Ni le code du travail, ni aucun arrêt de principe ne vient définir la notion d’insuffisance professionnelle. Pour pallier à ce vide juridique, il apparait opportun de se tourner vers quelques décisions de Cours d’appel ayant été amenées à statuer sur le bien-fondé d’un licenciement pour un tel motif.
A titre d’illustration , un arrêt de la Cour d’appel de MONTPELLIER a défini cette notion « comme un manque de compétence du salarié dans l'accomplissement des missions qui lui sont confiées, à raison d'échecs, d'erreurs ou de négligences qui rendent sa prestation de travail insatisfaisante » (CA MONTPELLIER, 8 juin 2011, RG n° 10/04465).
Dans le même ordre d’idée, plus récemment, la Cour d’appel de ROUEN l’a défini de la manière suivante (CA ROUEN, 14 novembre 2019, RG n° 17/03400) :
« L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante son travail dans un emploi correspondant à sa qualification. Elle se manifeste par une mauvaise qualité du travail due à une incompétence ou à une inadaptation à l'emploi et, involontaire, doit être distinguée de la faute professionnelle justifiant un licenciement disciplinaire. Elle ne peut en principe être invoquée subitement pour fonder un licenciement sans que l'employeur ait attiré l'attention du salarié sur ce qui, dans son activité, laisse à désirer afin de lui permettre d'y remédier ou de se reprendre. Une défaillance passagère ne peut suffire à justifier une insuffisance professionnelle ».
Au regard de ces définitions, il en ressort qu’une insuffisance professionnelle traduit une insatisfaction générale de l’employeur sur la qualité de travail de l’un de ses salariés (1).
Au surplus, une insuffisance professionnelle peut se transformer en une faute si celle-ci est consécutive à une mauvaise volonté délibérée ou une abstention volontaire (2).
1°/ Sur la caractérisation de l’insuffisance professionnelle
Pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, indépendamment de toute faute professionnelle, l’insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits précis, objectifs, matériellement vérifiables et imputables personnellement au salarié et non sur l'appréciation subjective de l'employeur.
Constitue de tels éléments :
- La non-atteinte d’objectifs parfaitement réalisables,
- La comparaison avec d’autres salariés occupant le même poste,
- La répétition d’erreurs largement évitables en dépit d’une formation adaptée au poste de travail.
L’insuffisance professionnelle est ainsi avérée pour un salarié cadre n’arrivant pas à mener ses missions et faisant preuve d’un manque total d’autonomie en dépit des efforts de formation et d’adaptation de l’employeur (Cass. soc., 16 mai 2018, n° 16-25.552).
En revanche, l’insuffisance professionnelle non imputable au salarié mais à un manquement de l’employeur ou à une cause indépendante de sa volonté ne saurait justifier un licenciement sur ce motif.
Tel est la cas lorsque l’insuffisance n’est pas imputable aux capacités d’une salariée mais à des absences de personnels au sein du bureau dont elle avait la responsabilité (Cass. soc., 22 février 2017, n° 15-25.023).
De même, comme cela ressort de la définition donnée par la Cour d’appel de ROUEN, une insuffisance professionnelle ponctuelle ne peut justifier un licenciement (Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 07-43.194).
Enfin, il n’appartient pas au juge de substituer son appréciation à celle de l'employeur, notamment dans l'appréciation des possibilités d'affectation du salarié dans un autre poste (Cass. soc., 11 février 1981, n° 79-41.532).
Sur ce point, la position diverge pour les salariés protégés. En effet, avant de procéder à un licenciement pour un tel motif, l’employeur a l’obligation de procéder à une recherche de reclassement (CE, 8 octobre 2014, n° 361920).
2°/ Sur l’insuffisance professionnelle fautive
En principe, l’insuffisance professionnelle ne saurait constituer une faute disciplinaire fondant un licenciement sur ce motif (Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-44.543).
Exception à ce principe, l’insuffisance professionnelle peut justifier un licenciement disciplinaire dès lors qu’elle résulte d’une mauvaise volonté délibérée du salarié ou d’une abstention volontaire caractérisant ainsi une faute de sa part.
En vue de passer le stade d’une mauvaise qualité de travail à une faute disciplinaire, il appartiendra à l’employeur de démontrer ladite mauvaise volonté délibérée, ce qui peut être particulièrement ardu en pratique.
Tel peut être le cas, par exemple, d’erreurs récentes et répétées d'un salarié, quels que soient l'ancienneté et les mérites antérieurs de l'intéressé (Cass. soc., 20 janvier 1982, n° 80-40.002).
En effet, les erreurs répétées, en dépit de nombreux rappels à l'ordre, démontrent la mauvaise volonté du salarié de ne pas s'investir dans l'exécution de ses tâches (Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-22166).
Le caractère réitératif d’erreurs déjà sanctionnées par le passé peut également caractériser ce comportement fautif, ce qui peut justifier un licenciement pour faute grave (Cass. Soc., 27 novembre 2013, n° 12-19.898).
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
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