Les demandes de remises gracieuses
Les demandes de remises gracieuses peuvent concerner non seulement les pénalités, mais aussi le principal de l’impôt. Aux termes du 2° de l’article L 247 du LPF, l'administration peut accorder sur la demande du contribuable des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives. Cette disposition prévoit ainsi la remise totale ou partielle des pénalités. Les demandes de remises de pénalités interviennent lorsque les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives, c’est-à-dire en pratique, lorsque les voies de recours sont épuisées. Les demandes de remises gracieuses peuvent se faire par courrier ou oralement auprès du service. Aucun délai n’est imposé pour ces demandes. Elles peuvent être faites dès la mise en recouvrement. En pratique, lorsque la demande est faite à la suite d’une vérification de comptabilité ou un examen de situation fiscale personnelle, elle est adressé au service vérificateur.
En ce qui concerne les demandes de remise portant sur l’impôt lui-même, c’est le 1° de l’article L 247 du LPF qui permet à l'administration d’accorder, sur la demande du contribuable, des remises totales ou partielles d'impôts directs régulièrement établis lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence. Cette possibilité d’accorder des remises gracieuses, en ce qui concerne l’impôt lui-même, est assez restreinte, car en principe, le comptable public ne peut abandonner le recouvrement d’un impôt légalement dû. Il faut rappeler à ce propos les dispositions de l’article 432-10 du code pénal qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, d'accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires. Pour accorder une telle remise gracieuse de l’impôt-lui-même, il faut, comme le prévoit la loi, une situation de gêne ou d'indigence. C’est le cas par exemple d’un ex-conjoint, qui se retrouve, après le divorce, dans une situation financière désastreuse, ou encore une entreprise en difficulté. L’état de gêne et d'indigence est apprécié, à la date de la demande et non à celle de l’établissement de l’impôt, en confrontant, en principe, le montant de la dette fiscale du contribuable au montant de ses ressources. Les ressources du contribuable s’entendent de ses revenus mensuels ainsi que son patrimoine susceptible d'être cédé ; ressources desquelles il faut retrancher ses charges, notamment le loyers, les pensions alimentaires et autres dettes. Une demande de remise gracieuse n’ouvre pas droit au sursis de paiement de l’impôt.
Le traitement des demandes de remises gracieuses
Le traitement des demandes de remises gracieuses est fait au cas par cas, en tenant compte de la situation particulière de chaque demande et de la personnalité du contribuable. Si l’administration refuse d’accorder la remise demandée par le contribuable, ce dernier a la possibilité de saisir le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir, car le rejet d'une demande de remise gracieuse ne peut être déféré au juge administratif que par la voie d'un recours pour excès de pouvoir (CE 7e et 8e s.-s. 22-6-1983 n° 30300 et 30301). C’est ainsi par exemple qu’un contribuable qui a présenté à l’administration une demande de remise gracieuse n'est pas recevable à former, contre la décision de rejet, une demande en décharge ou réduction devant le juge de l'impôt (CE 8e et 9e s.-s. 16-7-1976 n° 240). Il faut d’ailleurs noter que seul le juge administratif est compétent pour connaître d’un tel recours, même dans les cas où le refus de remise gracieuse porte sur un impôt dont le contentieux relève du juge judiciaire, sauf les cas de refus d’accorder une remise dans le cadre d’un plan de règlement en ce qui concerne la remise de dette aux entreprises en difficulté, dès lors que les refus ne sont pas détachables de la procédure collective (Tribunal des Conflits, 08/07/2013, C3912, Société Absis).
