Après Twitter en 2018 et Google en février 2019, l'association UFC que choisir a remporté une bataille judiciaire de plus de 5 ans à l'encontre de Facebook. Les clauses des conditions générales d'utilisation de Facebook, ont été déclarées abusives et/ou illicites par jugement du Tribunal de grande instance de Paris le 9 avril 2019. Cette décision démontre à quel point Facebook a "délaissé" la protection des données personnelles de ses utilisateurs.
1/ Rappel des faits
Les conditions générales d'utilisation (CGU) de Facebook, liant les utilisateurs français au contrat de réseautage social Facebook comprennent trois documents contractuels principaux :
- La "déclaration des droits et responsabilités",
- La "politique d’utilisation des données",
- Les "standards de la communauté Facebook",
- Et un quatrième document intitulé "cookies, pixels et technologies similaires", qui 'en déterminant la politique menée par Facebook en matière de cookies, complète les trois documents précités".
L'association de l'UFC Que Choisir a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris la société Facebook Ireland aux fins de faire constater le caractère abusif ou illicite de clauses des "Conditions Générales d’Utilisation" de la plate-forme au sein des quatre documents précités, dans les versions de 2013, 2015, 2016, de les faire supprimer ou de les faire réputées non-écrites et de réparer le préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs.
2/ La décision du Tribunal de grande instance de Paris
Le Tribunal a déclaré recevable l’ensemble des demandes formées par l’association UFC Que Choisi à l’encontre de la société de droit irlandais FACEBOOK IRELAND. Les juges ont considéré que les 430 clauses des conditions générales d’utilisation du réseau social Facebook dans sa version de 2013, 2015 et 2016, comprenant les quatre documents susmentionnés, sont réputées non-écrites en raison de leur caractère abusif ou illicite dans tous les contrats proposés par la société Facebook, y compris ceux qui ne sont plus proposés.
Le Tribunal a ordonné à Facebook de permettre à l’ensemble de ses adhérents français la lecture de l’intégralité du présent jugement par le moyen d’un lien hypertexte dans une bannière exclusivement dédiée devant figurer sur la page d’accueil de son site Internet pendant une durée de trois mois, sous astreinte provisoire de 5 000¤ par jour de retard.
Il condamne Facebook à payer au profit de l’association UFC Que choisir, la somme de 30 000¤ en réparation du préjudice moral ayant été occasionné à l’intérêt collectif des consommateurs et 20 000¤ pour les frais de justicequ'elle a été amenée à engager dans cette longue procédure.
3/ Motivation de la décision
A) La loi française est applicable à Facebook
Tout d'abord, le Tribunal affirme que la loi française est applicable à Facebook, car, l’activité du réseau social Facebook était dirigée vers la France.
B) Les CGU de FACEBOOK sont soumises aux dispositions du Code de la consommation
Puis, le Tribunal précise que les CGU sont soumises au Code de la consommation, étant que Facebook, qui, "agissant à des fins commerciales, tire profit de son activité, est un « professionnel » au sens de l’article liminaire du code de la consommation, lequel définit le professionnel, comme toute personne physique ou morale, publique ou privée, agissant à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel".
"L’utilisateur du réseau social, lorsqu’il est une personne physique agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, est un consommateur au sens du même article liminaire".
C) La loi informatique et liberté est applicable
Et enfin, le Tribunal affirme la loi française n°78-47 du 6 janvier 1978, dite « Loi Informatique et Libertés » est applicableau présent litige, conformément aux articles 4 §1, a) de la directive 95/46/CE et 5 I de la loi précitée. En effet, le fait de faire figurer sur le site des données à caractère personnel est considéré comme un traitement, qui est effectué dans le cadre des activités publicitaires et commerciales de Facebook FRANCE.
D) Sur le caractère abusif et/ou illicite des clauses de CGU de FACEBOOK
Il est fait rappel des dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation devenu l’article L. 212-1 du Code de la consommation, aux termes desquelles « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution (...)"
"Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies."
E) Les clauses invalidées par le Tribunal
Il ressort clairement du jugement en date du 9 avril 2019, rendu par le Tribunal de grande instance de Paris, que Facebook ne respecte pas les droits fondamentaux de la loi Informatique et libertés relatifs au consentement, à l’information de la personne concernée, à la conservation des données supprimées, à la finalité de la collecte de données, à la communication des données personnelles à des tiers ou à la collecte de données par des tiers à l’insu des personnes, l’interdiction du traitement des données sensibles, l’effacement des données, la sécurité, etc.
