Longtemps restée marginale, la télémédecine a connu ces derniers mois un essor exceptionnel et cet engouement pourrait faciliter son développement dans les années à venir. A titre d’exemple, selon l’Assurance-maladie, plus d’un million de téléconsultations ont ainsi été facturées entre le 6 et le 12 avril 2020, ce qui représente plus de 28 % de l’ensemble des consultations, contre 0,1% entre le 2 et le 8 mars 2020.
En France, le cancer est première cause de mortalité et le premier facteur de risque d’affection de longue durée installant le patient dans une maladie longue et chronique pendant laquelle il est entouré et suivi régulièrement par une équipe de soignants pluridisciplinaire (oncologue, médecin traitant, infirmière, kinésithérapeute…).
Un des intérêts majeurs de la télémédecine est de limiter le déplacement du patient et de faciliter la communication des professionnels de santé entre eux, et avec le patient.
Le développement de la télémédecine en oncologie est donc un véritable enjeu de santé publique. Ainsi, il convient de s’interroger sur le point de savoir si la pratique de la télémédecine répond à un réel besoin dans le domaine de la cancérologie et si les données personnelles des patients atteints de cancer sont protégées lorsqu’ils y ont recours.
1. La télémédecine en oncologie
1.2 Qu’est-ce que la télémédecine ?
La télémédecine est définie en ces termes à l’article L. 6316-1 du Code de la santé publique :
« La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Elle met en rapport un professionnel médical avec un ou plusieurs professionnels de santé, entre eux ou avec le patient et, le cas échéant, d'autres professionnels apportant leurs soins au patient.
Elle permet d'établir un diagnostic, d'assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d'effectuer une surveillance de l'état des patients. »
Ainsi, l’activité de la télémédecine consiste en la mise en relation, à distance, de patients et de professionnels de santé grâce aux technologies de l’information et de la communication.
L’article R. 6316-1 du Code de la santé publique, définit quant à lui la liste des actes de télémédecine. Il s’agit des actes médicaux suivants, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication :
- La téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical (assisté, le cas échéant, d’autres professionnels) de donner une consultation à distance à un patient ;
- La téléexpertise, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient ;
- La télésurveillance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé ;
- La téléassistance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ;
- La réponse médicale, qui est apportée dans le cadre de la régulation médicale (services d’urgence) lors des appels passés auprès du SAMU.
1.3 La « télé-oncologie »
L’accès à la « télé-oncologie » peut aider à réduire les prises en charge tardives ou inadaptées des patients atteints de cancer, de faciliter leur accompagnement en cours de traitement et leur suivi dans la phase post-cancer.
Le recours à la télémédecine parait donc particulièrement intéressant en cancérologie du fait de l’allongement de la durée de vie des patients et de l’augmentation du nombre de patients à suivre ou à surveiller.
En oncologie, plusieurs actes de télémédecine pourraient être concernés : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance et la téléassistance médicales.
Lors d’activités de téléconsultation, le professionnel de santé peut fournir des explications sur les traitements prescrits souvent multiples et complexes ou être consulté pour un second avis médical.
Les patients atteints de cancer peuvent être amenés à subir des soins pluridisciplinaires, réalisés en équipe. Dans ce contexte, la télémédecine permet de réaliser cette collaboration entre les différents professionnels de santé grâce à la pratique de la téléexpertise. Ainsi, le médecin traitant, l’infirmière et l’oncologue peuvent, à titre d’exemple, communiquer à distance et solliciter mutuellement leurs avis afin d’optimiser les soins délivrés aux patients.
De plus, cette expertise peut s’exprimer lors de réunions de concertation médicale pluridisciplinaire à distance, lors desquelles les différents médecins spécialistes en cancérologie donnent leurs avis et émettent des propositions de traitements.
Lors des activités de télésurveillance médicale, le professionnel de santé peut surveiller l’utilisation et les effets secondaires des traitements anti-tumoraux pris par le patient à son domicile, comme par exemple, pour les chimiothérapies et thérapies ciblées dont le recours se développe de plus en plus.
Enfin, la téléassistance médicale peut permettre à l’oncologue-radiothérapeute d’assister à distance l’infirmière dans le cadre de traitements relatifs aux soins d’accompagnement après cancer, souvent nécessaires ou complexes après des traitements par radiothérapie ou chimiothérapie.
