Responsabilité de l’avocat, saisie immobilière et délais de prescription

Publié le 19/03/2024 Vu 674 fois 0
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Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, un débiteur saisi reproche à son conseil de ne pas lui avoir proposé l’hypothèse de la vente amiable devant le juge de l’orientation. Quelle responsabilité pour l’avocat ?

Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, un débiteur saisi reproche à son conseil de ne pas

Responsabilité de l’avocat, saisie immobilière et délais de prescription

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation ce 28 février 2024 et qui vient aborder la question spécifique de l’action en responsabilité professionnelle de l’avocat enclenché par un ancien client,

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, le débiteur saisit avait imaginé envisager la responsabilité de son avocat au motif pris que celui-ci l’avait mal conseillé dans le cadre de la procédure de saisie immobilière et avait omis de lui indiquer que celui-ci ne pouvait envisager une vente amiable en suite de l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’orientation, reprochant notamment à l’avocat de ne pas lui avoir indiqué qu’il avait la faculté de vendre à l’amiable son bien nonobstant les contestations qu’il avait formalisé et nonobstant le risque qu’il avait de voir son bien vendu aux enchères.

 

Pour autant, la question se posait également et surtout de savoir si oui ou non le débiteur saisi était encore dans les délais pour engager une action en responsabilité contre son avocat.

 

Quels délais pour engager une action en responsabilité contre son avocat ? 

 

Ainsi, selon l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Nîmes du 30 juin 2022, un jugement du 20 novembre 2014 avait validé la saisie immobilière pratiquée sur l’immeuble appartenant à Monsieur L en Corse, représenté devant le Juge de l’exécution par Maître L, avocat.

 

Le 07 février 2015, après avoir confié à l’avocat la mission d’interjeter appel de ce jugement, les consorts L ont confié leur dossier à un autre avocat.

 

Par arrêt de la Cour d’appel en date du 13 janvier 2016, la Cour a confirmé le jugement et a notamment déclaré les consorts L irrecevable en leur demande de conversion à vente amiable formée pour la première fois en cause d’appel.

 

Animé par le besoin de chercher un responsable à part eux dans le cadre de la déconfiture financière qu’ils rencontraient, ces derniers ont décidés d’assigner le 10 juin 2020 leur avocat en responsabilité et indemnisation de leur préjudice.

 

Préjudice, à bien y comprendre qui découlerait de l’impossibilité qu’ils avaient eu, après coup, et après audience d’orientation, de vendre le bien à l’amiable. 

 

Une responsabilité liée à l’impossibilité de vendre leur maison à l’amiable ? 

 

Pour autant, la question se posait de savoir, alors que l’avocat avait été dessaisi le 07 février 2015, si oui ou non la prescription quinquennale n’était pas acquise pour avoir engagé l’action en responsabilité contre leur avocat le 10 juin 2020.

 

C’est dans ces circonstances qu’un pourvoi avait été fait par les consorts L qui faisait grief à l’arrêt de déclarer leur action irrecevable comme prescrite.

 

En effet, ces derniers considéraient, à hauteur de Cour de cassation, que la prescription de l’action en responsabilité contre un avocat ne peut courir qu’à compter de la naissance de la créance en responsabilité de son client.

 

Ce qui suppose l’existence d’un dommage certain.

 

L’existence d’un dommage certain

 

Les consorts L reprochaient à la Cour d’appel de les avoir jugés prescrits.

 

Or, la question du point de départ de la prescription se posait.

 

En effet, l’action en responsabilité avait été engagée le 10 juin 2020 par les époux L contre Maître L du fait de l’irrecevabilité constatée par l’arrêt du 13 janvier 2016 de leur demande de vente amiable, 

 

Or, ces derniers n’avaient pas manifestés cette demande en première instance, devant le juge de l’orientation, et ils avaient fait le choix de dessaisir leur avocat le 07 février 2015, soit en pleine procédure d’appel.

 

Si la Cour d’appel avait retenu cette date comme point de départ de la prescription, les époux L contestaient cette date car ils estimaient avoir été dans l’impossibilité d’agir en responsabilité avant la réalisation de leurs dommages résultant de l’arrêt précité du 13 janvier 2016, et ce en parfaite violation des dispositions des articles 2219, 2225 & 2234 du Code civil, ainsi que l’article 6-1 de la convention Européenne des droits de l’Homme.

 

Les consorts considérant encore que la prescription de l’action en responsabilité contre un avocat ne peut courir qu’à compter de la naissance de la créance de responsabilité de son client, ce qui suppose l’existence d’un dommage certain.

 

De telle sorte qu’il appartenait au Juge du fond de prendre en considération la date à laquelle leurs dommages deviendraient certains, soit, au jour où l’irrecevabilité d’une éventuelle vente amiable a été constatée par arrêt du 13 janvier 2016.

 

La Cour de cassation, fort heureusement, ne partage pas cette analyse.

 

La Cour de cassation rappelle selon l’article 2225 du Code civil que l’action en responsabilité dirigée contre l’avocat ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de la mission.

