CA REIMS, 10 mai 2023, RG n° 22/00655 *
Par cet arrêt, dont l'infographie synthétique est téléchargeable, la Cour d’appel de REIMS est amenée à apprécier l’application du droit à la déconnexion à une salariée soumise à une convention de forfait en jours.
Notion mise sur le devant de la scène ces dernières années, au point tel qu’elle constitue aujourd’hui un véritable droit pour tout salarié de ne pas être perturbé en dehors de ses heures de travail par ses outils professionnels numériques permettant une communication instantanée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Autrement dit, il s’agit de permettre un meilleur équilibre entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. A titre d’illustration, il s’agit de prohiber à un salarié de répondre à ses mails durant son jour de repos et les week-ends.
Ce droit à la déconnexion a été consacré récemment dans le code du travail et notamment l’article L. 2242-17 dudit code.
Ainsi, la négociation annuelle sur la qualité de vie et des conditions de travail doit notamment porter sur les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.
Plus précisément, selon l’article L. 3121-64 du code précité, il est prévu qu’un accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Une telle précision se comprend dans la mesure où un salarié soumis à une convention de forfait jours n’est pas soumis aux dispositions du code du travail relatives au temps hebdomadaire de 35 heures.
Il incombe alors à l'employeur de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail, dont notamment le respect de son droit à la déconnexion.
A défaut, la convention de forfait en jours est sans effet (Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 17-18.725).
Au niveau de la jurisprudence, le droit à la déconnexion peut se retrouver de manière indirecte. A titre d’illustration, le fait de n'avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave (Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-45.889).
Au cas présent, il était question d’une salariée qui occupait, au dernier état de la relation contractuelle, un poste de directrice régionale étant soumise à une convention de forfait de 216 jours. Elle a finalement été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Invoquant un comportement fautif de son employeur à l'origine de son inaptitude, elle a saisi les juridictions prud'homales.
Après avoir rappelé que l’employeur est soumis à une obligation de sécurité à l’égard de sa salariée, la Cour d'appel de REIMS relève qu'un accord collectif sur le droit à la déconnexion a été signé aux termes duquel les parties reconnaissent l'importance d'un tel droit notamment au regard de l'articulation entre la vie professionnelle et la vie privée.
Or, la salariée produisait de nombreuses pièces (messages WhatsApp, mails, SMS) permettant d'établir qu'à plusieurs reprises, des échanges sont intervenus en dehors du temps de travail entre la salariée et ses supérieurs.
Ainsi, pour la Cour, en agissant de la sorte, l'employeur a méconnu le droit à la déconnexion de sa salariée, en ne lui laissant pas la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition par l'entreprise en dehors de son temps de travail et notamment durant son temps de repos, peu important qu'une formation sur le droit à la déconnexion ait été dispensée à la salariée.
De même, l'employeur n'établissait pas avoir mis en place, dans le cadre de la convention de forfait, l'entretien annuel individuel devant porter notamment sur l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.
Dès lors, il est établi que des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité ont perduré dans le temps et ont eu pour conséquence de priver régulièrement la salariée de temps de repos et de congés, ce qui a conduit à la dégradation de son état de santé.
La Cour d’appel de REIMS estime donc que la dégradation de l'état de santé de la salariée, à l'origine de son inaptitude, trouve au moins pour partie son origine dans les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, de sorte que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.
Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON en droit du travail et droit de la sécurité sociale
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.