Ainsi, la pratique de la télémédecine apparaît de plus en plus comme étant une solution pertinente pour répondre aux défis de la cancérologie d’aujourd’hui et représente un potentiel considérable en ce qui concerne l’amélioration de la qualité et de l’offre de soins. Néanmoins, cette pratique ne dispense pas le professionnel de santé d’une présence physique pour l’examen clinique du patient et pour certains soins qui la rendent indispensable.
2. Les mesures à mettre en place dans le cadre d’une activité de télémédecine
Les règles relatives à l’acte de télémédecine suivent le régime de droit commun des consultations médicales en ce qui concerne notamment la relation entre le professionnel de santé et le patient.
1.1 Le consentement du patient
Conformément à l’article R. 6316-2 du Code de la santé publique, les actes de télémédecine doivent être réalisés avec le « consentement libre et éclairé » du patient, en application, notamment, des dispositions des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du Code de la santé publique.
Le patient doit d'abord consentir à l'établissement d'une relation médicale à distance avec un professionnel de santé : il s'agit du consentement à la télémédecine. Le patient doit ensuite, le cas échéant, consentir à la pratique d’un acte médical dans le cadre de la télémédecine.
En ce qui concerne plus spécifiquement le consentement dans le cadre de la téléexpertise, bien que la présence du patient ne soit pas obligatoire pour cet acte, le professionnel de santé doit néanmoins recueillir le consentement de son patient selon les mêmes modalités que pour les autres actes de la télémédecine.
En outre, les « outils » de télémédecine doivent prévoir une procédure de recueil du consentement du patient.
L’obtention du consentement libre et éclairé suppose évidemment une information préalable et adéquate du patient.
1.2 L’information du patient
Le professionnel de santé est soumis à une obligation d’information au bénéfice de son patient en ce qui concerne son état de santé.
Conformément à l’article L.1111-2 du Code de la santé publique, cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
Le patient doit également être informé de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile.
Par ailleurs, le patient doit être informé de tous les aspects de sa prise en charge. Une information spécifique portant sur le procédé de télémédecine doit être intégrée à l’information du patient. Ainsi, la distanciation créée par la télémédecine suppose que le patient soit clairement informé des rôles et identités des professionnels de santé, de ce qui est vu à distance, de ce qui est collecté, des risques spécifiques inhérents à ce type d’acte et de la différence avec une prise en charge classique.
La preuve de la délivrance de l’information peut être rapportée, par le professionnel de santé, par tout moyen, ce qui implique que l’information peut être délivrée notamment par la remise d’un document écrit, envoyé par email.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.
Il convient de préciser que cette information spécifique du patient imposée par la réglementation relative à la télémédecine est différente du droit à l’information prévu dans le Règlement Général sur la Protection des Données (« RGPD ») n° 2016/679 en date du 27 avril 2016.
Cette information se superpose au devoir d’information prévu par le RGPD.
1.3 La protection des données personnelles des patients
Dans le cadre d’un acte de télémédecine, les données personnelles de patients, notamment celles relatives à la santé de ces derniers (il s’agit notamment des données échangées dans le cadre de l’acte, des résultats d’examen, …), sont traitées par un professionnel de santé, soumis à une obligation de secret professionnel.
Pour autant, le professionnel de santé, considéré comme étant le « responsable de traitement », doit être en mesure de démontrer, à tout moment, la conformité du traitement de données aux exigences du RGPD en traçant toutes les démarches accomplies, notamment la tenue d’un registre des activités de traitements.
Dans la mesure où des données de santé de patients, qualifiées comme étant des « données sensibles » au sens du RGPD, sont collectées par le professionnel de santé qui pratique l’acte de télémédecine, des mesures de sécurité doivent évidemment être mises en place.
L’article R. 6316-3 du Code de la santé publique prévoit que chaque acte de télémédecine doit être réalisé dans les conditions garantissant notamment :
- L’authentification des professionnels de santé qui interviennent dans l’acte ;
- L’identification du patient concerné ;
- L’accès des professionnels de santé aux données médicales du patient nécessaires à la réalisation de l’acte.