Parmi les nombreuses clauses qui ont été jugées illicites et/ou abusives, on citera quelques exemples :
- Les Juges ont considéré illicite, la clause prévoyant la primauté de la version anglaise des dispositions contractuelles sur la version française en cas de conflit entre ces deux versions linguistiques est illicite, en ce qu’elle ne permet pas l’accès effectif au contrat, le consommateur français se voyant appliquer un texte qui n’est pas écrit dans sa langue et qu’il ne peut, de ce fait, pas appréhender correctement.
- De manière irréfragable, a été présumée abusive, la clause qui prévoient que l’inscription puis la navigation sur le site vaut acceptation des conditions générales d’utilisation à un moment où l’utilisateur n’a pas pu avoir accès à celles-ci, est, selon l’article R. 132-1, 1°) devenu l’article R. 212-1 du code de la consommation.
- De la même manière, le Tribunal reproche à Facebook, que s’agissant d’un contrat conclu à distance en s’abstenant de respecter l’obligation mise à la charge du professionnel de fournir au consommateur ou de mettre à sa disposition de manière lisible et compréhensible les informations prévues à l’article L 221-5 du code de la consommation, en renvoyant à des « conditions commerciales », qui ne sont accessibles que sur le site internet de Facebook, lequel ne constitue pas un support durable au sens de l’article 5 de la Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997, le renvoi textuel et par lien hypertexte, inséré au sein d’une clause, ne garantissant ni la remise effective desdites « Conditions », ni la permanence de son contenu dans le temps.
Ainsi, le Tribunal a considéré ces clauses comme illicites au regard des dispositions précitées et abusives de manière irréfragable au regard de l’article R. 132-1 1°), devenu l’article R. 212 -1 1°) du Code de la consommation, en ce qu’elles constatent l’adhésion du consommateur à des clauses reprises dans un document, auquel il n’est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont le consommateur n’a pas eu connaissance avant sa conclusion.
- Le Tribunal a également affirmé que les clauses dont les « contenus » dont certains peuvent comprendre des données personnelles sont conservés après la suppression du contenu, sans limitation de durée, Facebook se réservant le droit de les conserver sans motif légitime pour une période sans lien avec la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées. De sorte qu’en prévoyant que Facebook conserve les contenus mis en ligne par l’utilisateur, alors que ce dernier a entendu les supprimer définitivement, la clause est illicite au regard des articles 6 5°) et 36 de la loi Informatique et Libertés. Tout comme les clauses qui laissent croire à l’utilisateur qu’il peut restreindre l’accès à ses données à caractère personnel et maîtriser cet accès auprès des tiers grâce au paramétrage, alors que certaines de ses données(les « informations publiques ») échappent à tout contrôle et restent en permanence publiques et par suite accessibles à tous, empêchant de ce fait l’utilisateur de connaitre l’étendue de la divulgation de ses données personnelles à des tiers, les clauses critiquées sont abusives au sens de l’article L. 132-1 devenu l’article L. 212-1 du code de la consommation, car elle créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment de l’utilisateur consommateur.
- Les juges ont également affirmé qu'en laissant croire à l’utilisateur qu’il a la charge de la sécurité de ses données à caractère personnel, alors qu’en sa qualité de responsable de traitement, Facebook est tenue d’une obligation de préservation des données ainsi que de prévention de leur déformation, de leur endommagement ou de leur accessibilité par des tiers, les clauses sont également illicites au regard de l’article 34 de la Loi Informatique et Libertés.
- Les juges ont déclaré ces clauses irréfragablement présumée abusives au regard de l’article R. 132-1 6°) devenu l’article R. 212-1 6°) du code de la consommation, parce qu’elles ont pour effet d’exonérer le professionnel de son éventuelle responsabilité et de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une de ses obligations.
En outre, les clauses ont aussi été jugées illicites, en raison de l’imprécision des termes et expressions employés dans leur rédaction (« accord et tous les droits ; « utilisateurs » ; « internautes », « les informations auxquelles ils ont accès sur Facebook ») et du caractère technique et inexpliqué du terme « synchronisation ».
Les clauses sont également illicites au regard de l’article 6 de la Loi Informatique et Libertés, en ce qu’elles placent l’utilisateur dans l’impossibilité d’apprécier, à l’occasion de l’opération de synchronisation, la nature, le volume et des données collectées, et ne permettent pas non plus d’identifier les personnes susceptibles d’accéder à son compte et, par suite, à ses données personnelles.
Par ailleurs, le Tribunal a jugé qu'en s’abstenant d’informer l’utilisateur de la collecte de ses données personnelles, des finalités déterminées, explicites et légitimes du traitement pour lequel elles ont été collectées et des destinataires ou des catégories de destinataires des données la clause permettant à des tiers, annonceurs ou partenaires, de publier des publicités à partir des données à caractère personnel que Facebook collecte auprès de l’utilisateur en ne recueillant pas son consentement préalable, la collecte de données ainsi réalisée ne répond pas aux exigences des articles 6 et 32-I de la Loi Informatique et Libertés. Elles sont donc illicites.
