La jurisprudence portant sur la problématique de l’utilisation de l’image d’un bien immobilier par un tiers sans l’autorisation de son propriétaire est désormais bien établie. Néanmoins, les réponses à la problématique portant sur l’utilisation de l’image d’une oeuvre architecturale récente demeurent moins évidentes.
1- Le propriétaire du bien ne dispose plus d’un droit exclusif sur l’image de celui-ci
Tout commence avec le fameux arrêt « Café Gondrée » (Cass. 10 mars 1999 n°96-18699), qui précisait que seul le propriétaire avait le droit d’exploiter son bien.
Le Café Gondrée, situé à Bénouville prés de Pegasus Bridge (Normandie), est souvent présenté comme la première maison de France continentale à avoir libérée, pendant le débarquement de Normandie le 6 juin 1944. Un photographe fait un cliché de l’édifice et le commercialise sous forme de cartes postales, sans l’autorisation du propriétaire des lieux. Dans un premier temps, la Cour d’appel de Caen déboute le propriétaire au motif que « la photographie, prise sans l’autorisation du propriétaire, d’un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public et réalisée à partir du domaine public ainsi que reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ». Toutefois, la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 544 du Code civil, casse l’arrêt des juges du fond au motif que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire ».
Puis, il y a eu l’arrêt dit « Roch Arhon » (Cass. 2 mai 2001 n°99-10709), de la même manière le propriétaire s’oppose à l’utilisation de l’image de son bien, toutefois la Cour de cassation a exigé que le propriétaire prouve l’existence d’un trouble certain.
Et enfin, depuis le revirement de jurisprudence, dans l’arrêt dit « Hôtel de Girancourt » (Cass. 7 mai 2004 n°02-10450), la Cour de cassation pose un principe selon lequel « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ».
Ainsi, si le propriétaire souhaite s’opposer à l’exploitation de l’image de son bien sans son autorisation, par un tiers, il doit prouver que l’utilisation de l’image de son bien par un tiers lui cause un trouble anormal (comme par ex. un afflux de touristes sur le site).
En somme, en l’absence de trouble anormal au droit de jouissance du propriétaire ou à son droit au respect de la vie privée, l’utilisation de l’image de son bien par un tiers sans son autorisation est possible.
2- L’utilisation de l’image d’une oeuvre architecturale et la théorie de l’accesoire
Tout d’abord, il convient de rappeler les dispositions des articles L. 112-3 et L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle qui accordent aux oeuvres architecturales la protection de droit d’auteur dés lors qu’elles sont originales.
Il y a lieu aussi de rappeler un principe posé par l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que la propriété du support matériel est indépendante de celle des droits de propriété intellectuelle.
Ainsi, l’image d’un bâtiment ne peut être reproduite sans l’autorisation de l’architecte titulaire de droit d’auteur ou de ses ayants-droit. A défaut de quoi, la reproduction d’une oeuvre protégée sans l’autorisation de son auteur constitue, conformément aux dispositions de l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle un acte de contrefaçon.
Néanmoins, il existe une exception importante qui réside dans la théorie de l’accessoire.
Ainsi, dans un arrêt de 2005, dit « Place des Terreaux » (Cass. 15 mars 2005 n°03-14820), la Cour de cassation a admis l’exploitation de l’image d’un bien immobilier par un tiers sans l’autorisation des auteurs.
Dans cet arrêt, deux auteurs de l’aménagement de la Place des Terreaux à Lyon, ont assigné en contrefaçon quatre éditeurs de cartes postales, leur reprochant de diffuser, sans leur autorisation ni mention de leur nom, des vues représentant la place, tant de jour que de nuit, sur lesquelles leur oeuvre est reproduite.
Aussi bien le Tribunal que la Cour d’appel de Lyon les déboutent. Ils forment un pourvoi en cassation, qui est rejeté par la Haute de Cour, au motif que l’oeuvre des deux artistes se fond dans l’ensemble architectural de la Place des Terreaux dont elle constitue un simple élément. La présentation de cette oeuvre sur les cartes postales est accessoire au sujet traité, qui est la représentation de la place dans son ensemble, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette oeuvre au public.
Concernant les biens immeubles public, si la reproduction de leur image est en principe libre, l’article L.621-42 du Code du patrimoine dispose que :
« L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national ».
- L’absence de la liberté de panorama et les exceptions au droit d’exploitation de l’architecte
Contrairement aux autres Etats membres de l’Union européenne, il n’existe pas, en France, d’exception sur les oeuvres situées dans l’espace public, appelée liberté de panorama, qui « est une exception au droit d’auteur par laquelle il est permis de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public. Selon les pays, cette exception peut concerner les œuvres d’art ou les œuvres d’architecture« .
Ainsi, est condamnée comme contrefaçon une carte postale représentant la Géode de la Cité des sciences et de l’industrie, oeuvre d’Adrien Fainsilber, qui » a pour objet essentiel la représentation de ce monument ».(CA Paris du 23 octobre 1990).
Ou encore une autre représentant la « Grande Arche de la Défense », oeuvre de Johann Otton Von Spreckelsen, parce que l’oeuvre figure « dans un panorama dont elle constitue l’élément central ou tout au moins partie d’un cadre naturel non protégé ». Le Tribunal ajoute que : » la jouissance du droit d’auteur ne saurait être battue en brèche par aucune des considérations (…) tirées de la vocation attribuée au monument ou de l’origine des derniers ayant permis son financement ». (TGI Paris 12 juillet 1990).
Inversement, la jurisprudence admet traditionnellement deux exceptions au droit d’exploitation de l’architecte:
- l’exception pour copie privée, issue de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle : Le touriste qui réalise le cliché d’un édifice à des fins personnelles ou familiales, n’a pas à solliciter l’autorisation de l’architecte.
- la théorie de « l’arrière plan » et de « l’accessoire », développée par la jurisprudence :« La représentation d’une œuvre située dans un lieu public n’est licite que lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ». « Le droit à protection cesse lorsque l’œuvre (…) est reproduite non pas en tant qu’œuvre d’art, mais par nécessité, au cours d’une prise de vue dans un lieu public ».
Ainsi, il n’est pas nécessaire de rechercher l’autorisation de l’auteur quand l’œuvre figure en arrière-plan dans la scène d’un film. La reproduction est également libre quand l’œuvre considérée occupe une place très secondaire sur une photographie. (CA Paris 14 sept. 1999)
Alors qu’il était question d’intégrer la liberté de panorama en droit français, les parlementaires ont finalement opté pour une exception plus limitée.
Il est désormais permis pour les seuls particuliers et dans un usage dénué de tout caractère commercial de diffuser en ligne la photographie d’une œuvre architecturale sans obtenir l’accord préalable de son auteur ou de ses ayants-droits. En revanche, la diffusion sans autorisation de la photographie d’une œuvre architecturale protégée sur des portails commerciaux ou hébergeant de la publicité, notamment les réseaux sociaux, reste à l’inverse interdite.
En effet, l’article 39 de la loi pour une République numérique, promulguée le 7 octobre 2016, a complété l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que l’auteur d’œuvres architecturales ne peut en interdire les reproductions et représentations, uniquement si elles sont réalisées par des personnes physiques à l’exclusion de tout usage à caractère commercial.
Dalila MADJID, Avocate au Barreau de Paris