CA GRENOBLE, 29 juin 2021, RG n° 19/01925 *
Par cet arrêt, dont l'infographie synthétique est téléchargeable, la Cour d'appel de GRENOBLE revient sur les conditions de reconnaissance de la faute inexcusable d’un employeur.
Au cas présent, une salariée a déclaré une maladie qui a fait l’objet d’une décision de prise en charge par la CPAM au titre d’une tendinopathie des muscles épicondyliens du coude gauche relevant du tableau n° 57 B.
Elle a, ensuite, saisi les juridictions d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de cette maladie professionnelle et d'indemnisation subséquente de son préjudice.
Pour ce faire, elle soutenait que le danger auquel elle s'exposait « en s'astreignant volontairement ou non à une cadence effrénée » était connu de son employeur, « qui n'aurait jamais entretenu son médecin traitant des risques qu'elle encourait relativement à son membre supérieur gauche, en étant affectée à une chaîne de montage, en s'épuisant et en s'affamant ».
Autrement dit, elle reprochait à son employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin de l’empêcher de travailler jusqu’à épuisement.
Rappelons, au préalable, que depuis maintenant plus de dix ans, la jurisprudence se réfère directement à l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur à l’égard de ses salariés. Ainsi, le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-18.389).
Récemment, suite à l’évolution de la chambre sociale de la Cour de cassation sur l’obligation de sécurité passant d’une obligation de résultat à une obligation de moyen renforcée, la deuxième chambre civile a légèrement modifié sa définition de la faute inexcusable.
A l’instar de la chambre sociale, elle ne fait plus référence à l’obligation de sécurité de résultat mais renvoie à la notion d’ « obligation légale de sécurité et de protection de la santé » (Cass. civ. 2ème, 8 octobre 2020, n° 18-25.021).
De notre point de vue, dans le contentieux de la faute inexcusable, cette évolution sémantique n’aura que peu d’impact en pratique. Attendons de voir la jurisprudence ultérieure ainsi que le commentaire de cet arrêt dans le futur rapport annuel de la Cour de cassation de l’année 2020.
En l’espèce, la Cour d’appel de GRENOBLE rappelle qu’il appartient au salarié de rapporter la preuve, d’une part, de la conscience de la part de son établissement d'accueil du danger auquel elle prétend avoir été exposée et, d’autre part, de l'absence de mesures de préservation nécessaires pour l'en préserver.
Tout d’abord, les juges du fond recherchent l’origine de la maladie professionnelle présentée par la salariée au niveau de son coude gauche (épicondylite). Contrairement à ce que cette dernière soutenait, la Cour note que le danger auquel elle a été exposée ne résultait pas de son affectation sur une chaîne de montage, mais, comme elle l'indiquait elle-même, « du fait qu'elle s'astreignait à une cadence effrénée ». Elle se fonde notamment sur les avis rendus par le médecin du travail qui n’avait jamais exclu une telle affectation.
Pour autant, elle constate que l’employeur avait connaissance du rythme de travail que s’imposait sa salariée au détriment de son propre état de santé.
Cela étant, la Cour précise que l’employeur avait attiré l’attention de sa salariée en lui préconisant de modérer ses efforts et relâcher la pression. Il avait également mis à disposition de la salariée un bureau pour qu’elle puisse prendre sa pause repas et s’y reposer.
Ainsi, selon la Cour, ceci démontre les mesures de préservation mises spécifiquement en place à l'égard de la salariée pour la préserver d'un danger auquel elle s'exposait elle-même.
Elle écarte donc toute faute inexcusable de l’employeur.
Sur ce dernier point, la motivation de la Cour n’apparait pas critiquable puisque l’employeur avait pris des mesures effectives en vue de préserver la santé et assurer la sécurité de sa salariée.
Néanmoins, le motif concernant l’exposition volontaire à la surcharge de travail apparait plus discutable. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass. civ. 2ème, 20 juin 2019, n° 18-19.175).
Plus précisément, la faute de la victime dans la réalisation de son accident ou sa maladie ne peut suffire à exonérer l’employeur de sa responsabilité, hormis l’hypothèse d’une faute inexcusable du salarié lui-même. Or, une telle faute est très peu retenue par les juges puisqu’elle nécessite la commission d’une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité (Cass. civ. 2ème, 24 septembre 2020, n° 18-26.155).
Au cas présent, la faute inexcusable de la salariée ne semble pas présente, ce qui enlève toute son importance au motif invoqué par la Cour sur l’exposition volontaire au risque de surcharge de travail.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.