L’article 2 de la Constitution de 1958 précise que « la langue de la République est le français ». Se pose alors la question de savoir si l’ensemble des documents remis à un salarié travaillant en France doit être rédigé selon la langue de la République, c’est-à-dire en français ?
En droit du travail, un principe existe : tout document en lien avec le travail doit être rédigé en français (1). Cependant, il existe certaines exceptions à ce principe permettant d'opposer à un salarié un document rédigé en langue étrangère (2).
1. Le principe
Deux dispositions du code du travail posent une obligation de rédaction en français :
- L’article L. 1221-3 dispose notamment qu’un contrat de travail établi par écrit doit être rédigé en français. Il est rajouté une obligation à la charge de l’employeur en cas de salarié étranger qui peut demander une traduction du contrat dans sa langue maternelle.
- L’article L. 1321-6 du code du travail a une portée plus générale puisqu’il dispose qu’est rédigé en français « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail ».
L’inopposabilité a des conséquences non négligeables puisque dans le cas précédent, l’absence de document en français s’assimile à l’absence de tout document fixant les objectifs, de sorte que le salarié est légitime à réclamer l’intégralité de sa rémunération variable.
Cette nécessité de rédaction en français concerne également les outils mis à disposition des salariés. Ainsi, par exemple suite à un changement du système informatique d’une grande entreprise du secteur alimentaire, les syndicats ont été amenés à saisir les juges en référé sur le fondement des dispositions précitées. En effet, la modification du système informatique impliquait pour les salariés d’utiliser des outils et documents rédigés en anglais.
Tant la juridiction de première instance que la Cour d’appel ont constaté les manquements de l’employeur en la matière. Ils ont notamment précisé que la mise en place d’un outil de traduction ne répondait pas aux exigences de l'article L 1321-6 du code du travail dans la mesure où ce texte exige une rédaction en français du document lui-même.
Dès lors, il a été ordonné à cette entreprise de mettre à la mise à disposition de ses salariés, en langue française, l'intégralité des logiciels et documents édités dans leur travail (CA GRENOBLE, 5 décembre 2012, RG n° 12/03652).
Dans une affaire plus ancienne, le Tribunal de grande instance de PARIS avait statué dans le même sens en estimant notamment que « (…) l'obligation de traduction s'applique à tous documents matériels ou immatériels tels que des logiciels nécessairement utilisés par les salariés pour exécuter leur travail ».
Le Tribunal avait ainsi relevé la primauté de la langue français pour toute entreprise située en France, ce qui ne pouvait pas être compensé par la mise en place d’un didacticiel dans la mesure où « un didacticiel ne peut constituer une alternative équivalente à une interface en langue maternelle et compenser des écrans en langue étrangère ».
Enfin, la juridiction avait relevé « qu'une langue étrangère constitue pour un salarié, à défaut d'une maîtrise parfaite, un handicap important ne serait-ce que pour gérer les incidents et comprendre les procédures hors cadre ou les messages d'erreur » (TGI PARIS, 6 mai2008, RG n° 08/00924).
Se pose également la question de savoir si cette sanction s’applique dans l’hypothèse où le salarié sait parler la langue dans laquelle est rédigée le document. Dans un tel cas, on ne pourra que constater qu’il ne subit aucun préjudice puisqu’il a su déchiffrer ce document.
Pour autant, la Cour d’appel de PARIS a été amenée à juger que la sanction de l’inopposabilité s’appliquait, peu importe que le salarié victime sache parler la langue étrangère. Sa décision a fait l’objet d’un pourvoi mais la Cour de cassation n’a pas été expressément interrogée sur ce point (CA PARIS, 14 novembre 2017, RG n° 15/00146, confirmé par Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-10.649).
2. Sur les exceptions
La rédaction en français des documents de travail n’est pas exigée selon l’article L. 1321-6 précité dans les situations suivantes :
- Lorsque les documents sont reçus de l’étranger, notamment dans l’hypothèse où ils sont issus de la société mère qui a son siège social à l’étranger. La jurisprudence applique scrupuleusement cette règle (Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-17.770 ; Cass. soc., 27 septembre 2018, n° 17-17.255).
- Lorsqu’ils sont destinés à un salarié de nationalité étrangère, ce que, là encore, la jurisprudence rappelle régulièrement (Cass. soc., 24 juin 2015, n° 14-13.829 : pour une citoyenne américaine).
Se pose la question si cette exception s’applique également aux salariés possédant une double nationalité. Le texte usant du terme « étranger », une interprétation stricte privilégierait de la nécessité d’une rédaction en français pour un tel salarié.
Des exceptions peuvent également résulter d’un secteur d’activité spécifique faisant l’objet d’une convention internationale. Tel est le cas de l’aviation civile où le caractère international de cette activité implique l'utilisation d'une langue commune, de sorte que la rédaction en français n’est pas obligatoire (Cass. soc., 12 juin 2012, n° 10-25.822).
En dehors de ces hypothèses, il convient de rédiger les documents de travail en français pour les rendre opposables à tout salarié.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
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