1.CONDITIONS DE LA DELEGATION DE POUVOIR
Pour qu'une délégation de pouvoir produise ses effets, il faut que cette dernière respecte les conditions cumulatives de fond (1.1) et de forme (1.2) édictées par la jurisprudence.
1.1 Conditions de Fond
La délégation de pouvoir ne peut, en aucun cas, porter sur la totalité des pouvoirs propres du chef d'entreprise.[1]
La délégation de pouvoir doit avoir une durée suffisamment longue, afin que le délégataire puisse disposer d'un temps suffisant pour mettre en œuvre les moyens nécessaires à la réalisation de ses missions. Ainsi la cour considère comme nulle la délégation de pouvoirs confiée de façon non permanente ou par intermittence. [2]
Pour qu'une telle délégation soit valable, il faut qu'elle soit faite par l'employeur au délégataire de manière expresse et exempte d'ambiguïté.[3] Ainsi une mission de surveillance, avec obligation de s'occuper de l'organisation et de la responsabilité de la sécurité du personnel, ne peut pas être considérée comme une délégation expresse du chef d'entreprise, en l'absence d'instructions plus précises.[4] A contrario, la délégation de pouvoir qui ne mentionnerait pas le nom du délégataire est réputée valide à la condition que la désignation du délégataire soit exempte de toute ambiguïté.[5]
En principe, le délégataire est un salarié de l'entreprise. La cour de cassation considérant que toute délégation de pouvoirs consentie à un tiers à l’entreprise est nulle et ne peut produire d’effet.[6] Il existe toutefois certaines exceptions, comme par exemple, dans un groupe de sociétés, une délégation de pouvoirs peut être donnée par le président de la société dominante à un salarié du groupe.[7]
De plus, l'exercice par un salarié de pouvoirs qu'il détient en application d'une délégation permettant de l'assimiler au chef d'entreprise l'exclut du droit d'être désigné en qualité de délégué syndical ou de représentant syndical.[8]
Un salarié peut être investi d'une délégation de pouvoirs que s'il dispose de la compétence, de l'autorité et des moyens propres à l'accompagnement de sa mission pour mettre en œuvre la délégation.[9] Sont prises en compte dans l’appréciation des compétences du délégataire, son niveau de connaissance technique correspondant au domaine ou aux missions qui lui ont été déléguées, ainsi que son expérience professionnelle.[10] Concernant l'autorité, la délégation doit permettre au délégataire de disposer d'un pouvoir disciplinaire afin de sanctionner tout salarié qui ne respecterait pas les consignes de sécurité.[11] Le délégataire doit de même, disposer des moyens matériels et financiers nécessaires pour assurer l’application effective de la réglementation qu’il est chargé de faire respecter. La limitation du niveau des investissements, peut avoir un impact sur la validité de la délégation, une limite trop basse pouvant être considérée comme une restriction faisant obstacle pour le délégataire à l’accomplissement de sa mission.[12]
Pour que la délégation de pouvoirs produise ses effets, il est obligatoire que le préposé ne soit pas dans un état de subordination étroit, assimilable à un simple préposé recevant des instructions du dirigeant de la société.[13] Il faut que la mission eût été réellement déléguée à un préposé investi par l'employeur et que l'application des règles délégués ne s'inscrivent pas dans le cadre général de son contrat de travail, ce qui impliquerait un état de subordination étroit. [14]
1.2 Conditions de Forme
Il n'y a pas de condition de forme imposée, la délégation de pouvoir n'ayant pas à être nécessairement écrite ou nominative.[15]
La délégation de pouvoir seulement doit être rédigée de manière précise. En effet, la délégation de pouvoir n'est pas valable dès lors que son énoncé est très général et en l'absence d'instructions précises.[16] Les missions confiées par délégation doivent s’apprécier de façon stricte. En effet, la délégation de pouvoirs confiant au délégataire la mission de veiller au respect des règles de sécurité au travail n’exonère pas le délégant de son obligation d’organiser les visites médicales obligatoires, la cour considérant qu’il s’agit de deux obligations distinctes. [17]
2.RESPONSABILITE PENAL DE L'EMPLOYEUR
2.1 Le principe de l'exonération de l'employeur
