Le 12 décembre 2014, la Cour de cassation a jugé que le défaut de mise en œuvre d’une procédure de conciliation préalable ne peut être régularisé en cours d’instance. (Cass Ch. mixte, 12 décembre 2014, pourvoi n° 13-19684)
Pour mémoire, la procédure de conciliation ou de médiation est un processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends avec l'aide d'un tiers appelé conciliateur ou médiateur.
C’est un mode alternatif de résolution des conflits qui connaît un essor considérable ces dernières années et occupe une place de plus en plus grande dans le règlement des conflits.
Généralement, on lui prête un certain nombre d’avantages, notamment :
- son coût : très faible comparé au procès ou à l’arbitrage ;
- son esprit : elle permettrait de résoudre le différend opposant les parties en préservant pour l’avenir la qualité de leur relation;
- ses qualités : la rapidité de la décision, la souplesse du processus, l’absence de formalisme, la confidentialité et enfin la possibilité de transiger.
Tous ces avantages expliquent le fait que les parties contractantes ont de plus en plus recours à ce processus en stipulant dès la conclusion de leur contrat une clause dite clause de conciliation ou de médiation.
La clause de conciliation ou de médiation est une clause par laquelle les parties conviennent, dès la conclusion de leur contrat, de subordonner toute action contentieuse à une tentative préalable et obligatoire de recherche d’une solution amiable avec l’aide d’un tiers (médiateur ou conciliateur).
La contractualisation de la procédure de conciliation ou de médiation a pour conséquence de faire naître à la charge des parties deux séries d'obligations, à savoir:
- une obligation de faire: qui consiste à mettre effectivement en oeuvre la procédure de conciliation ou de médiation; c'est-à-dire l'organisation matérielle d'un cadre de négociation qui se traduit concrétement par le fait de prendre contact, nommer le ou les médiateurs et se présenter au moins devant lui.
- une obligation de ne pas faire: qui consiste à ne pas porter le différend devant le juge ou l'arbitre tant que la clause de conciliation ou de médiation n'a pas été mise en oeuvre. C'est ce que Philippe Grignon désigne par "l'obligation de ne pas agir en justice". Il s'agit en effet d'une renonciation temporaire au droit d'agir en justice.
Dès lors, la partie qui souhaite porter le différend devant un juge ou se libérer de ladite clause devra par conséquent prouver que celle-ci a été mise en œuvre, ou bien elle a abouti à un constat d’échec établi par un procès verbal de non-conciliation, ou rapporter la preuve d’une renonciation expresse des parties.
A défaut, la saisine directe du juge en méconnaissance de la procédure de conciliation préalable et obligatoire est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande en justice.
En effet, selon la Cour de cassation:
« la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent ». (Cass. Ch. mixte. , 14 février 2003, pourvoi n°00-19423)
La Cour de cassation reconnaît ainsi une force obligatoire aux clauses de conciliation ou de médiation en sanctionnant leur violation par une fin de non recevoir ; c’est-à-dire un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir. (article 122 du code de procédure civile)
Comme toute fin de non-recevoir, la clause de médiation en suit, par conséquent, le régime.
En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que la clause de conciliation ou de médiation :
- peut être invoquée à tout moment de l’instance y compris pour la première fois en appel (Cass, com., 22 février 2005, pourvoi n° 02-11519);
- elle est susceptible de renonciation (Cass, com., 28 novembre 1995, pourvoi n° 94-12285);
- elle peut faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance (Cass, 2e civ, 16 décembre, 2010, pourvoi n° 09-71575);
- sa mise en œuvre suspend jusqu’à son issue la prescription (Cass ch. Mixte, 14 février 2003, pourvoi n° 00-19423);
- et ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés (CA, Paris, 13 octobre 2006, RG n° 06/13726).
Par contre, le juge n’a pas l’obligation de la relever d’office en raison de son origine conventionnelle. (Cass ch. Mixte, 14 fév. 2003 ; CA Paris, 7 mai 2009, n° 07/03543).
Toutefois, si l’application à la clause de conciliation ou de médiation du régime des fins de non-recevoir a pour effet de lui accorder un plein effet juridique, en revanche, elle contribue, dans certains cas, à réduire considérablement sa force obligatoire.