Dans cette affaire, à la suite d'une vérification de sa comptabilité, la société Absis a fait l'objet de rappels de TVA et de pénalités. Ayant été placée, par la suite, en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Tours, l’administration fiscale a déclaré la créance fiscale au passif de la société. Le mandataire judiciaire a fait une proposition d'apurement du passif prévoyant, s'agissant de la dette fiscale, une remise partielle, ce que le comptable public a refusé. Après homologation du plan de redressement par tribunal de commerce, la société a formé un recours gracieux auprès du chef du pôle de recouvrement des impôts de Tours qui a confirmé la précédente décision de refus. La société a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la décision administrative. Le président du tribunal administratif d'Orléans comme la cour administrative d'appel de Nantes ont rejeté la demande d'annulation comme ayant été portée devant une juridiction incompétente. Autrement dit, le recours aurait dû être porté devant le juge judiciaire. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a renvoyé la question au Tribunal des conflits.
Pour le juge des conflits de juridictions, le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour connaître des contestations nées du redressement judiciaire ou soumises à son influence juridique, même si les créances dont il s'agit sont de nature fiscale et concernent un impôt dont le contentieux relève de la compétence de la juridiction administrative. Le TC a donc jugé que la contestation soulevée par la société Absis, objet d'une procédure de redressement judiciaire, qui a trait à l'élaboration des propositions pour le règlement de ses dettes en vue de l'établissement d'un projet de plan de redressement de l'entreprise, étant née de la procédure collective ouverte à son égard, relève de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire. Le TC a toutefois précisé que cette compétence du juge judiciaire s’exerce sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle relevant du juge administratif et dont dépendrait la solution du litige.
Le contrôle des refus de demandes de remises gracieuses
Il revient donc, en principe, au juge administratif d’apprécier la décision de refus de demande gracieuse. Dans tous les cas, le juge ne peut, comme en plein contentieux, se substituer à l’administration pour accorder lui-même la remise demandée au contribuable, ni s’interroger sur l’opportunité ou pas d’accorder la remise demandée. Seule l'administration a compétence pour statuer sur une demande gracieuse. Le juge administratif ne peut pas statuer directement sur une telle demande (CE 8e et 9e s.-s. 24-5-1982 n° 26929). Il ne peut qu’annuler la décision de refus si elle ne lui semble pas fondée, c’est dire, au final, un refus qui serait illégal. Cette illégalité peut résulter d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur sur la matérialité des faits, d’un détournement de pouvoir, ou encore d’une incompétence de l’auteur de l’acte. La décision refusant une remise gracieuse ne peut être annulée que si elle est entachée d'une erreur de droit, d'une erreur de fait, d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'un détournement de pouvoir (CE 8e et 3e s.-s. 24-7-2009 n° 304674, Sté Leuchtturm Albenverlag GmbH, RJF 11/09 n° 989, concl. N. Escaut BDCF 11/09 n° 126). Le juge a annulé par exemple une décision de refus, erronée en droit, car prise au motif que le contribuable a consacré ses maigres ressources au paiement de dettes non fiscales, telles que ses honoraires d’avocats (Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 07/03/2019, 419907). Dans cette affaire, les contribuables ont fait une demande de remise gracieuse des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge. La demande est refusée par le directeur départemental des finances publiques du Val d'Oise. Les contribuables ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision, en soutenant qu’ils sont surendettés, bénéficiaires du revenu de solidarité active et de la couverture maladie universelle, dépourvus de patrimoine et destinataires d'un avis de saisie de leurs meubles, et qu’ils se trouvaient, à la date à laquelle l'administration avait rejeté leur demande de remise gracieuse, en situation de gêne ou d'indigence au sens des dispositions de l'article L. 247 du LPF.
Le tribunal administratif a rejeté leur demande au motif qu’ils s'étaient eux-mêmes placés dans une situation d'insolvabilité et que la situation de gêne ou d'indigence dans laquelle ils se trouvaient était imputable à l'organisation volontaire par eux-mêmes de leur insolvabilité, d’autant qu’ils avaient perçus des revenus annuels de l'ordre de 35 000 € les deux années précédentes et avaient choisi d'affecter ces ressources au remboursement de crédits à la consommation et au règlement d'honoraires d'avocat plutôt qu'au comblement de leur dette fiscale. En cassation, après avoir rappelé que lorsque l'impossibilité de payer dans laquelle se trouve le contribuable par suite de gêne ou d'indigence, qui s'apprécie à la date à laquelle elle se prononce, est imputable à l'organisation volontaire par celui-ci de son insolvabilité, l'administration peut rejeter une demande de remise gracieuse sans avoir à rechercher s'il existe une disproportion entre les revenus du contribuable et le montant de sa dette fiscale, le Conseil d’Etat a annulé le jugement du tribunal administratif comme étant entaché d'erreur de droit.
