Il ne se passe plus une seule journée sans que l’avocat pénaliste ne soit confronté au fameux acide désoxyribonucléique, plus connu sous son acronyme « ADN ».
Depuis plus de 20 ans, tous les acteurs de la chaine pénale, qu’ils soient enquêteurs, magistrats ou avocats, sont en effet devenus par la force des choses des familiers de cette macromolécule et de la technique d’identification révolutionnaire à laquelle elle a donné naissance au début des années 1990.
Rendu célèbre par quelques affaires judiciaires spectaculaires et popularisé par les séries télévisées policières l’ADN, présent dans toutes les cellules du corps humain et renfermant le génotype d’un individu, c’est-à-dire la totalité de l'information génétique le concernant, s’est imposé au cœur de l’enquête et du procès pénal.
Identifié sur le lieu d’une infraction, il constitue en effet un indice capital.
Malheureusement, dans la pratique judicaire, ce simple indice s'est rapidement mué en preuve définitive.
Après le long règne de l’aveu, cette antique « reine des preuves » aux innombrables faiblesses et à l’origine de tant de désastres judiciaires, l’ADN est ainsi devenu la nouvelle martingale de l’enquête pénale.
Les avocats pénalistes le constatent jour après jour, la nouvelle reine des prétoires a le même effet pervers que sa devancière : elle tend à rendre l’enquêteur ou le juge intellectuellement paresseux.
De fait, là où l’ADN devrait seulement permettre de conforter une analyse, d’assoir une démonstration, de valider une succession d’indices, sa présence tend à se substituer à l'analyse, à la démonstration ou à la recherche d'autres indices.
La nouvelle reine exerce un pouvoir absolu. Despotique, elle voudrait désormais régner sans partage.
Avec l’ADN, c’est donc un nouveau terrain de combat judiciaire majeur qui s’est ouvert pour les avocats qui doivent, sans relâche, combattre la toute-puissance imposée de cette « preuve génétique » et contraindre le juge à exercer sur elle sa réflexion critique.
Car si l’ADN permet souvent de grandes avancées dans les enquêtes pénales, il n’en recèle pas moins des dangers tout aussi grands.
Le moindre d’entre eux n’est pas celui lié à sa volatilité. La capacité de l’ADN à se transporter ou à être transporté, notamment par simple contact, peut en effet être à la source d’innombrables erreurs judiciaires si, spontanément ou aiguillonné par l’empêcheur de juger en rond que doit être l’avocat, le juge ne ramène pas la nouvelle reine à un rang plus démocratique dans la hiérarchie des preuves pénales.
« Oui à l’apport de l’ADN dans la recherche de la vérité. Non à son omnipotence » : tel devrait donc être le credo de chaque praticien du droit pénal, qu’il soit avocat, juge, procureur, policier ou gendarme.
Malheureusement, ce credo est encore loin d’être partagé.
Or, faut-il le rappeler, l’article 427 du Code de Procédure Pénale dispose que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ».
Ce qui signifie que par-delà les éléments de preuves qui lui sont soumis par l’accusation (témoignages, constatations matérielles, écoutes téléphoniques, etc …) le juge conserve une liberté souveraine dans l’appréciation de la valeur probante des charges qui lui sont soumises et qu’il se doit donc de les discuter sans a priori
L’article 427 devrait donc suffire à imposer au juge cette réflexion sur l’ADN.
Il est vrai qu’il n’avait pas été suffisant pour leur imposer cette réflexion sur l’aveu et que, pour parer aux catastrophes qui résultèrent d’une trop grande fidélité des juges à « la religion de l’aveu », le Code de Procédure Pénale pris soin de compléter ce principe par un codicille, confié à son article 428 aux termes duquel « L'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. »
Les choses vont tellement mieux en les disant !
Il serait donc sage que le legislateur les dise à propos de l'ADN.
Le développement massif du recours à l’ADN dans les enquêtes pénales et la tendance malheureusement toute aussi massive des juges à se retrancher derrière cette vérité scientifique insoupçonnable pour fonder la vérité judiciaire, rend en effet impératif le vote par le Parlement d’un article 428-1 du Code de Procédure Pénale dans lequel on pourrait lire : « « L'ADN, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. ».
Il est toujours nécessaire de rappeler les principes simples. Surtout dans les enceintes judiciaires