La délégation de pouvoir exonère le chef d'entreprise de sa responsabilité pénale qui est alors reportée sur une autre personne ayant accepté la délégation, lorsque les faits en cause relèvent de son domaine de responsabilité. Lorsque la délégation remplie les conditions de fond et de forme, la responsabilité pénale du chef d'entreprise est transférée à son délégué.[18]
La responsabilité pénale des infractions poursuivies ne peut être cumulativement retenue contre le chef d'entreprise et un délégué en raison des mêmes manquements [19] sauf lorsque les faits peuvent recevoir une qualification d'homicide involontaire ou de blessures involontaires.[20]
De même, un chef d'entreprise n'est pas responsable pénalement des services qu'il n'administre pas directement dans la mesure où ces derniers sont gérés par des agents investis par lui.[21]
2.2 Exception au principe d'exonération
Le dirigeant ne pourra s'exonérer de sa responsabilité si les conditions de fond et de forme de la délégation ne sont pas remplies.[22] C'est pourquoi, la délégation de pouvoirs, pour exonérer l'employeur de sa responsabilité, doit être certaine et confiée à des personnes compétentes et dotées des moyens et de l'autorité suffisants. A contrario la responsabilité du dirigeant pourra être engagée.[23]
L'exonération du chef d'entreprise par la délégation ne vaut que s'il n'a pas pris personnellement part à la réalisation de l'infraction conjointement à la faute de son délégué. [24] De même, si le chef d'entreprise est le seul à prendre des décisions en matière d'équipement et le seul à disposer du pouvoir d'investissement, il est alors le seul responsable en dépit de la délégation de pouvoirs.[25]
Si le chef d'entreprise a commis une imprudence ou une négligence en omettant de prendre les mesures que les circonstances commandaient comme relevant de ses propres obligations, il est responsable.[26] Mais l'efficacité d'une délégation de pouvoir ne saurait être subordonnée à l'information du délégué, par le chef d'entreprise, du contenu de la réglementation qu'il est chargé de faire respecter.[27]
Enfin, la responsabilité pénale de l'employeur est engagée même en cas de délégation de pouvoirs lorsque l'infraction est le résultat d'une décision ou d'une omission qui ne relève pas du préposé mais du niveau supérieur. Par exemple la délégation de pouvoirs consentie à un délégataire, notamment en matière d'hygiène et de sécurité, ne pouvait porter que sur l'entretien, le nettoyage et l'utilisation des locaux, mais que l'aménagement et l'équipement des bâtiments étaient de la seule compétence du chef d'entreprise.[28]
[1] Cass. crim., 22 janvier 1986, n° 84-95.210
[2] Cass. crim., 21 novembre 1973 n° 93-898.72
[3] Cass. crim., 08 mars 1988, n° 87-83.882
[4] Cass. soc., 28 janvier 1975, n° 74-91.495
[5] Cass. crim., 2 mars 1988, n° 87-81.528
[6] Cass. crim., 12 décembre 1989, n° 95-83.010
[7] Cass. crim., 07 février 1995, n° 94-81.832
[8] Cass. soc., 04 avril 2007, n° 06-60.124
[9] Cass. crim., 23 novembre 2004, n° 04-81.601
[10] Cass. crim., 5 février 2002 n°01-81.470
[11] Cass. soc., 04 juin 1998, n° 97-81.186 et Cass. crim., 8 octobre 2002, n° 02-82.765
[12] Cass. crim., 14 octobre 1998 n° 97-85.260
[13] Cass. crim., 14 septembre 1988, n° 88-80.687
[14] Cass. crim., 2 mars 1977, n° 76-90.895
[15] Cass. crim., 27 février 1979, n° 78-92.381
[16] Cass. crim., 30 avril 2002, n° 01-84.405 et Cass. crim., 08 octobre 2002, n° 02-82.752
[17] Cass. crim., 4 janvier 1983, n° 82-90.824
[18] Cass. crim., 23 janvier 1975, n° 73-92.615 et Cass. crim., 12 janvier 1988, n° 85-95.950
[19] Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-81.805 et Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-85.889
[20] Cass. crim., 18 octobre 1977, n° 75-92.866
[21] Cass. crim., 20 octobre 1987, n° 87-80.320
[22] Cass. crim., 08 mars 1988, n° 87-83.882 (fond) et Cass. crim., 4 janvier 1983, n° 82-90.824 (forme)
[23] Cass. crim., 27 octobre 1976, n° 75-93.068 et Cass. crim., 27 février 1979, n° 78-92.381
[24] Cass. crim., 11 mars 1993, n° 90-84.931 et Cass. crim., 20 mai 2003, n° 02-84.307
[25] Cass. crim., 20 janvier 1998, n° 96-85.522
[26] Cass. crim., 18 octobre 1977, n° 75-92.866
[27] Cass. crim., 18 mai 2004, n°03-85.882
[28] Cass. crim., 26 novembre 1985, n° 84-95.209