembre 2005, pourvoi n° 04-15.109).
La prescription acquisitive abrégée suppose donc un transfert de propriété consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire.
En d’autres termes, il faudrait que le possesseur du bien immobilier ait traité avec une personne non titulaire du droit de propriété pour pouvoir bénéficier de la prescription immobilière abrégée.
Ce principe souffre toutefois d’une exception. C'est l'hypothèse où deux ventes successives du même immeuble ont été conclues par le véritable propriétaire au profit de deux acquéreurs différents.
Dans cette hypothèse, le concours entre les deux acheteurs est réglé par le dispositif de la publicité foncière. Se trouve préféré celui qui a publié le premier son droit. Ainsi, par exemple, si le second acquéreur publie son acte avant le premier acquéreur, ce dernier ne pourra pas, en principe, faire valoir son droit contre le second acquéreur.
Cependant, si la possession au profit du premier acquéreur dure dix ans, et que ce dernier est par ailleurs de bonne foi, il pourra récupérer la propriété du bien immobilier par le biais de la prescription acquisitive même si son juste titre émane du véritable propriétaire.
3°) Etre de bonne foi
Le possesseur du juste titre doit enfin être de bonne foi pour pouvoir prescrire dans le délai abrégé de dix ans.
La bonne foi consiste en la croyance d'acquérir la propriété du véritable titulaire du droit. Elle suppose une erreur du possesseur sur la qualité de son auteur.
En effet, selon la Cour de cassation, « la bonne foi [...] consiste en la croyance de l’acquéreur, au moment de l’acquisition, de tenir la chose du véritable propriétaire ». (Cass. Civ. 3e, 15 juin 2005, pourvoi n° 03-17.478)
En revanche, l’acquéreur de mauvaise foi ne pourra bénéficier que des règles relatives à la prescription trentenaire (30 ans). Le possesseur est considéré comme étant de mauvaise foi dès lors qu’il occupe les lieux en sachant qu’il n’est pas le titulaire du droit qu’il exerce.
Le possesseur doit donc avoir la conviction sincère de conclure avec le véritable propriétaire pour pouvoir invoquer la prescription abrégée.
C'est au moment de l'acquisition de l’immeuble que la bonne foi s'apprécie, comme l'indique l'article 2275 du code civil. En effet, la découverte de la réalité pendant le cours de la prescription n'empêche pas celle-ci de s'accomplir.
Et comme toujours la bonne foi est présumée conformément à l’article 2274 du code civil. Le possesseur du bien immobilier bénéficie, en conséquence, d’une véritable protection puisque c'est à l'adversaire qui conteste cette bonne foi de faire la preuve de sa mauvaise foi.
Il convient de noter pour finir, que la prescription acquisitive abrégée vise à protéger l’acquéreur de bonne foi d’un bien immobilier qui aurait acquis ledit bien d’un cédant qui n’est pas le véritable propriétaire mais qui s’est comporté comme tel.
Elle constitue ainsi une règle originale dans l’environnement juridique du droit de propriété dans la mesure où elle permet de suppléer à l’inefficacité dont serait entachée un titre de propriété en permettant à des possesseurs de bonne foi d’acquérir des droits réels immobiliers sur un immeuble par l’effet de la prescription sans attendre un délai de 30 ans.