Nullité d'un licenciement fondé sur le port de la barbe

Publié le 09/07/2020 Vu 4 577 fois 0
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Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.743

Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.743

Nullité d'un licenciement fondé sur le port de la barbe

Par un arrêt soumis à la plus grande publication et dotée d'une motivation enrichie, la Cour de cassation confirme un arrêt ayant jugé nul et discriminatoire le licenciement d'un salarié fondé sur le port de la barbe. 

Sur le fondement des articles L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ainsi que des dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, la juridiction suprême rappelle que les restrictions à la liberté religieuse doivent répondre aux conditions cumulatives suivantes :

  • Etre justifiées par la nature de la tâche à accomplir,
  • Répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

La Cour de cassation revient également sur son arrêt concernant le port de signes religieux dans lequel elle a précisé dans un attendu de principe que (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855) :

L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des       libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients"


En l'espèce, en l'absence d'une telle clause de neutralité dans le règlement intérieur de la Société en cause, ni d'une note de service interne, celle-ci a commis une discrimination directe en interdisant à son salarié le port d'une barbe en tant qu'elle manifestait ses convictions politiques et religieuses.

Afin de justifier cette discrimination directe, il appartenait à l'employeur de rapporter la preuve des deux éléments susvisés, à savoir que cette différence de traitement était fondée sur une exigence professionnelle essentielle et déterminante ainsi que proportionnée au but recherché.

Or, tel n'est pas le cas selon la Cour de justice de l'Union européenne, une telle exigence ne pouvant seulement résulter de la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits de ses clients.

En effet, un tel motif est purement basé sur des considérations subjectives (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15).

En revanche, un motif lié à la sécurité et à la santé du personnel est susceptible de justifier une interdiction du port de la barbe.

Là encore, et comme l'a relevé la Cour d'appel de VERSAILLES, l'employeur ne rapportait pas la preuve de ce motif par l'existence de risques spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de ses missions au YEMEN.

Dès lors, les juges ont estimé que le licenciement du salarié reposait, en partie, sur un motif discriminatoire non justifié, de sorte qu'il était nécessairement nul. Ils ont ainsi ordonné sa réintégration.

A cet égard, il convient de noter que la consigne de sécurité relative au port de la barbe doit être portée à la connaissance du salarié (Clause dans le contrat de travail, du règlement intérieur ou d'une note interne). A défaut, elle ne lui est pas opposable, de sorte que l'employeur ne pourra pas lui reprocher le port de la barbe (CA PAU, 15 mai 2019, RG n° 17/04126).

Au contraire, le licenciement d'un salarié a été déclaré bien-fondé dans l'hypothèse où le port de la barbe était limité en raison du besoin de porter des équipements de protection individuelle dans le domaine nucléaire(CA NIMES,  21 juin 2016, RG n° 14/04558).

De nombreuses juridictions sont amenées à statuer sur la question du port de signes religieux au travail, dont la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci a par exemple jugé concernant le port de signe religieux que (CEDH, 15 janvier 2013, Affaire EWEIDA et autres c. Royaume-Uni):
 
  • Le fait de limiter le port d'une croix à des hôtesses de l'air ne paraissait pas justifié,
  • Au contraire, le port d'un tel signe religieux peut être limité pour des infirmières en vue d'assurer la protection de la santé et de la sécurité de ces dernières et des patients.
En définitive, autant l'adoption de mesure collective (insertion d'une clause de neutralité dans le règlement intérieur que de mesure individuelle (sanction disciplinaire) mérite un examen approfondi de la situation et une appréciation au cas par cas.
 

Maître Florent LABRUGERE

Avocat au Barreau de LYON

https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/

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