Certains salariés du fait des divers confinements imposés par les Etats se sont trouvés bloqués dans des pays qui ne constituaient pas leur pays de résidence
Leur résidence fiscale serait-elle pour autant modifiée ?
Question essentielle, dans la mesure où une domiciliation fiscale en France emporte une obligation fiscale illimitée.
I. Les règles de détermination du domicile fiscal énoncées par l’article 4B du CGI : communiqué de la Direction des impôts des non-résidents.
L’article 4 B du Code Général des Impôts énonce 4 critères alternatifs qui doivent être examinés successivement afin de déterminer si le domicile fiscal du contribuable est situé en France. Il suffit que l’un d’entre eux soit rempli pour que le contribuable soit considéré comme résident fiscal français ainsi, sont considérées comme résidentes fiscales françaises les personnes qui :
- ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal,
- ou qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins que ce ne soit qu'à titre accessoire,
- ou celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.
Le critère qui nous intéresse aujourd’hui est celui du foyer, en effet la crise du COVID-19 vient perturber l’appréciation de ce dernier.
La Direction des impôts des non-résidents a rédigé un communiqué aux fins de réponse à nos questionnements:
« S’agissant du critère personnel du foyer ou lieu de séjour principal en France, le Conseil d’État a considéré, dans un arrêt du 3 novembre 1995 (n° 126513), que le critère du lieu de séjour principal ne joue que dans l’hypothèse où la personne ne dispose pas d’un foyer, défini comme étant le lieu de résidence habituelle de sa famille, et qu’en tout état de cause, il n’est pas tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison de circonstances exceptionnelles.
Il a été précisé que, « pour l’application des dispositions […] de l’article 4 B […], le foyer s’entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles, et que le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l’hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer. »
Ainsi, un séjour temporaire au titre du confinement en France, ou de restrictions de circulation («travel ban») décidées par le pays de résidence, n’est pas de nature à caractériser une domiciliation fiscale en France au titre de l’article 4 B précité.
Au regard des conventions internationales, il apparaît également que le fait qu’une personne soit retenue provisoirement en France en raison d’un cas de force majeure ne soit pas de nature, pour ce seul motif, à la considérer comme y ayant établi son foyer permanent ou y ayant le centre de ses intérêts vitaux. »
Dans un premier temps le communiqué se contente de rappeler la jurisprudence Larcher, du Conseil d’état en date du 3 novembre 1995. Ainsi et en présence d’une situation donnée, il conviendra de déterminer où se trouve le foyer principal. La détermination du lieu du séjour principal n’intervenant le cas échéant qu’en seconde position, s’il existe une difficulté à déterminer le foyer principal.
Le critère subsidiaire du lieu de séjour principal ne peut jouer que si le contribuable n’a de foyer ni en France ni dans un pays étranger, il s’agit de la jurisprudence du Conseil d’état en date du 27 juin 2018 n°408609, 8e et 3e ch. Cette décision avait été rendue dans le cadre d’un contribuable célibataire travaillant à l’étranger.
Ainsi, la réponse de l’administration semble claire, une personne tenue de séjourner temporairement en France en raison de la crise du Covid-19 ne sera pas considérée comme détenant une domiciliation en France.
Pour autant nous retiendrons, l’emploi de l’adverbe temporairement, à la lumière duquel seront analysées les situations fiscales qui seront soumises à l’administration.
L’administration fiscale française a suivi semble-t-il les recommandations émises dès le 3 avril 2020, par l’OCDE qui analysait les impacts de cette crise sanitaire sur les aspects fiscaux tant des particuliers que des entreprises au regard des conventions fiscales.
Néanmoins, ce communiqué émanant de la Direction des impôts des non-résidents, n’a pas pour vocation de résoudre les situations plus complexes où des difficultés de détermination de résidence existaient bien avant la crise.
A titre d’information, certains pays ont déjà publié des instructions utiles relatives aux répercussions du COVID-19 sur la détermination de la résidence d’une personne physique en vertu du droit interne et des conventions fiscales.
Ainsi, le Royaume-Uni a instauré au nombre de jours passés sur son territoire susceptibles de ne pas être pris en compte aux fins de la détermination de la résidence compte tenu de circonstances exceptionnelles.