 

Une prescription à cinq ans,

 

Il résulte de la combinaison de ce texte, de l’article 412 du Code de procédure civile et de l’article 13 du Décret N°2005-790 du 12 juillet 2005 devenu article 13 du Décret N°2023-552 du 30 juin 2023, portant au Code de déontologies des avocats que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, ne court à compter de l’expiration du délai.

 

Ce recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client que si les relations entre le client et son avocat n’ont pas cessées avant cette date.

 

Le point de départ au jour où la relation avocat-client a cessée 

 

Telle est la jurisprudence qui a été rappelée d’ailleurs par la jurisprudence précédente de la Cour de cassation, Première Chambre civile, 14 juin 2023 N°22-17.520.

 

Or, force est de constater que les clients ont déchargés leur avocat de sa mission le 07 février 2015 et c’est donc à bon droit pour la Cour de cassation que la Cour d’appel en a exactement déduis que l’action en responsabilité engagée le 10 juin 2020 était immanquablement prescrite.

 

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation rejette le pourvoi des consorts L contre leur conseil.

 

Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient rappeler les conditions requises pour engager la responsabilité de son avocat avec un point de départ de la prescription au jour où le client a déchargé son avocat de la mission qui lui avait confié.

 

Cependant, il aurait été aussi fort intéressant de voir ce qu’aurait pu décider la Cour de cassation sur la responsabilité de l’avocat quant à la problématique de la vente amiable du bien dans le cadre d’une saisie immobilière.

 

La responsabilité de l’avocat en saisie immobilière

 

En effet, rappelons quand même que, dans le cadre de la signification de l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’orientation, le débiteur est informé, et cela est clairement marqué dans l’assignation à comparaitre, que celui-ci a la possibilité d’orienter la vente de son bien tantôt vers une vente aux enchères publiques, tantôt vers une vente amiable, ce que ne peut donc ignorer le débiteur saisi.

 

Puisque l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’orientation le précise clairement.

 

C’est d’ailleurs pour cela que le Juge de l’exécution immobilier s’appelle Juge de l’orientation car il a la possibilité d’orienter vers une vente amiable ou une vente aux enchères publiques.

 

Dès lors, dans la mesure où le débiteur saisi était parfaitement informé de la possibilité qu’il avait de vendre à l’amiable, il parait fort curieux pour ce dernier d’envisager engager la responsabilité de son avocat au motif pris que celui-ci ne lui aurait pas rappelé.

 

En fait, la réalité est malheureusement tout autre.

 

Bien souvent dans ce genre de procédure, le débiteur part d’abord dans l’esprit qu’il est en mesure de débouter le créancier de sa demande de saisie immobilière au motif pris que celui-ci serait mal fondé.

 

Mais, ce dernier, déterminé dans cette approche, se refuse bien souvent à envisager une vente amiable alors même que son conseil n’a pas manqué de lui rappeler que c’était une hypothèse qu’il avait à portée de tir.

 

C’est sûrement à hauteur de Cour d’appel que les consorts L, acculés vers une situation plus que délicate, ont imaginés vendre le bien à l’amiable pour justement s’assurer d’une vente dans de bonnes conditions avec un prix déterminé et déterminable et donc un désintéressement de la créance du créancier saisissant, à tout le moins maitrisée, sinon complète.

 

Car effectivement, la vente aux enchères publiques est toujours assujettie à l’aléas des enchères qui fait que soit le bien se vend à bonne valeur, quasiment au prix du marché voir au-delà, et à ce moment-là le débiteur saisit à l’assurance que son bien a été bien vendu et que le créancier sera désintéressé le plus largement possible, soit, malheureusement les enchères ne montent pas et le bien est adjugé à vil prix, voir, fait l’objet d’une carence d’enchère, et à ce moment-là effectivement le débiteur se retrouve avec un bien vendu à vil prix et une créance bancaire qui risque fort de ne pas être désintéressée, amenant le créancier à encore pouvoir poursuivre le débiteur malgré la vente du bien.

 

Une vente amiable imaginée dès le commandement de payer valant saisie immobilière

 

Cependant, ce calcul doit être réfléchi par le débiteur et son conseil dans le cadre de la procédure de saisie immobilière dès son démarrage mais, en tout état de cause, même s’il est toujours un peu fâcheux de voir un débiteur saisi chercher la responsabilité de son conseil car ce dernier a parfois pour mauvaise habitude de chercher tout autre responsable que lui-même dans les causes et les conséquences de sa propre déconfiture.

 

Il n’en demeure pas moins que cette jurisprudence vient rappeler que le délai de prescription est inscrit dans un délai de cinq ans, avec comme point de départ le jour où le client a déchargé son conseil mais que de surcroit, il n’est pas acquis non plus que le conseil aurait engagé sa responsabilité au motif pris qu’il aurait omis d’inviter son client saisi à se diriger vers une vente amiable alors même que celui-ci ne pouvait valablement l’ignorer.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit, 

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

 

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