CA RENNES, 01er février 2023, RG n° 21/06024 *
Par cet arrêt, dont l'infographie synthétique est téléchargeable, la Cour d'appel de RENNES rappelle l’obligation à tout employeur d’assurer et de garantir la sécurité de ses salariés lors de la consommation d’alcool sur le lieu de travail. A défaut, sa responsabilité est susceptible d’être engagée au titre d’une faute inexcusable.
Au préalable, on rappellera la définition d'une faute inexcusable. La jurisprudence se réfère directement à l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur à l’égard de ses salariés en matière de faute inexcusable.
Ainsi, le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-18.389).
Récemment, suite à l’évolution de la chambre sociale de la Cour de cassation sur l’obligation de sécurité passant d’une obligation de résultat à une obligation de moyen renforcée, la deuxième chambre civile a légèrement modifié sa définition de la faute inexcusable.
A l’instar de la chambre sociale, elle ne fait plus référence à l’obligation de sécurité de résultat mais renvoie à la notion d’« obligation légale de sécurité et de protection de la santé » (Cass. civ. 2ème, 8 octobre 2020, n° 18-25.021).
On relèvera également que la jurisprudence estime qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass. ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038).
Au cas d’espèce, il était question d’un salarié qui a malheureusement été victime d'un accident du travail mortel après avoir percuté un arbre avec son véhicule en partant d'un chantier. Par décision du 15 décembre 2017, après enquête administrative, la CPAM a pris en charge le décès au titre de la législation professionnelle.
Les ayants droits du défunt ont saisi les juridictions de sécurité sociale en vue de faire reconnaitre la faute inexcusable de l'employeur.
Après avoir rappelé la définition d’une faute inexcusable, la Cour d’appel de RENNES rappelle que le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.
En premier lieu, elle revient précisément sur les circonstances de l’accident à l'origine du décès du salarié.
Ainsi, il ressortait des témoignages et auditions versés aux débats que l'alcool était présent en quantité sur le chantier le jour des faits et que l'ensemble des salariés, en présence du gérant, en ont consommé à plusieurs reprises au cours de la matinée et de la pause déjeuner, suivant en cela une pratique observée les jours précédents.
Dès lors, compte tenu de sa présence, la Cour estime que le gérant ne pouvait pas ignorer les conséquences que cette consommation régulière et importante d'alcool sur le chantier pouvait avoir sur la santé et la sécurité des salariés y travaillant.
Elle relève également que le jour de l'accident le gérant avait demandé au salarié décédé de se rendre chez un client pour y réaliser une prestation avec le véhicule de l'entreprise.
Ainsi, pour la Cour, l'employeur avait connaissance de la présence de boissons alcoolisées sur le chantier, qu'il n'en a pas à tout le moins limité la consommation et a pris au final la décision de demander au salarié de conduire le véhicule d'entreprise tout en sachant qu'il avait consommé de l'alcool.
Elle retient également qu’à supposer que les fautes commises par l'employeur ne sont ni la cause unique ni la cause déterminante de l'accident, elles en sont bien une cause nécessaire, en ce que ledit employeur, qui avait les moyens d'empêcher une consommation excessive d'alcool sur le chantier et devait interdire dans ces circonstances au salarié de prendre le volant, n'en a rien fait.
En dernier lieu, elle écarte l’argument de l’employeur invoquant de l’existence d’une faute inexcusable de la victime elle-même dans la survenance de l'accident.
En application de l’article L. 453-1 du code de la sécurité sociale, « ne donne lieu à aucune prestation ou indemnité, en vertu du présent livre, l'accident résultant de la faute intentionnelle de la victime ».
Selon la jurisprudence, la faute inexcusable de la victime au sens de cette disposition s'entend comme une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (Cass. civ. 2ème, 17 janvier 2007, n° 05-17.701).
Tel n’était pas le cas en l’espèce.
Dès lors, la Cour d’appel reconnait l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de l’accident du travail.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.