Depuis son entrée en vigueur, le barème prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en cas de licenciement jugé abusif a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Ce barème a pour effet principal de mettre fin à une disparité sur le montant des condamnations accordées par les juridictions prud’homales. Ainsi, il est maintenant prévu un plancher et surtout un plafond d’indemnisations en fonction de l’ancienneté du salarié et des effectifs de l’employeur.
Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 le mettant en place, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’existait aucun doute quant à la légalité de cette fourchette d’indemnisation, ni même d’une quelconque inconventionnalité dudit barème (CE, 7 décembre 2017, n° 415243).
Pour autant, rapidement, une vive contestation est apparue devant les Conseil de prud’hommes, certains écartant le barème pour cause d’inconventionnalité et d’autres le jugeant, au contraire, parfaitement conventionnel.
En vue de parvenir à une certaine homogénéité dans les décisions rendues, la Cour de cassation a été saisie par un Conseil de prud’hommes en vue qu’elle donne son avis sur cette question.
Par avis du 17 juillet 2019 rendu dans sa formation plénière, la Cour de cassation a conclu à la conventionnalité du barème prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail en jugeant (Cass. Avis, 17 juillet 2019, n° 19-70.010) :
- D’une part, les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ;
- D’autre part, le barème est parfaitement compatible avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
A cet effet, deux positions apparaissent à ce jour :
- Certains Cours d’appel ont repris la position de la Cour de cassation et jugé le barème comme n’étant pas contraire aux engagements internationaux français (CA PARIS, 30 octobre 2019, RG n° 16/05602 ; CA BESANCON, 4 février 2020, RG n° 18/01434 ; CA NANCY, 15 février 2021, RG n° 19/01306 ; CA CHAMBERY, 15 septembre 2020, n° 18/02305 ; CA ROUEN, 4 février 2021, RG n° 18/02147).
- D’autres Cours ont adopté un raisonnement plus nuancé. En effet, même si elles ont estimé que le barème n’était pas intrinsèquement inconventionnel, elles ont, dans le même temps, jugé que ledit barème pouvait être écarté selon les circonstances de l’espèce.
Il s’agit ici tout simplement de la différence entre un contrôle de conventionnalité dit in abstracto et un contrôle de conventionnalité dit in concreto. A cet effet, on se reportera utilement au rapport mis en ligne par la Cour de cassation sur ce point.
De manière synthétique, on peut tout simplement reprendre la motivation extrêmement enrichie de la Cour d’appel de REIMS sur ces deux contrôles (CA REIMS, 11 mars 2020, RG n° 19/00654) :
« Il existe deux types de contrôle de conventionnalité d'une règle de droit interne au regard des normes européennes et internationales. Le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même et celui de son application dans les circonstances de l'espèce. Ces deux contrôles peuvent se juxtaposer.
Le contrôle de l'application peut impliquer d'écarter une règle interne si celle-ci affecte de manière disproportionnée, dans un litige, un droit conventionnel relatif même si cette règle ne porte pas, en elle-même, une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti (…) ».
Après avoir jugé que le barème n’était pas en soi inconventionnel, la Cour énonce que celui-ci peut être écarté dans l’hypothèse où il conduit, au cas d’espèce, à une atteinte disproportionnée aux droits du salarié. Malheureusement, la salariée concernée n’avait pas invoqué cette application spécifique, de sorte que la Cour n’a pas pu statuer au-delà de ce qu’elle était saisie :
« Le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d'un dispositif jugé conventionnel, d'apprécier s'il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c'est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché. La recherche de proportionnalité, entendue cette fois "in concreto" et non "in abstracto", doit toutefois avoir été demandée par le salarié.
Elle ne saurait être exercée d'office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnaît le caractère conventionnel. Or, Madame Anne-Marie Z, qui ne fait qu'exposer sa situation, n'a sollicité qu'un contrôle de conventionnalité "in abstracto" et non "in concreto". Il ne pourra, en conséquence, qu'être fait application de l'article L. 1235-3 du code du travail ».
Dans une motivation beaucoup plus allégée, la Cour d’appel de PARIS a jugé dans le même sens en constatant que l’application du barème au cas d’espèce ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi par le salarié, compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT (CA PARIS, 16 mars 2021, RG n° 19/08721).
Une telle décision a notamment pu être rendue au vu des éléments apportés par le salarié qui démontrait qu’en application du barème, la somme allouée ne représentait, à peine, que la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières depuis le licenciement. Pour ce faire, il avait notamment calculé la perte de revenu consécutif à son licenciement et les indemnités Pôle emploi qu’il a perçu ultérieurement.
D’autres Cours ont également écarté le barème au vu de l’âge des salariés concernés et des recherches infructueuses d’emploi après leur licenciement, de sorte que l’indemnisation prévue par le barème caractérise une atteinte excessive au droit à une réparation adéquate (CA CAEN, 4 février 2021, RG n° 20/00020 ; CA BOURGES, 6 novembre 2020, RG n° 19/00585).
La Cour d’appel d’AGEN a également fait application des deux contrôles de conventionnalité. Pour autant, contrairement à la Cour précédente, elle a estimé que l’indemnisation découlant du barème n'apparaissait en aucun cas disproportionnée par rapport au préjudice réellement subi par le salarié (CA AGEN, 23 février 2021, RG n° 19/00194).
Il ressort de ces différentes décisions qu’en vue de convaincre les juges d’écarter l’application du barème, il appartient avant tout au salarié d’exposer sa situation personnelle post-licenciement par des pièces qui démontrent que la rupture abusive de son contrat de travail lui a été gravement préjudiciable.
A cet effet, il intéressant de démontrer par exemple une perte de salaire entre l’ancien et le nouvel emploi ou encore les difficultés rencontrées pour retrouver un nouvel emploi en produisant des candidatures qui n’ont pas donné suite.
Maître Florent LABRUGERE
Avocat au Barreau de LYON
https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/
N.B : On ne sait pas, au jour de la rédaction de ce billet, si les arrêts cités sont définitifs et n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation.