Interdiction des moyens nouveaux en cause d'appel à l'appui d'une contestation des poursuites

Publié le 29/09/2015 Vu 7 967 fois 0
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Par une décision du 25 juin 2015, la Cour de cassation a rappelé, qu'au titre de l'article R.311-5 du code des procédures civiles d'exécution, qu'aucun moyen de fait ou de droit ne peut être formulé pour la première fois devant la cour d'appel à l'appui d'une contestation des poursuites.

Par une décision du 25 juin 2015, la Cour de cassation a rappelé, qu'au titre de l'article R.311-5 du code d

Interdiction des moyens nouveaux en cause d'appel à l'appui d'une contestation des poursuites

Une banque a engagé une procédure de saisie immobilière à l’encontre d’époux, en exécution d'un acte notarié contenant leur cautionnement hypothécaire en garantie des engagements de leur fils. Ces derniers ont contesté la procédure devant le juge de l’exécution.

Dans un arrêt du 10 avril 2014, la Cour d’appel de Versailles a déclaré recevable la contestation des époux. Elle a retenu que la demande des appelants, visant à faire déclarer la créance non exigible, ne constituait pas une demande incidente. Ainsi, leur demande ne contrevenait pas aux dispositions de l’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution.

Le 25 juin 2015, la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation[1], au visa du même article. Il résulte du texte qu’aucun moyen de fait ou de droit ne peut être présenté pour la première fois en cause d’appel, à l’appui d’une contestation des poursuites. La Cour d’appel ne pouvait pas déclarer recevable le moyen, tiré des délais accordés au débiteur par le plan de surendettement, soulevé pour la première fois devant elle.

La décision permet de s’interroger sur la recevabilité des moyens nouveaux, en cause d’appel, à l’appui d’une contestation des poursuites.

           

  • Le fondement de l’article R.311-5 du code des procédures civiles d’exécution

L’audience d’orientation est obligatoire. L’article R.322-15 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que celle-ci doit vérifier la régularité de la procédure, et qu’elle doit statuer sur les contestations et les demandes incidentes. Aussi, elle détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée.

Ainsi, lorsque l’audience a été tenue les contestations et les demandes incidentes ne pourront plus être soulevées postérieurement au jugement d’orientation. Ce dernier couvrira toutes les nullités de formes, ou de fond qui ont pu être constatées tardivement. En pratique, il convient de relever que l’audience d’orientation est le moment où doivent être concentrées : les contestations et les demandes incidentes relevant de la poursuite. L’idée est de purger le litige de toutes les contestations et demandes incidentes pendant l’audience d’orientation.

Par conséquent, le contestataire qui a commis une erreur, ou qui découvre tardivement un moyen qui pourrait obtenir la conviction du juge de l’exécution, ne pourra pas soulever ce dernier en cause d’appel du jugement d’orientation. Il se retrouve contraint de présenter seulement les prétentions qu’il a pu soumettre devant le juge de l’exécution lors de l’audience d’orientation. L’objet de cette mesure est de concentrer la masse litigieuse lors de cette procédure. L’article R.311-5 du code des procédures civiles d’exécution[2] prévoit une exception lorsque la contestation ou la demande incidente porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Il en est de même en cas de réouverture des débats, ou lors du renvoi de l’audience d’orientation par le magistrat de l’exécution.

  • Une solution jurisprudentielle contestable

L’article R.121-5 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « sauf dispositions contraires, les dispositions communes du livre Ier du code de procédure civile sont applicables, devant le juge de l'exécution, aux procédures civiles d'exécution à l'exclusion des articles 484 à 492-1 ». Ainsi, certaines règles des procédures civiles d’exécution se détachent de la procédure d’appel de droit commun, tels est le cas de la recevabilité des moyens nouveaux en cause d’appel du jugement d’orientation.

La Haute Cour a procédé à une interprétation stricte de l’article R.311-5 du code des procédures civiles d’exécution. L’interdiction de présenter pour la première fois un moyen de fait ou de droit en cause d’appel, à l’appui d’une contestation de poursuite constitue sa suite logique. En effet, si l’article prohibe les contestations et les demandes incidentes nouvelles, il est cohérent d’y ajouter les moyens qui en sont leur soutien, mais aussi les moyens nouveaux qui pourraient être présentés au soutien de la contestation du jugement d’orientation.

Le moyen nouveau peut se définir comme celui qui est présenté pour la première fois devant le juge d’appel ; ou comme l’élément de fait ou de droit présenté en cours d’instance et qui est de nature à modifier les données du litige. Le moyen nouveau est celui qui aurait pu être présenté devant les premiers juges, mais qui ne l’a pas été.

Ainsi, l’article R. 311-5 déroge à l’effet dévolutif de l’appel, qui est attaché à l’appel de droit commun. La dévolution, qu’elle soit totale ou partielle, consiste à la transmission du litige au juge d’appel[3]. Lors de la procédure d’appel de droit commun, le magistrat du second degré statue une nouvelle fois en droit et en fait sur les chefs du jugement critiqués. Pour cela, il est investi de la faculté de rejeter la demande nouvelle en cause d’appel[4]. Les rédacteurs du code de procédure civile ont toutefois autorisé les plaideurs à soulever des moyens nouveaux au soutien des prétentions originelles[5].

L’article R.311-5 énonce une limite à l’effet dévolutif, en matière d’appel de l’audience d’orientation. Le plaideur ne peut ni contester, ni présenter une demande incidente, et donc de facto aucun moyen nouveau devant le juge d’appel de l’audience d’orientation. Le magistrat est tenu de soulever l’exception de nouveauté d’office et de prononcer l’irrecevabilité de la contestation, de la demande incidente[6], ou du moyen nouveau.

L’extension de l’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution aux moyens nouveaux présentés en cause d’appel paraît justifié, parce que l’appel de l’audience d’orientation n’est pas une procédure censée reprendre du fond de l’affaire. Il tend seulement à remettre en cause l’audience d’orientation, telle qu’elle a été connue par les premiers juges. En la matière, l’appel tend plutôt à être une voie de réformation.

Indirectement, si l’on accordait au plaideur le droit de revoir sa stratégie initiale, ce serait laisser une place à une nouvelle technique procédurale dilatoire. Cette dernière permettrait de retarder l’exécution du jugement au fond qui a été préalablement tranché, en obligeant le juge d’appel à étudier de l’affaire sous un angle, plus ou moins différent, que les premiers juges. Cette restriction reste donc favorable au créancier, car elle lui permet d’obtenir un délai d’exécution de la décision de justice qui ne soit pas déraisonnable.

Cependant, cette position jurisprudentielle paraît extrêmement restrictive, parce qu’elle oblige le plaideur à devoir reprendre sa stratégie originelle, c’est-à-dire celle qui a été présentée lors de l’audience d’orientation. Le magistrat d’appel statuera sur le litige, mais uniquement suivant les données présentées devant les premiers juges. La technique permettrait ainsi de gérer le flux d’affaire en la matière, qui peut se révéler important, et notamment lorsque la saisie immobilière touche la résidence principale du débiteur.

La Cour de cassation n’a pas déclaré l’appel irrecevable. Le plaideur a conservé son droit d’interjeté appel[7]. Toutefois, s’il doit concentrer lors de l’audience d’orientation l’ensemble de ses contestations (moyens, prétentions etc.), c’est que la Haute cour a entendu limiter l’exercice de la voie de l’appel en la matière. La prohibition des moyens nouveaux en cause d’appel du jugement d’orientation ne laisse plus de place à l’évolution de la matière litigieuse, comme en procédure d’appel de droit commun.

La décision est sévère, puisque la saisie immobilière est une procédure civile d’exécution qui reste lourde de conséquences, surtout lorsqu’elle touche le logement familial.

 

[1] Cass. Civ. 2, 25 juin 2015, pourvoi n° 14-18.967.

[2] Art. R.311-5 du code des procédures civiles d’exécution : « aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Dans ce cas, la contestation ou la demande incidente est formée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'acte ».

[3] Art. 561 et s. du code de procédure civile.

[4] Suivant la règle de l’interdiction des demandes nouvelles en cause d’appel, V. art. 564 du code de procédure civile.

[5] Suivant la conception actuelle de l’appel comme « voie d’achèvement maîtrisée du procès ». V. art. 563 du code de procédure civile.

[6] Cass. Civ. 2, 31 mars 2011, pourvoi n°10-13.929, Inédit.

[7] Encore que le droit d’appel ne constitue pas un droit fondamental. V. la position de la CEDH, en son arrêt du 26 octobre 1984, De Cuber C/ Belgique, aff. n° 9186/80, ou du 14 janvier 2010, Tsasnik c/ Grèce, aff. n° 3142/08,  en interprétation de l’article 6§1 de la Convention dont elle est garante du respect. Dans le même sens, V. la position du Conseil Constitutionnel, Cons. Const. 12 février 2004, Polynésie Française, n° 2004-491 DC. Toutefois, s’il est accordé aux justiciables, il doit bénéficier des mêmes garanties que la saisine des premiers juges (droit au procès équitable).

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