En principe, le droit de propriété est un droit absolu auquel nul ne peut porter atteinte si ce n’est pour une cause d’utilité publique.
Ce droit de propriété est imprescriptible même si son titulaire n’exerce pas en fait une maîtrise sur la chose.
Toutefois, il peut arriver qu'une personne, sans être propriétaire, c’est-à-dire sans avoir aucun pouvoir juridique sur la chose, acquiert malgré tout un droit de propriété sur celle-ci au détriment du véritable propriétaire.
En effet, le législateur a permis, dans certains cas, qu’il soit porté atteinte au droit de propriété en permettant à des possesseurs d’acquérir des droits réels sur une chose appartenant à autrui par l’effet du temps. C’est ce qu’on désigne en droit par le terme prescription acquisitive ou usucapion.
La prescription acquisitive est, selon l’article 2258 du Code civil, "un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi."
Cette institution qui répond à un motif d’intérêt général de sécurité juridique, nous dit la Cour de cassation, permet au possesseur d’un bien (c’est-à-dire celui qui exerce sur la chose un pouvoir de fait se traduisant par des actes d'appréhension matérielle) d'acquérir la propriété de celui-ci, après l'écoulement d'un certain délai durant lequel il s’est comporté comme le propriétaire, sans en avoir le titre.
Cette prescription acquisitive concerne toutes les choses, meubles ou immeubles susceptibles d'une appropriation privative, à l’exception des biens dépendants du domaine public qui sont imprescriptibles.
Généralement, on s'accorde à retenir plusieurs raisons pour justifier la protection du possesseur.
D'abord on évoque la nécessité de maintenir l'ordre public. Refuser de protéger la possession, dit-on, serait autoriser les actes de violence. Ce serait en effet permettre au propriétaire dépossédé de se faire justice à lui-même pour reprendre la maîtrise de la chose. Il faut donc protéger le possesseur, même contre le propriétaire, car il faut protéger la paix publique et parce que la justice privée est prohibée.
Ensuite, on évoque un intérêt économique qui peut conduire à préférer le possesseur jusqu'à d'ailleurs lui faire acquérir la propriété, parce que le possesseur met en valeur le bien, il l'exploite. Au contraire, peut-être le propriétaire, lui, s'en est-il désintéressé pendant longtemps. Il ne fait plus rien. La protection de la possession de celui qui met en valeur les biens est une incitation à l'exploitation des biens. Et économiquement c'est plutôt une bonne chose.
Enfin on évoque aussi, parfois, la nécessaire sécurité des transactions. Pour que les transactions se concluent facilement et rapidement, ce qui est évidemment très souhaitable, il convient que ceux qui ont traité de bonne foi avec le possesseur de la chose en le croyant propriétaire, ne risquent pas de voir les contrats conclus contestés de façon trop facile. L'effet acquisitif parfois attaché à la possession permet de consolider ainsi les droits des tiers et c'est bon pour les transactions.
Toutefois, pour pouvoir prescrire, le possesseur doit remplir certaines conditions.
I- Les conditions de la prescription acquisitive
La prescription acquisitive ou usucapion suppose une possession non viciée, c'est-à-dire que la possession doit présenter les qualités pour prescrire.
Ces conditions sont énumérées par l'article 2261 du Code civil qui dispose : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »
Concrétement, cela signifie que la possession doit être :
- continue : c’est-à-dire être exercée à tout moment, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession discontinue.
- paisible : c’est-à-dire le possesseur ne doit pas appréhender le bien par la force, la violence, ou encore par la voie de fait.
- publique : la possession doit être connue de tous et ne doit pas être dissimulée.
- non équivoque : le possesseur doit manifester sans ambiguïté son intention de se comporter en propriétaire.
- exercée à titre de propriétaire : c'est bien de la possession et non de simple détention dont il doit s'agir. Sont donc exclus le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire.
En revanche, la bonne foi n'est pas nécessaire. Même le possesseur de mauvaise foi, qui sait qu'il n'est pas propriétaire mais qui a l'intention de se comporter comme le véritable propriétaire, finit par acquérir la propriété de la chose avec le temps.
Quant au délai nécessaire pour prescrire, l'article 2272 du code civil dispose que : « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans ». Mais le législateur n'a rien prévu pour la prescription acquisitive en matière mobilière.
Certes, il envisage aux articles de 2276 et 2277 du même code l'hypothèse de l'effet acquisitif immédiat pour le possesseur de bonne foi mais il ne dit rien pour le possesseur de mauvaise foi.
Certains auteurs ont donc considéré que la propriété mobilière est imprescriptible au profit du possesseur de mauvaise foi.
Mais la tendance générale est plutôt à admettre que le délai de prescription doit être aussi de 30 ans en matière mobilière, lorsque le possesseur est de mauvaise foi, à l'instar de ce qui se produit en matière immobilière.
Par ailleurs, le délai de prescription peut être réalisé ou atteint par une possession d'une seule personne pendant 30 ans. Mais il peut aussi se réaliser par une jonction de deux possessions ou de plusieurs possessions (article 2265 du code civil).
Cette jonction des possessions est réalisée avec l'auteur (par exemple le défunt dont le possesseur actuel a hérité). Il peut aussi s'agir d'une personne qui a transmis des biens à titre particulier (par la vente par exemple)
En outre, le délai de prescription acquisitive est susceptible d'interruption ou de suspension.
L'interruption de la prescription a pour effet de remettre le compteur du délai à zéro.
Les causes d'interruption de la prescription acquisitive sont :
- La citation en justice : par exemple lorsque le propriétaire agit en revendication,
- La reconnaissance du droit litigieux : le possesseur reconnaît qu'il n'est pas propriétaire,
- La perte du corpus de la possession : le possesseur a perdu la maitrise de la chose.
Quant à la suspension du délai de prescription, elle a pour conséquence d'arrêter le cours du délai tant que la cause de suspension dure. Lorsque la cause de suspension cesse, le délai de prescription repart. Il repart au point où il en était arrivé et il n'y a plus qu'à compléter pour arriver à la totalité du délai trentenaire.
Parmi les causes de suspension de la prescription acquisitive se trouve tout particulièrement l'incapacité du véritable propriétaire (parce qu'il a été placé sous tutelle ou parce qu'il est mineur).
Mais de façon plus générale, on admet une cause de suspension de la prescription qui est exprimée en latin : contra non valentem agere non curit praescriptio (contre celui qui ne peut pas valablement agir, la prescription ne court pas). L'article 2234 du code civil reprend cette idée.
II- L'effet de l'écoulement du délai trentenaire.
L’écoulement du délai trentenaire fait acquérir la propriété.
Toutefois, l'acquisition de la propriété ne se produit pas de plein droit.
En effet, la prescription acquisitive ne s’applique pas automatiquement. Le possesseur ne bénéficiera de la prescription acquisitive que s'il l'invoque.
La revendication par le possesseur d’un droit de propriété sur un bien par la voie de l’usucapion peut se faire de deux manières :
- Soit en engageant une action judiciaire pour faire constater que le bien lui est acquis,
- Soit en opposant à l’action en revendication engagée contre lui par le véritable propriétaire, une fin de non-recevoir tirée de la prescription acquisitive.
La preuve de la possession du bien peut être faite par tous moyens, et notamment par un acte de notoriété.
Il convient de noter, pour conclure, que lorsque la prescription est acquise, elle produit un effet rétroactif. En effet, tout se passe comme si le possesseur avait acquis la chose dès sa prise de possession.
En conséquence, les droits qu'il a pu constituer sur la chose, pendant l'écoulement du délai de prescription, sont rétroactivement consolidés.