Par Guillaume Ferrand.
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La loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 a instauré un délai de prévenance en cas de rupture de la période d'essai par l’une ou l’autre des parties au contrat de travail. Ce délai de prévenance – encore appelé préavis - varie en fonction de la durée de présence du salarié dans l'entreprise, d’une part, et de la personne qui prend l'initiative de la rupture, d’autre part. Mais, en raison de la brièveté des délais imposés au salarié qui entend rompre le contrat à l’essai, c’est le régime de la rupture de la période d’essai par l’employeur qui retiendra ici notre attention.
L'article L. 1221-25 du Code du travail prévoit en effet que pour les contrats stipulant une période d'essai d'au moins une semaine, l'employeur qui met fin au contrat en cours ou au terme de l'essai, doit prévenir le salarié dans un délai minimal de :
• 24 heures avant la rupture de la période d’essai si le salarié compte moins de 8 jours de présence
• 48 heures, si le salarié compte entre 8 jours et 1 mois de présence
• 2 semaines après 1 mois de présence
• 1 mois après 3 mois de présence.
Ce délai de prévenance court à compter de la notification de la rupture par l’employeur. Or, si la décision de rompre le contrat peut valablement intervenir jusqu'au terme de la période d'essai, l'instauration du délai de prévenance ne peut, aux termes de l'article L. 1221-25 du Code du travail, avoir pour effet de prolonger l'exécution du contrat de travail au-delà de la période d'essai. Cela signifie que le salarié ne saurait bénéficier du délai de prévenance pour se maintenir dans l’entreprise au-delà de la date de fin de la période d’essai prévue au contrat.
Exemple : Soit un contrat qui prévoit une période d’essai de 2 mois, prenant fin le 8 février. L’employeur qui souhaite se séparer d’un salarié présent dans l’entreprise depuis plus d’un mois devra lui notifier sa décision au plus tard le 25 janvier, afin de respecter le délai de prévenance de 2 semaines. Si maintenant l’employeur notifie sa décision de rompre l’essai le 2 février, soit seulement 6 jours avant l’expiration de la période d’essai, le respect du préavis supposerait que le salarié se maintienne dans l’entreprise jusqu’au 16 février. Or, le contrat à l’essai étant prévu jusqu’au 8 février et l’article L. 1221-25 du Code du travail prohibant le prolongement de la période d’essai par l’effet du délai de préavis, le salarié ne pourra se maintenir dans l’entreprise au-delà du 8 février. |
La question se pose alors de savoir quelle est la sanction du non respect du délai de prévenance par l’employeur. A défaut de disposition législative sur ce point, c’est la jurisprudence qui a du en fixer le régime.
Déjà avant la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, la Cour de cassation avait jugé (1), à propos de l'application de préavis imposés par des accords collectifs, que le non-respect par l'employeur du délai de prévenance n'avait pas pour effet de rendre le contrat définitif, le salarié ne pouvant prétendre qu'à une indemnité compensatrice relative au préavis ne pouvant être exécuté.
Depuis la loi du 25 juin 2008, trois arrêts de Cour d’appel ont eu l’occasion de se prononcer sur la sanction du non respect par l’employeur du nouveau délai de prévenance légal. Un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 1er juin 2010 (2) a décidé que « le non-respect du délai de prévenance (…) constitue une irrégularité ayant nécessairement causé un préjudice à l’intéressé ». Un autre arrêt de la même Cour d’appel du 13 octobre 2010 (3) a jugé que le non-respect du délai de prévenance par l’employeur constituait une irrégularité « ouvr(ant) droit au profit de la salariée à une indemnité compensatrice correspondant au préavis non effectué ». Enfin, un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 21 octobre 2010 (4) considère dans ce même sens que « le non-respect du délai de prévenance ne peut être sanctionné que par l’allocation de dommages-intérêts correspondant à la partie non respectée du délai. ».
Ces arrêts confirment la solution de la Cour de cassation selon laquelle le non respect du délai de prévenance n’a pas pour effet de rendre le contrat de travail définitif. La rupture du contrat de travail sans respect du préavis s'analyse donc en une rupture de période d'essai et non en un licenciement. Les cours d'appel reconnaissent également le droit à indemnisation du salarié, mais une incertitude demeure quant à l’étendue de ce droit à réparation.
La Cour d’appel d’Amiens (1ère espèce) considère que le non respect du préavis cause nécessairement un préjudice au salarié. Si on laisse de côté le cas de la rupture abusive (caractérisée par une intention de nuire, une légèreté blâmable de la part de l’employeur dans l’exercice de son droit de rupture, ou un détournement de la finalité de la période d’essai), le préjudice du salarié peut résulter de l’impossibilité de se retourner contre son employeur pendant le délai de préavis, de rechercher un nouvel emploi pendant ce même laps de temps, ou encore être analysé sur le terrain de la perte de chance etc... Il reviendra en tout état de cause au salarié de prouver son préjudice ainsi que le lien de causalité avec la faute de l’employeur, étant précisé que cette dernière résultera de la notification tardive de la fin de la période d’essai. Cette preuve sera aisée à rapporter dans le cas où la notification est écrite, et devra s’accomplir par tout moyen dans le cas où la notification est verbale.
Mais les deux autres arrêts rapportés laissent à penser que chaque jour de préavis non effectué pourrait être indemnisé, indépendamment des circonstances qui entourent la rupture, sur la base du temps de travail qui n’a pu être effectué. Cette solution, si elle venait à être confirmée par la Haute juridiction, présenterait l’avantage pour l’employeur de déterminer à l’avance l’étendue de ses obligations en cas de rupture fautive, mais ne serait pas pour autant exclusive de toute autre sanction. L’employeur serait alors contraint d’indemniser le salarié sur la base – objective – du temps de préavis non effectué, et, éventuellement, sur la base – plus subjective – du préjudice éventuellement subi par le salarié.
En attendant la position de la Cour de cassation sur ce point, il est recommandé à l'employeur de notifier la rupture de l’essai suffisamment tôt, en s’assurant que le délai de prévenance se termine avant le terme de la période d'essai.
Nota:
(1): Notamment : Cass. soc., 24 juin 1999 ; Cass. soc., 21 mai 2002 ; Cass. soc., 9 janv. 2008
(2): CA Amiens 1-6-2010 n° 09-4831
(3): CA Amiens 13-10-2010 n° 10-613
(4): CA Bordeaux 21-10-2010 n° 09-6360