C’est notamment le cas lorsque la Cour de cassation, s’appuyant sur l’article 126 du code de procédure civile a jugé que :
«le défaut de mise en œuvre d'une clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée en cours d'instance ». (Cass, 2e civ, 16 décembre, 2010, pourvoi n° 09-71575)
Si la solution est juridiquement justifiée au regard de l’article 126 du code de procédure civile aux termes duquel lorsque «la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue », elle contribue, néanmoins, à affaiblir considérablement la force obligatoire des clauses de conciliation ou de médiation.
En effet, comme nous le savons, le préliminaire obligatoire de conciliation ou de médiation a pour objet de priver les parties de leur pouvoir de saisir le juge tant que la procédure de conciliation ou de médiation n’a pas été mise en œuvre.
Or, en octroyant aux parties la faculté de régulariser le défaut de mise en œuvre de la procédure de conciliation obligatoire et préalable en cours d’instance, la Cour de cassation donne ainsi aux parties la possibilité d’échapper à la force obligatoire de la clause de conciliation ou de médiation et ce faisant vide cette dernière de tout son sens.
La possibilité de régulariser la procédure de conciliation en cours d'instance permettrait par exemple à une partie de saisir le juge et, le temps pour ce dernier de se prononcer sur l’affaire, de mettre en œuvre la procédure de médiation qui, dans la plupart des cas se termine par un constat d’échec.
Dans ces conditions, et pour reprendre Caroline Pelletier « la clause de conciliation risque de ne donner lieu qu'à des rapprochements en trompe-l'œil, voués à un échec programmé ».
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation est finalement revenue sur sa jurisprudence antérieure en jugeant, le 12 décembre 2014, que le défaut de mise en œuvre d’une procédure de conciliation préalable ne peut être régularisé en cours d’instance.
En l'espèce, un contrat d'architecte, conclu entre une société immobilière et une société d'architecture et d'urbanisme pour la construction d'un ensemble immobilier, contenait une clause de conciliation préalable et obligatoire qui prévoyait la saisine pour avis du Conseil régional de l’ordre des architectes dont relève le maître d’œuvre avant toute procédure judiciaire.
Un litige survenant dans l’exécution dudit contrat, la société maitresse d’ouvrage a alors assigné l’architecte en paiement de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1146 et suivants du code civil ;
Postérieurement à l’acte introductif d’instance, la société maitresse d'ouvrage met en œuvre la procédure de conciliation préalable et obligatoire en saisissant pour avis le Conseil régional de l'ordre des architectes conformément à la clause de conciliation.
Les juges du fond avaient déclaré sa demande irrecevable pour défaut de mise en œuvre de la procédure de conciliation préalable avant l'introduction du procès et ont jugé qu’aucune régularisation postérieure à l'introduction de l'instance n'était envisageable.
La maitresse d’ouvrage s’est alors pourvue en cassation en soutenant, à l’appui de l'article 126 du code de procédure civile, que le défaut de mise en œuvre d'une clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée jusqu'au jour où le juge statue, même postérieurement à l'acte introductif d'instance.
Cependant, le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui approuve la décision des juges du fond en retenant que :
«la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n'est pas susceptible d'être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d'instance » (Cass Ch. mixte, 12 décembre 2014, pourvoi n° 13-19684)
Cette solution est une aubaine pour la clause de conciliation ou de médiation dans la mesure où elle consacre la force obligatoire de ladite clause en lui donnant un plein effet juridique ; ce qui oblige les parties à la mettre d’abord en œuvre avant de pouvoir porter l’affaire devant le juge.
Enfin, il est intéressant de relever avec intérêt que la clause de conciliation ou de médiation ne fait naître à la charge des parties qu’une obligation de rechercher de bonne foi une solution négociée du litige sans être tenues de parvenir à un accord. Les parties gardent ainsi la faculté de mettre un terme à la procédure de conciliation ou de médiation à tout moment.
Toutefois, la responsabilité d’une partie pourra être recherchée sur le fondement de l’article 1134, alinéa 3 du code civil, s’il est démontré qu’elle a agi de mauvaise foi en faisant preuve de légèreté blâmable par exemple.
Je reste à votre disposition pour toutes questions supplémentaires.
Yaya Mendy