CA PARIS, 05 janvier 2023, RG n° 22/04826 *
Par cet arrêt, dont l'infographie synthétique est téléchargeable, la Cour d'appel de PARIS rappelle les règles applicables en matière de référé probatoire initié par un salarié dans l’optique d’obtenir plus d’éléments de preuve en matière de discrimination.
S’agissant de la répartition de la charge de la preuve dans ce domaine, l’article L. 1134-1 du code du travail l’aménage au profit du salarié. Ainsi, il lui appartient de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Ensuite, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En dépit de cet aménagement de la charge de la preuve, il n’est pas rare en pratique pour le salarié qu’il lui soit difficile d’apporter des premiers éléments en vue de démontrer une discrimination.
Ce pourquoi, avant d’engager toute procédure sur ce point, une action préalable soit nécessaire pour réunir ces premiers éléments.
Il s’agit alors d’un référé probatoire fondé sur l’article 145 du code de procédure civile qui dispose que « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
A cet effet, l’article 11 du même code précise que « si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte ».
Autrement dit, il existe un véritable droit à la preuve : un salarié est légitime à saisir le Conseil de prud’hommes en référé en vue qu’il soit enjoint à son employeur de produire des éléments qu’il estime indispensable afin de démontrer une éventuelle discrimination.
En combinant les textes précités, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que « la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail » (Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144).
De plus, les éléments susceptibles d’être réclamés peuvent porter sur d’autres salariés et donc porter atteinte à leurs données personnelles.
Là encore, la Cour de cassation a apporté des précisions. Ainsi, « le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. soc., 16 décembre 2020, n° 19-17.637).
Au cas d’espèce, il était question d’un salarié qui a été embauché en 1998 en qualité d'ingénieur. A partir de 2006, il a exercé divers mandats syndicaux ou de représentant élu du personnel. Son contrat de travail a pris fin en 2020 dans le cadre d'un dispositif de départs volontaires.
S'estimant victime de discrimination syndicale, il a saisi le CPH en référé pour qu'il soit ordonné à son ancien la transmission de certains éléments.
Tout d’abord, la Cour d'appel de PARIS rappelle que pour pouvoir présenter les éléments à l'appui d'une éventuelle discrimination, le salarié a besoin d'être en possession d'éléments d'information factuels permettant d'établir une comparaison avec d'autres salariés placés dans une situation semblable. La formation de référé peut donc ordonner la remise de documents permettant cette comparaison.
Au regard des différents courriers qu'il a adressé à son employeur en vue de dénoncer un retard dans son évolution professionnelle et salariale, la Cour juge que le salarié justifie d'un motif légitime pour obtenir la communication de documents sociaux concernant la liste des salariés dont il estime qu'ils se trouvent dans une situation comparable à la sienne pour avoir été embauchés en 1998 avec un diplôme d'ingénieur, même classification à l'embauche et encore présents au sein de la Société lorsqu'il en est parti.
Par ailleurs, elle juge que cette demande n'est pas disproportionnée au but poursuivi, ni celle relative aux précisions quant aux dates d'embauche, au niveau de diplôme, aux dates de passage de classification conventionnelle (position, coefficient) et interne ainsi que la rémunération brute annuelle.
La Cour ordonne donc la communication par l'employeur d'un certain nombre d'éléments concernant d'autres salariés tout en limitant les données transmises qui n'apparaissent pas indispensables à l'exercice du droit à la preuve.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si l’arrêt est définitif et n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.