La sanction de l'inexécution de la promesse de porte-fort

Publié le 20/04/2018 Vu 5 543 fois 0
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Par un arrêt du 7 mars 2018 (Cass. 1ère civ., 7 mars 2018, n°15-21.244), la Cour de cassation rappelle que l’inexécution de la promesse de porte-fort ne peut être sanctionnée que par la condamnation de son auteur à des dommages-intérêts et non par la résolution de la transaction qui contient cet engagement.

Par un arrêt du 7 mars 2018 (Cass. 1ère civ., 7 mars 2018, n°15-21.244), la Cour de cassation rappelle que

La sanction de l'inexécution de la promesse de porte-fort

  1. Bref rappel de ce qu’est la promesse de porte-fort

L’ancien article 1119 du Code civil (devenu l’article 1203 du Code civil) disposait qu’ « on ne peut, en général, s’engager, ni stipuler, en son propre nom, que pour soi-même ». Toutefois, l’ancien article 1120 du Code civil (devenu l’article 1204 du Code civil), qui lui succédait immédiatement, disposait que « néanmoins, on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ».

La promesse ou clause de porte-fort peut être définie comme la convention « par laquelle une personne s’engage envers une autre (qui accepte le risque) à obtenir l’approbation d’un tiers à un acte envisagé et s’expose personnellement à une indemnité pour le cas où ce tiers, comme il est libre de le faire, refuserait de ratifier l’acte[1] ».

La promesse de porte-fort ne constitue pas une véritable exception au principe de l’effet relatif des contrats, dès lors que le tiers n’est pas tenu de ratifier l’engagement, à la différence du porte-fort qui s’engage personnellement à obtenir le consentement du tiers.

L’obligation du porte-fort d’obtenir le consentement du tiers s’analyse en une obligation de résultat[2]. Aussi, le porte-fort ne pourra se décharger de son obligation qu’à la ratification ou l’exécution de l’engagement par le tiers.

En cas de refus du tiers de ratifier ou d’exécuter l’engagement promis par le porte-fort, ce dernier engage sa responsabilité sur le terrain de la responsabilité contractuelle ; le créancier ne doit alors que prouver la non-obtention du résultat promis. Cette réparation s’opère en argent, par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires[3]

Le nouvel article 1204, alinéa 3 du Code civil précise que « lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit ».

En revanche, cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas spécifique du « porte-fort d’exécution », c’est-à-dire dans le cas où le porte-fort garantit l’exécution d’une obligation par un tiers. Dans le cas du « porte-fort d’exécution », « l’exécution du fait promis par le tiers n’a pas à produire d’effet rétroactif[4] ».

  1. Faits de l’espèce

Dans le cadre d’un litige l’opposant à l’un de ses salariés, une société avait été condamnée, par le Conseil de prud’hommes, à lui verser une somme de près de 180.000 Euros.

Par la suite, un accord transactionnel avait été conclu entre les parties.

Au terme de cet accord transactionnel, la société versait à son ancien salarié une somme de 72.000 Euros et s’engageait, par promesse de porte-fort, à ce que le groupe, auquel appartient la société, reprenne des relations contractuelles avec cet ancien salarié, exerçant alors à titre libéral et indépendant.

En contrepartie, l’ancien salarié renonçait à l’exécution du jugement rendu par le Conseil de prud’hommes lui ayant accordé le versement de cette somme de près de 180.000 Euros.

Or, dès lors qu’aucune mission ne fut proposée à l’ancien salarié, celui-ci, invoquant l’inexécution de la promesse de porte-fort, sollicitait la résolution judiciaire de l’accord transactionnel ainsi que l’octroi de dommages-intérêts.

  1. Position de la Cour d’appel

La Cour d’appel accueillit cette demande au motif que « la convention contenant une promesse de porte-fort est susceptible de résolution en cas d’inexécution totale ou partielle et qu’il n’est pas contesté qu’aucune mission n’a été proposée [au salarié] entre 2003 et 2010 » par le groupe.

  1. Solution de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 7 mars 2018, au visa des anciens articles 1184 et 1120 du Code civil, la Cour de cassation censura l’arrêt rendu par la Cour d’appel, mais seulement en ce qu’il avait prononcé la résolution de la transaction, au motif que « l’inexécution de la promesse de porte-fort ne peut être sanctionnée que par la condamnation de son auteur à des dommages-intérêts ».

  1. Analyse

Dans cette affaire, l’accord transactionnel conclu entre le salarié et la société comportait, outre l’obligation de versement d’une somme d’argent, à titre d’indemnité transactionnelle, une clause de porte-fort.

Aussi, la logique, notamment suivie par la Cour d’appel, voudrait que l’inexécution de la promesse de porte-fort, faisant partie intégrante de la transaction, entraîne la résolution de l’accord transactionnel et le versement de dommages-intérêts, sur le fondement de l’ancien article 1184 du Code civil.

En suivant toujours cette logique, la résolution ayant traditionnellement un effet rétroactif, « les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient antérieurement à sa conclusion[5] ». Partant, la résolution de l’accord transactionnel aurait permis au salarié de reprendre l’exécution du jugement rendu par le Conseil de prud’hommes et prévoyant le versement d’une somme de près de 180.000 Euros.

Or, la Cour de cassation ne va pas l’entendre ainsi et l’arrêt rendu par la Cour d’appel va inévitablement subir la censure.

De manière constante, la Cour de cassation considère que la non-exécution de l’engagement est sanctionnée par l’attribution de dommages-intérêts[6].

En effet, comme le rappelle un auteur, cette jurisprudence s’explique par le fait que « la promesse de porte-fort est un engagement personnel autonome d’une personne qui promet à son cocontractant d’obtenir l’engagement d’un tiers à son égard[7] » ; tiers qui a toute liberté pour accomplir ou non le fait promis.

Par conséquent, cette solution dégagée par la Cour de cassation dans cet arrêt du 7 mars 2018 est cohérente au regard de sa ligne jurisprudentielle en la matière.

Surtout que cette solution jurisprudentielle a fait l’objet d’une codification, à la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, puisque le nouvel article 1204, alinéa 2 du Code civil dispose que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages-intérêts ».

En tout état de cause, dans le présent cas d’espèce, l’exclusion de toute résolution de l’accord transactionnel ne protège pas la société d’une lourde condamnation, dès lors que les juges du fond pourraient décider de la condamner à verser le différentiel indemnitaire existant entre la somme versée au titre de l’accord transactionnel (72.000 Euros) et les sommes allouées en exécution du jugement du Conseil de prud’hommes (179.321,26 Euros).


[1] Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 8ème édition, 2009, Presses universitaires de France, p. 694.

[2] Cass. soc. 3 mai 2012, n°11-10.501

[3] JCP, Fasc. Contrats et obligations – Promesse de porte-fort, Michel Storck, p. 28

[4] Fabre-Magnan M., Droit des obligations, 1 – Contrat et engagement unilatéral, Thémis droit, PUF, 4ème édition, 2016, p. 596

[5] Ibid., p.748

[6] Paris, 4 nov. 2008, RG n°07/08909

[7] Fabre-Magnan M., op. cit., p. 595

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