Pour l’Australie lorsqu’une personne qui n’a pas sa résidence sur son territoire à des fins fiscales est présente en Australie temporairement pendant quelques semaines ou quelques mois en raison de la pandémie de COVID-19, elle ne devient pas pour autant résidente d’Australie à des fins fiscales.
II. Création d’établissements stables :
Une des questions soulevée par cette crise sanitaire concerne les entreprises employant des salariés que le confinement a délocalisés à l’étranger.
En effet, le fait que ces salariés travaillent depuis leurs domiciles à l’étranger, ou traitent des contrats en leurs noms seraient ils constitutifs d’établissements stables ?
La notion d’établissement stable est une notion essentielle qui a émergé en droit fiscal international.
L’article 209, I du Code Général des Impôts pose le principe de l’imposition des entreprises exploitées en France.
La notion d’établissement stable visée par l’ensemble des conventions fiscales internationales permet de déterminer si une activité industrielle ou commerciale exercée dans un Etat est imposable au lieu d’exercice des activités ou au lieu de résidence de l’entreprise. Partant de là, cette notion permet de déterminer le lieu d’imposition.
La doctrine administrative BOI- IS-CHAMP-60-10-20 n°70 indique que les bénéfices provenant d’opérations effectuées par des entreprises françaises dans les établissements stables qu’elles possèdent à l’étranger ne sont pas imposables en France, corrélativement, les charges ou les pertes afférentes à ces opérations ne sont pas déductibles en France.
Les conventions fiscales internationales définissent l’établissement stable comme une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité, et donnent en général une liste d’exemples.
Parmi ces exemples, deux sont à retenir et qui sont impactés par cette crise sanitaire.
Ce sont les notions de bureau à domicile et d’agent dépendant, lesquels lorsqu’ils remplissent des critères de stabilité permanence sont constitutifs desdits établissements stables.
En effet, si par les effets du confinement et de l’interdiction de circuler, certains salariés désormais travaillent depuis leur domicile, seront-ils à l’origine de la création d’établissements stables de la société qui les emploie ? ce qui modifierait sensiblement les règles sociales et fiscales applicables.
L’OCDE ne le pense pas et donne des directives dans ce sens.
S’agissant des bureaux à domicile, dans la mesure où les personnes restent à domicile pour des raisons strictement liées au COVID-19 et non de manière temporaire, l’OCDE recommande de considérer qu’en l’espèce il ne s’agit pas de création d’établissement stable.
La même mesure s’impose en matière d’agent dépendant. Pour mémoire, un agent s’il s’agit d’une personne physique dépendant traite des contrats de l’entreprise en son nom et qui exerce son activité dans les domaines caractéristiques de l’existence d’un établissement stable.
L’OCDE indique à ce sujet « Il est peu probable qu’une activité exercée par un employé ou un agent dans un État soit considérée comme exercée de manière habituelle si la personne concernée ne travaille à domicile dans cet État que pendant une courte période dans un cas de force majeure et/ou à cause de directives gouvernementales ayant des répercussions exceptionnelles sur le cours normal de ses activités. »
Elle poursuit en précisant par ailleurs :
« Une approche différente peut toutefois être appropriée si l’employé concluait habituellement des contrats pour le compte de l’entreprise depuis son domicile avant la crise du COVID-19. »
S’agissant de l’Irlande, des instructions ont été publiées, invitant à ne pas tenir compte de la présence d’une personne physique en Irlande - et, le cas échéant, dans une autre juridiction - aux fins de l'imposition des bénéfices des sociétés dans le cas d'une entreprise par laquelle cette personne est employée en tant que salarié, directeur, prestataire de services ou agent dès lors qu’il est démontré que cette présence résulte de l’application des restrictions aux déplacements liées au COVID-19. Il conviendrait que la personne physique et l’entreprise conservent les pièces attestant les faits et circonstances qui justifient, de bonne foi, la présence de l’intéressé dans l'État concerné, ou au contraire en dehors de son territoire, de façon à pouvoir les présenter à l’administration fiscale si celle-ci demande la production de documents prouvant que cette présence est motivée par les restrictions aux déplacements liées au COVID-19.
Nous retiendrons que l’OCDE émet des recommandations et il conviendra donc de rester attentif aux communiqués émis par la Direction des impôts des non-résidents.
Maître AFLALO Nathalie
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