CA AMIENS, 02 mars 2023, RG n° 22/01437 *
Par cet arrêt, dont l'infographie synthétique est téléchargeable, la Cour d'appel d’AMIENS est amenée à statuer sur le bien-fondé d’un licenciement prononcé en raison d’un abus à la liberté d’expression d’un salarié.
Au cas présent, il était question d’un salarié engagé, le 02 avril 2012, en qualité d'aide médico-psychologique dans une association. Le 25 septembre 2020, il a été licencié pour faute grave. Il est reproché au salarié d'avoir gardé sur son ordinateur professionnel un photomontage du directeur de l'établissement dans une posture caricaturale.
La lettre de licenciement détaillait ledit photomontage affichant son responsable « assis à son bureau affublé de dessins de chapeau sur sa tête, d'une moustache sur son visage et d'un sexe masculin d'une (taille particulièrement imposante entre ses mains, dépassant sa propre taille sur la photo) ».
La première norme de référence pour ce type d’affaire est l’article L. 1121-1 du code du travail qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Les libertés individuelles sont celles instaurées au niveau constitutionnel et international, dont la liberté d’expression consacrée, en interne, à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et, à l’international, à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Rapporté au droit du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation juge de manière constante qu’y compris dans la sphère professionnelle, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression (Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995).
Il est, dès lors, question de savoir comment caractériser un abus dans la liberté d’expression susceptible de justifier un licenciement.
Pour la juridiction suprême, un tel abus se retrouve en présence de « propos injurieux, diffamatoires ou excessifs » (Cass. soc., 25 janvier 2023, n° 21-15.632).
A titre d’illustration, les propos suivants n’ont pas été considérés comme caractérisant un abus (Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-24.705) :
« J'espère qu'en arrivant chez Time hôtels tu as un plan B car lorsque tu ne seras plus en odeur de sainteté tu seras débarqué. Tu es en période d'essai ? C'est 6 mois ? ».
A cet égard, « le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement » (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060).
Au contraire, constitue des propos excessifs tenus par un salarié à ses responsables (Cass. soc., 7 décembre 2022, n° 21-19.280) :
« Tout ce que vous dites ou faites est bidon de chez bidon »
« Moi quand je suis dans mon train je pense… Vous, dans votre bureau vous ne pensez pas »,
Après avoir rappelé les règles précitées, la Cour d’appel d’AMIENS précise que l’abus à la liberté d’expression s'apprécie notamment au regard de la teneur des propos, de leur degré de diffusion, des fonctions exercées par l'intéressé et de l'activité de l'entreprise.
Au cas présent, elle note que le salarié licencié n'était pas l'auteur du photomontage satirique de son directeur. Elle relève également que le photomontage n'a pas été diffusé à l'extérieur de l'établissement, ni même auprès d'autres salariés. Il n'a donc pas été porté atteinte à la réputation de l'association.
Le salarié avait simplement gardé le photomontage créé par son collègue sur son ordinateur, ladite conservation pouvant s'analyser comme une modalité de la liberté d'expression au même titre que sa création.
Par ailleurs, la Cour d’appel constate que le photomontage n'était pas affiché sur l'écran lorsque le directeur l'a visualisé puisqu'il a consulté le planning affiché puis l'a fermé et que c'est à la suite de cette fermeture qu'il est apparu.
Le salarié n'avait donc pas laissé la photo sur l'écran lorsqu'il a quitté son poste de travail, de sorte qu'elle n'était pas visible pour les personnes passant devant.
Enfin, elle relève que l'employeur n'explicite pas en quoi la possession du photomontage par le salarié a atteint la qualité de son travail et son attitude respectueuse envers les résidents de la structure d'accueil, les qualités professionnelles de ce dernier étant louées par de nombreux collègues qui en ont attesté alors qu'il n'avait jamais fait l'objet de reproches.
De plus, pour la Cour, il n'explicite pas plus la raison pour laquelle la liberté d'expression du salarié qui conserve une caricature du directeur doit être réduite du fait de la nature de la tâche à accomplir et soit disproportionnée au but recherché par l'association, le document n'ayant pas été diffusé ni au sein de l'association ni à l'extérieur.
Dès lors, si le photomontage caricature le directeur dans une situation démontrant un certain irrespect, le fait de conserver le document n'excède pas les limites admissibles de la liberté d'expression rendant ainsi son licenciement injustifié.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.