Les clauses ont été jugées abusives en ce qu'elles ont pour objet ou pour effet de conférer au professionnel un droit exclusif d’interpréter une clause ambiguë dans le sens qui lui serait le plus favorable.
En effet, ont été jugées ambiguë, le fait d'organiser de manière pérenne l’autorisation donnée par l’utilisateur à Facebook de communiquer aux tiers des données à caractère personnel à des fins publicitaires (« à utiliser votre nom, votre photo de profil, vos contenus et vos informations dans le cadre d’un contenu commercial () »), tout en affirmant dans le même paragraphe que la société respectera, lors de leur « utilisation », le public spécifique sélectionné par l’utilisateur pour les contenus ou les informations, alors que la diffusion des données s’opère vers des publicitaires et en assurant que la société ne transmet « les contenus ni (les) informations (de l’utilisateur) aux annonceurs » « qu’avec son accord ».
Par ailleurs, on note aussi parmi les clauses qui ont été jugées abusives, celles, qui dans le cadre d’un litige opposant l’utilisateur français à la société Facebook, attribuent compétence aux juridictions californiennes, dont l’éloignement est de nature à dissuader l’utilisateur, en raison des difficultés pratiques et du coût relatifs à leur accès, d’exercer toute action et de le priver de tout recours à l’encontre du fournisseur de réseau social.
Tout comme le fait d’imposer au consommateur l’application d’une loi étrangère constitue une entrave à l’exercice par un utilisateur français d’actions en justice ou de voies de recours contre le professionnel.
Elles ont été jugées illicites, car elles privent l’utilisateur de la protection assurée par les dispositions prises par un Etat membre de l'européenne en application de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et constitue une clause abusive au sens des articles l’article R. 132-2, 10°) devenu l’article R. 212-2 10°) du code de la consommation.
De plus, les juges ont considéré comme abusive au regard des dispositions de l’article L. 132-1 devenu l’article L. 212-1 du code de la consommation, le fait de laisser croire que le professionnel est dispensé de toute obligation à l’égard du consommateur/utilisateur, lorsqu’il collecte, traite, utilise ou partage des « données » qui peuvent être qualifiées de données à caractère personnel, la clause est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; tout comme, le fait d'user de termes vagues ou d’expressions générales telles que "différents types d’informations", « notamment », « par exemple », « parmi lesquelles », « telles que », « peuvent », « pouvant », les clauses ne permettent pas à l’utilisateur d’appréhender l’étendue des données à caractère personnel qui vont être collectées puis utilisées par Facebook.
Ces clauses ont été jugées illicites au regard des articles L. 133-1 et L. 133-2, devenus l’article L. 211-1 du code de la consommation qui contraignent le professionnel à une présentation et une rédaction claire et compréhensible des clauses des contrats qu’ils proposent au consommateur.
Par ailleurs, le Tribunal remet aussi en cause le fait "de subordonner l’utilisation des services de Facebook à une concession par l’utilisateur d’une licence d’exploitation mondiale, non-exclusive, sans durée et « gratuite » sur les contenus qu’il poste sur le réseau social et sans connaître l’utilisation qui en sera faite".
Le Tribunal dénonce le fait que Facebook trompe l’utilisateur en lui faisant croire qu’il a un certain contrôle sur l’usage qui peut être fait de ses données.
En somme, par un tel jugement, il est désormais interdit à Facebook de conserver indéfiniment les données de ses inscrits après la suppression de leur compte. Tout comme, il ne pourra plus supprimer un contenu ou un compte sans avertissement ni justification.
Sous réserve que Facebook n’interjette pas appel du jugement rendu le 9 avril 2019, il lui est ordonné de rendre le jugement accessible à ses utilisateurs, depuis sa page d'accueil.
Toutefois, selon un porte-parole de Facebook auprès de l'AFP, au sujet de ce jugement rendu le 9 avril 2019, « il s'agit d'une affaire ancienne remontant à 2014, concernant des politiques et conditions d'utilisation qui ont été modifiées depuis et sont par conséquent obsolètes », il a ajouté que « Garantir la transparence de nos outils et services, et une information claire à nos utilisateurs est essentiel pour Facebook. C'est pourquoi nous avons annoncé une nouvelle évolution prochaine de nos conditions générales, qui ont d'ailleurs été revues et saluées par la Commission européenne et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ».
En revanche, la Commission européenne et la DGCCRF « ont obtenu que Facebook modifie profondément ses conditions d'utilisation qui devront désormais être formulées dans un langage clair et compréhensible pour les utilisateurs ». (Jugement du TGI de Paris du 9 avril 2019, UFC-Que Choisir / Facebook Inc).
Maître Dalila Madjid
Avocat au Barreau de Paris