La victime d’un dommage n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable.
Le principe de réparation intégrale est le principe en vertu duquel le responsable du préjudice doit indemniser tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement de la victime.
Ce principe trouve son fondement dans l’article 1382 du code civil aux termes duquel « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Il s’agit d’un principe de stricte équivalence entre la réparation et le dommage.
En effet, selon la Cour de cassation, «le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ». (Cass. civ. 2e, 28 octobre 1954, J.C.P. 1955, II, 8765)
En d’autres termes, il s’agit pour le juge de s’efforcer, autant faire se peut, de rétablir la victime dans une situation identique à celle qui aurait été la sienne si l’acte dommageable ne s’était pas produit tout en évitant qu’elle puisse tirer de la réparation un enrichissement injuste.
Toutefois, la question s'est posée de savoir si l'auteur de l'infraction pouvait être partiellement exonéré de sa responsabilité civile lorsque la victime n’a pris aucune mesure pour limiter son dommage.
C’est ce qui ressort d’un arrêt rendu le 26 mars 2015 par la Cour de cassation (Cass. civ 2e, 26 mars 2015, pourvoi n° 14-16011).
En l’espèce, un cuisinier avait été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur.
A la suite de l’accident, il a été déclaré inapte à la profession de cuisinier par le médecin du travail puis licencié par son employeur après avoir refusé un reclassement à un emploi adapté à ses capacités intellectuelles et physiques restantes.
La victime a alors assigné le responsable de l’accident et son assureur en réparation de ses préjudices.
Devant les juges du fond, la question s’est posée de savoir si l’auteur du dommage devait réparer l’intégralité du dommage subi par la victime conformément au principe de la réparation intégrale ou si, au contraire, on doit réduire le montant de l’indemnisation due en tenant compte du refus de la victime d’occuper un emploi adapté à ses capacités.
Il faut noter, par ailleurs, que les juridictions civiles ont admis depuis longtemps que la faute de la victime est une cause d'exonération totale ou partielle de responsabilité de l'auteur du dommage.
S’appuyant sur cette jurisprudence, la Cour d’appel s’était prononcée en faveur de la seconde solution en limitant l’indemnisation de la victime.
En effet, pour diviser par deux la somme allouée à la victime au titre de gains professionnels futures, les juges du fond retiennent que le défaut d’activité professionnelle de la victime a pour cause d’une part, l’état séquellaire consécutif à l’accident de la circulation et, d’autre part, le refus d’occuper un poste adapté à ses capacités intellectuelles et physiques.
Cependant, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1382 du code civil en énonçant :
«l’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».
Il ressort donc de cet arrêt que le fait de la victime n’entache pas le principe de la réparation intégrale.
En effet, le responsable n’est pas moins tenu de réparer le dommage causé à la victime quand bien même celui-ci aurait pu être évité par la victime.
La Cour de cassation consacre ainsi l’absence d’obligation de la victime de modérer son dommage en matière délictuelle.
La solution n’est cependant pas nouvelle car elle s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation.
En effet, la Cour de cassation a déjà jugé qu’une victime, qui exploitait un fonds de boulangerie et qui avait subi un accident l'empêchant de reprendre son activité de boulanger pendant de nombreux mois, n'était pas tenue de faire exploiter le fonds par un tiers et doit obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de son fonds. (Cass. civ. 2e, 19 juin 2003, pourvoi n°00-22302)
De même, il a été jugé que : « Le refus d'une personne, contaminée par le virus de l'hépatite C, de se soumettre aux traitements médicaux préconisés, dès lors qu'elle n'a pas l'obligation de les suivre, ne peut entraîner ni la perte ou la diminution de son droit à indemnisation au titre d'un préjudice spécifique de contamination, ni la prise en compte d'une aggravation susceptible de découler d'un tel choix. » (Cass. civ 1ère, 3 mai 2006, pourvoi n°05-10411)
Il convient donc de noter pour conclure que le principe de la réparation intégrale emporte deux séries de conséquences :
- D’abord, l'indemnisation doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage.
- Ensuite, il est fait totalement abstraction de l'auteur et de la victime pour ne retenir comme critère d'évaluation que le seul préjudice. Dès lors, l'évaluation du dommage doit être faite exclusivement en fonction du préjudice subi.
Je reste à votre disposition pour toutes questions supplémentaires.
Yaya MENDY