Dans ce contexte, des mesures de sécurité doivent être mises en place, à savoir :
- La mise en place d’un dispositif d’authentification forte pour en reconnaître les utilisateurs et leur donner les accès nécessaires : notamment un mot de passe, une carte à puce, etc… ;
- La mise en place de mesures de sécurité relatives à la protection des données de santé en conformité avec le RGPD : les patients doivent pouvoir exercer de manière effective leurs droits, notamment d’accès, de rectification et d’opposition auprès du professionnel de santé ;
- L’utilisation d’un système d’information communicant, permettant la communication des comptes-rendus des actes de télémédecine dans le dossier médical partagé : le recours à une message sécurisée est une solution à privilégier pour protéger le secret médical ;
- L’utilisation d’un hébergeur de données de santé certifié HDS si le dispositif de télémédecine implique une externalisation, prévu à l’article L. 1111-8 du Code de la santé publique.
Ainsi, en vue de protéger les données personnelles de leurs patients, les professionnels de santé doivent s’assurer que ces mesures de sécurités ont été correctement mises en place dans le cadre des actes de télémédecine.
3. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) vont-elles permettre de mieux protéger les données de santé des patients ?
Ces activités de télémédecine sont réalisées par l’intermédiaire de moyens technologiques tels que les sites internet ou les applications sécurisés via un ordinateur, une tablette ou un smartphone, équipé d’une webcam et relié à internet.
La télémédecine a fait naître et se développer divers objets connectés permettant la communication à distance entre le professionnel de santé et son patient.
La santé connectée répond à de réels besoins dans le cadre de la surveillance médicale, notamment en oncologie.
Grâce à ces objets connectés, la prise en charge des patients est plus rapide et efficace.
Toutefois, cette digitalisation conduit à une utilisation massive des données de santé et la multiplicité des acteurs impliqués (sous-traitants, professionnels de santé, patients). Cette utilisation de masse engendre nécessairement des risques importants d’atteinte à la sécurité et/ou confidentialité des données de santé. En effet, les données des patients peuvent être altérées, modifiées, ou bien exploitées à des fins commerciales.
Ainsi, pour minimiser ces risques et en vue de protéger les données de patients, les professionnels de santé doivent s’assurer notamment de la stricte confidentialité des données, et de la mise en place des mesures de sécurité par les prestataires, alors que les risques de l’usage des objets connectés sont mal connus des professionnels de santé.
Par ailleurs, il semble difficile pour les professionnels de santé d’exercer un contrôle approfondi sur la sécurité des outils technologiques et des données échangées sur la plateforme de télémédecine.
En effet, les professionnels de santé ne disposent pas de compétences dans le domaine de l’informatique et surtout du temps nécessaire pour exercer ce contrôle, dans le cadre de leurs activités professionnelles.
Dans ce contexte, il semble ainsi nécessaire que les professionnels de santé, en qualité de responsable de traitement, soient sensibilisés aux règles relatives à la protection des données personnelles de leurs patients, notamment par des formations au cours desquelles les mesures de sécurité et les différents risques doivent leur être présentés.
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Pour conclure, la pénurie annoncée de médecins oncologues, l’augmentation à venir du nombre de personnes atteintes de cancer, la prise en charge tardive de patients atteints de cancer et la répartition très inégale de cette spécialité médicale sur le territoire Français sont les principales raisons qui justifient le développement de la télémédecine en cancérologie.
Dans la mesure où leurs soins, sont réalisés en équipe, par plusieurs professionnels de santé, la « télé-oncologie » permet de réaliser cette collaboration multidisciplinaire grâce à la pratique de la téléexpertise, de la télésurveillance et de la téléassistance médicales.
La pratique de la télémédecine prend tout son sens dans cette discipline particulière qu’est la cancérologie avec des patients plus fragiles et fatigués par les traitements qu’ils subissent, avec l’intérêt particulier d’une communication et d’une surveillance optimisée, étroite, simple et efficace, depuis le domicile, lorsque cela est possible.
De multiples applications en oncologie ont été testées et approuvées par la littérature scientifique médicale. Les téléconsultations en oncologie dans les zones rurales se sont développées dans plusieurs pays, notamment aux USA et en Australie, depuis plusieurs années. Les preuves scientifiques démontrent une efficacité clinique, une rentabilité certaine de cette pratique et des taux élevés de satisfaction chez les patients qui en ont bénéficié.
Cette satisfaction ne saurait être entière sans garantir l’effectivité de la protection des données personnelles des patients.
Avocat au Barreau de Paris
Docteur Nathaniel Scher
Oncologue-radiothérapeute
Docteur Alain Toledano
Oncologue-radiothérapeute, Président de l’Institut Rafaël, Maison de soins après cancer