En effet, la dette fiscale au titre de l’IR s'élevait, à l'exclusion des majorations et compte tenu des règlements partiels effectués, à environ 15 000 €. Or, les contribuables, dépourvus de patrimoine, percevaient un revenu de solidarité active de 621 € par mois ainsi qu'une allocation logement de 367 € mensuels et supportaient un loyer de 952 € par mois, le revenu demeurant disponible après paiement de leurs charges s'élevant par suite à 36 € par mois. Pour le Conseil d’Etat, il en résulte qu'ils se trouvaient dans l'impossibilité de payer du fait d'une situation de gêne ou d'indigence.
Il faut d’ailleurs remarquer que dans cet arrêt, le Conseil d’Etat, note, et contrairement à ce que soutient l’administration fiscale, que les dispositions du 1° de l'article L. 247 du LPF ne subordonnent pas la faculté qu'elles ouvrent à l'administration d'accorder au contribuable une remise gracieuse, pour ce qui concerne les dettes en principal relatives à des impôts directs, à la condition que les impositions en cause soient devenues définitives. En ce qui concerne les droits en principal donc, pour le Conseil d'État, la remise peut intervenir dès lors que l'imposition est régulièrement établie. Cette position du Conseil d’Etat infirme la doctrine administrative qui écarte les remises gracieuses d'impôts directs contestés devant la juridiction contentieuse tant qu'aucune solution définitive n'a été prise ou, à défaut de contestation, tant que le délai de réclamation n'est pas expiré (BOI-CTX-GCX-10-20 n° 130 à 150, 12-9-2012 et BOI-CTX-GCX-10 n° 10). La décision de refus d’accorder la remise gracieuse est directement annulée également par le Conseil d’Etat, car l'administration fiscale a commis une erreur manifeste d'appréciation.
En revanche, l'administration n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation en rejetant une demande de remise gracieuse présentée par un contribuable qui a connu une période de chômage et de formation professionnelle dès lors que durant cette même période, celui-ci a conservé des revenus et remboursé un emprunt souscrit pour l'acquisition d'une maison d'habitation (CAA Nancy 1-6-1994 n° 93681). De même, l'administration ne commet pas d'erreur manifeste d'appréciation ni de détournement de pouvoir en refusant de prononcer la remise gracieuse demandée de taxe foncière sur les propriétés bâties, eu égard non seulement aux ressources de l'intéressé mais aussi à la valeur de son patrimoine, y compris sa résidence principale, et compte tenu du faible montant de la somme réclamée (CE 8e et 3e s.-s. 9-11-2005 n° 269669).
Il est vrai que le juge exerce, lors ces recours pour excès de pouvoir contre des décisions de refus de remise gracieuse, un contrôle de légalité sur une mesure d’équité. Dès lors que les décisions prises sur des demandes gracieuses relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'administration, le juge se livre à un contrôle restreint. Mais, même si le contrôle du juge est un contrôle restreint, «il y a bien sûr quelque chose d’étrange dans ce contrôle de légalité d’une décision prise… en équité, c’est-à-dire en fonction de considérations théoriquement extra-juridiques. Mais le juge administratif s’efforce seulement de vérifier que la liberté d’appréciation laissée à l’administration ne se traduit pas par un comportement arbitraire » (Martin Collet, Pierre Collin ; Procédures fiscales ; Contrôle, contentieux et recouvrement de l'impôt ; Presses Universitaires de France, Collection Thémis, 5e édition, Parution 10/01/2024, page 232).
Arnaud SOTON
Avocat Fiscaliste
Professeur de droit fiscal