Constitue un acte anormal de gestion le versement par une sous-filiale à sa société mère d’avances hors de proportion avec la solvabilité de cette dernière en l’absence de justification de la nécessité de ces avances pour éviter la liquidation de la société mère dans des conditions entraînant sa propre liquidation.
Pour la CAA de Bordeaux et pour le Conseil d’Etat qui a refusé l’admission du pourvoi formé contre l’arrêt rendu par CAA de Bordeaux, ces avances constituent un acte anormal de gestion dès lors que leur montant apparaît hors de proportion avec la solvabilité de la société mère compte tenu du montant des capitaux propres de cette dernière et de ses résultats financiers qui ne sont pas de nature à établir l’existence de difficultés financières majeures. Il est par ailleurs relevé que la sous-filiale ne justifie pas que les avances consenties étaient nécessaires pour éviter la liquidation de la société mère dans des conditions telles qu’elle entraînerait elle-même sa liquidation.
Dans ces circonstances, il convient de réintégrer dans son bénéfice imposable le montant des provisions pour dépréciation de créances constituées par la sous-filiale, correspondant à ces avances de trésorerie.
Les arguments soulevés par la société pour demander au Conseil d’Etat l’admission du pourvoi formé contre l’arrêt rendu par CAA de Bordeaux n’ont pas convaincu le Conseil d’Etat. En effet, pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle a attaqué, la société soutient que la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que la circonstance qu'elle entretenait historiquement des relations commerciales avec sa société-mère ne suffisait pas à justifier de l'existence de relations commerciales. Elle soutient, de même, que la Cour d’appel a également commis une erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale avait, à bon droit, estimé que les avances qu'elle avait consenties constituaient un acte anormal de gestion, aux motifs, d'une part, que le montant de ces avances apparaissait hors de proportion avec la solvabilité de la bénéficiaire et, d'autre part, qu'elle ne justifiait pas que ces avances étaient nécessaires pour éviter la liquidation de sa société mère dans des conditions telles qu'elle entraînerait sa propre liquidation. Ces arguments n’ont pas eu la faveur du Conseil d’Etat qui a refusé l’admission du pourvoi.
Les charges acceptées en déduction du résultat doivent se rattacher à une gestion normale de l’entreprise, ce qui exclut la déduction des dépenses liées à des actes anormaux de gestion et des sanctions pécuniaires, conformément aux articles 38 et 39-2 du Code Général des Impôts (CGI). De même, les charges doivent être exposées dans l’intérêt direct de l’exploitation ce qui exclut les dépenses personnelles et les dépenses somptuaires art. 39-4 du CGI.
L’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l'entreprise ou qui la prive d'une recette sans être justifié par les intérêts de l'exploitation. L’acte anormal de gestion est caractérisé si une société s’appauvrit à des fins étrangères à son intérêt ( CE plén. 21-12-2018 no 402006). C’est une construction jurisprudentielle qui déroge au principe de la liberté de gestion.
Ainsi, si en principe, le dirigeant d’une entreprise doit pouvoir juger de l'opportunité de sa gestion, sans que le vérificateur puisse critiquer son choix (par exemple décider de financer un investissement par l'emprunt plutôt que sur ses fonds propres), cela n’empêche pas l’administration fiscale de faire référence à la notion d'acte anormal de gestion et de procéder à la rectification de certaines opérations. C’est le cas par exemple des sommes facturées à l'entreprise pour des prestations fictives (CE 2 mars 1988 n° 45625), de prise en charge de frais incombant à des entreprises tierces sans aucune contrepartie (CE 18 novembre1985 n° 51321), ou encore des dépenses dont le montant est excessif. Le fait qu’une société prenne en charge les frais d’entretien des pièces utilisées personnellement par son principal actionnaire est qualifié d’acte anormal de gestion (CE 4 décembre 1981). Sont qualifiés d’actes anormaux de gestion, des travaux effectués par l’entreprise dans des locaux appartenant à son dirigeant, dès lors que ces travaux ne sont pas utiles ou affectés à l’exploitation (CE 24 juin 1987). Il y a acte anormal de gestion lorsque des rémunérations sont versées à un salarié attaché au service personnel du dirigeant de l’entreprise (CE 27 octobre 1986). Le fait de renoncer à obtenir une contrepartie lors de la signature d’une concession de licence de marque (CE 26 septembre 2011), ainsi que l’acquisition par une société d’un brevet, dont l’inventeur est son propre PDG, alors que la société n’est pas en position d’exploiter le brevet du fait de son objet social et de ses difficultés financières (CE 17 octobre 2003), constituent des actes anormaux de gestion. Un surprix payé sans justification à un fournisseur étranger constitue un a acte anormal de gestion (CE 25 mars 1983).
Il faut noter que lorsque l'administration invoque le caractère anormal d'un acte de gestion, c’est à elle d’apporter la preuve que cet acte n'a pas été accompli dans l'intérêt de l’entreprise.
On peut remarquer l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif dans l’appréciation de l’acte anormal de gestion.
C’est ainsi que conformément à la position du Conseil d’Etat sur l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif, (CE 13 juillet 2016 no 375801, Monte Paschi Banque), la cour administrative d’appel de Versailles a censuré la position de l’administration, en jugeant que lorsqu’une entreprise, à l’occasion d’une opération entrant dans le cadre de son objet social, est victime d’une escroquerie causée par les agissements d’un tiers, l’administration n’est pas fondée à refuser la déduction de la perte correspondante, il importe peu que les dirigeants aient exposé leur entreprise à un risque élevé de perte par leur carence manifeste. En effet il n’y a pas d’acte anormal de gestion dès lors que l’opération n’est pas exclue de l’objet social de l’entreprise et qu’elle a été réalisée dans l’intérêt de l’entreprise, bien que le dirigeant ait procédé au paiement total de marchandises avant leur livraison effective sans vérifier au préalable les documents fournis par le vendeur, qui se sont, par la suite, révélés être des faux. (CAA Versailles 7 février 2017 no 15VE03890).
CAA Bordeaux 10-10-2023 n° 21BX04692 ; CE (na) 11-6-2024 n° 490101.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal