Depuis bientôt deux mois, l’affaire FILLON conduit les citoyens à s’initier aux méandres de la procédure pénale. Saisine du PNF (parquet national financier), enquête préliminaire, audition libre, réquisitoire introductif, co-saisine de juges d’instruction, convocation en vue d’une mise en examen … Il n’est pas une semaine sans qu’un rouage de ce droit complexe ne soit mis à la Une des médias.
Ces notions, qui constituent le quotidien de tout avocat pénaliste, ne sont cependant guère familières du public et il peut donc être bienvenu de lui apporter en quelques mots les éclaircissements utiles à la compréhension de ce feuilleton judiciaire.
Cette semaine, c’est la notion de « réquisitoire supplétif » qui est à l’honneur, à propos des soupçons de faux, usage de faux et escroquerie évoqués à propos du candidat à l’élection présidentielle et de son épouse.
La presse nous rapporte en effet (voir Le Monde du 21 mars 2017) qu’à l’occasion d’une deuxième perquisition menée dans les locaux de l’Assemblée nationale, de nouveaux documents auraient été saisis et notamment des feuilles, signées par Pénélope FILLON, comportant différents calculs d’heures travaillées. A la suite de cette saisie, le parquet national financier aurait délivré aux juges d’instruction chargés de l’affaire un « réquisitoire supplétif » pour « escroquerie aggravée, faux et usage de faux ».
Mais qu’est qu’un réquisitoire supplétif ?
Le concept est en réalité très simple.
En procédure pénale française, le juge d’instruction n’a pas le droit de s’autosaisir d’un dossier. Il ne peut instruire qu’à la demande du parquet (qui lui délivre un "réquisitoire"), ou d’un plaignant (qui dépose une "plainte avec constitution de partie civile").
C'est l’article 80 du Code de Procédure Pénale qui pose le principe de base selon lequel « Le juge d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République. »
Ce réquisitoire, appelé réquisitoire introductif, doit viser des faits précisément délimités, au-delà desquels le juge d'instruction n’a pas compétence pour instruire de sa propre initiative. Il s'agit là une garantie majeure contre la tentation que pourrait avoir un juge d’étendre ses investigations à l’infini. L’Histoire nous l’enseigne : le pouvoir, même démocratique, a toujours besoin de garde-fous …
Que faire cependant si, à l’occasion de son instruction, le juge saisi découvre des faits nouveaux non visés par le réquisitoire introductif ?
C’est là qu’intervient le réquisitoire supplétif qui nous occupe.
L’article 80 du Code de Procédure Pénale poursuit en effet : « Lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d'instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent. Le procureur de la République peut alors (…) requérir du juge d'instruction, par réquisitoire supplétif, qu'il informe sur ces nouveaux faits (…) ».
Et c’est précisément ce qui s’est produit dans l’affaire FILLON.
Le réquisitoire introductif délivré par le parquet national financier visait des faits de « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, complicité et recel de ces délits, trafic d’influence et manquement aux obligations déclaratives » correspondant aux premières révélations du Canard Enchaîné et aux premières conclusions de l’enquête préliminaire qui avait suivi.
Postérieurement, la perquisition opérée à l’Assemblée Nationale par les trois juges d’instruction désignés (Serge Tournaire, Aude Buresi et Stéphanie Tacheau) ayant laissé poindre des soupçons de faits nouveaux, le parquet a donc décidé de délivrer aux magistrats un réquisitoire supplétif pour « escroquerie aggravée, faux et usage de faux ».
Ce nouveau réquisitoire doit permettre aux juges d’instruction d’enquêter sur ce nouveau pan de l’affaire, ce qu’ils n’auraient pu faire, sans sa délivrance.
Mais surtout, et c’est là un point capital non seulement aux yeux d’un avocat pénaliste mais à ceux de tous les citoyens : ce réquisitoire supplétif va permettre à François FILLON et à son épouse de se défendre sur ces accusations nouvelles en disposant des éléments du dossier sur lesquels elles se fondent.
Car, que l’on soit de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs, nous devons tous nous rappeler qu’une poursuite pénale n’est pas une pré-condamnation mais l’occasion donnée à une personne suspectée de se défendre et, le cas échéant, d’être mise hors de cause.
Que l’on soit juge, procureur, policier, gendarme, avocat pénaliste ou simple citoyen attaché aux principes et aux valeurs de notre République, c’est là une évidence que nous nous devons de rappeler sans relâche.