La Cour de cassation décide, dans un arrêt du 14 mai 2009 (Cass. 1re civ., 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS P+B+R+I : JurisData n° 2009-048151), que « si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle ».
En l'espèce, une avocate a conclu successivement avec un cabinet un contrat de collaboration libérale à durée déterminée puis un contrat de collaboration libérale à durée indéterminée, homologué, après régularisation, par le conseil de l'Ordre. Le cabinet ayant mis fin à son contrat de collaboration libérale, la salariée a saisi le bâtonnier d'une demande de requalification de son contrat en contrat de travail ; la sentence arbitrale n'a pas fait droit à sa demande.
Infirmant cette sentence arbitrale, la cour d'appel de Lyon a requalifié le contrat de collaboration libérale en contrat de travail et dit que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que « les conditions réelles d'exercice de l'activité de [l'avocate] ne lui avaient effectivement pas permis de se consacrer à sa clientèle et que le cabinet (...) avait manifestement omis de mettre à sa disposition les moyens matériels et humains lui permettant de développer sa clientèle personnelle ». Les juges du fond ont en effet relevé « que [l'avocate] n'avait pu traiter que cinq dossiers personnels en cinq ans de collaboration avec le cabinet, que la plupart des rendez-vous et appels téléphoniques, nécessaires au traitement de ces rares dossiers personnels, se passaient hors du cabinet et après vingt heures ou pendant le week-end, qu'[elle] partageait son bureau avec un autre avocat et pouvait difficilement trouver un lieu pour recevoir ses propres clients, la salle de réunion ne permettant l'accès ni à l'outil informatique ni au téléphone, et que les témoignages recueillis faisaient état de l'attitude générale du cabinet tendant à dissuader les collaborateurs à développer une clientèle personnelle, et qu'[elle] était privée de l'indépendance technique propre au collaborateur libéral ».
Le pourvoi formé par le cabinet est rejeté, la Cour de cassation considérant que la cour d'appel a « légalement justifié sa décision de requalifier le contrat de collaboration libérale conclu entre les parties en contrat de travail ».
Cette requalification opéré par la Cour de Lyon et approuvée par la Cour de Cassation a le mérite d'être claire: dès lors que l'avocat collaborateur ne bénéficie pas de conditions d'exercice décents de sa profession lui permettant de créer et développer sa propre clientèle personnelle, il doit être considéré comme un simple salarié.
A l'examen des faits décrits dans l'arrêt, l'on ne peut que saluer cette décision, car il semblerait bien, dans le cas d'espèce, que l'avocate en question était véritablement "pieds et poings liés" dans un système ne lui laissant aucune marge de manoeuvre pour exercer sa profession dite libérale.
Toutefois, les critères retenus par les juges du fond tout comme par la Cour suprême pour estimer que cette avocate collaboratrice - qui est tout de même restée 5 ans dans le Cabinet et n'en a pas démissionné - avait été privée pour ainsi dire de toute liberté d'exercice libéral ont de quoi inquiéter.
Va-t-il falloir, alors que des tarifs de rémunération minimale sont déjà imposés quelle que soit la valeur et l'ardeur au travail du collaborateur, pour échapper à ce type de risque processuel et procédural, accepter que celui ou celle qui arrive frais émoulu(e) d'un "centre de formation" qui lui aura appris certes beaucoup de choses mais pas le métier d'avocat, soit non seulement rémunéré(e) les permiers temps de façon somme toute assez confortable alors qu'il (ou elle) ne sait pas faire grand chose et qu'il faut (presque) tout lui apprendre, mais encore lui concéder un accès libre à toutes les bases de données notamment de clientèle, afin qu'il (ou elle) puisse construire son avenir professionnel et, ensuite, démissionner pour s'installer "à son compte" ?
Cette question parait méchamment agressive à l'endroit des collaborateurs ou collaboratrices qui se doivent, et celà est évident, d'être intégrés avec tous les honneurs et prérogatives qui leur sont dus au sein du Cabinet qui les reçoit. Mais elle ne vise en fait qu'une partie marginale, encore qu'importante, de jeunes avocats qui, faute de moyens ou de courage, vont tenter de réussir non pas grâce à leur talent mais grâce à la structure qui les accueille.
De mon temps (oui, je sais, celà ne date pas d'hier), l'AJ n'était pas rémunérée ni les commissions d'office, et les stagiaires se formaient "sur le tas", gratuitement, avec bien sûr les conseils des anciens, qui ne les ménageaient pas; et l'on était fiers de se faire peu à peu un nom grâce aux "petits" procès qui nous étaient confiés...et qui nous apportaient parfois de "gros clients".
Le collaborateur, alors, n'était pas rémunéré, pas même remboursé de ses frais. Il apprenait. Il écoutait. Il imitait parfois "les grands" et quelquefois s'imposait aux plus redoutables.
Certes, il ne déambulait pas en costume noir, l'air affairé, le portable à l'oreille (bien sûr, il n'y en avait pas). Il se montrait respectueux vis à vis des anciens, déférent vis à vis des magistrats sans être servile, attentif aux conseils et soucieux de ses résultats professionnels avant que de ses résultats financiers. Il n'avait pas honte d'être "avocat stagiaire", il savait qu'il avait entre 3 à 5 ans pour faire ses preuves avant de passer au "Grand Tableau".
La soif d'égalitarisme et la mentalité d'assistés qui caractérisent notre ère actuelle ont fait disparaître tout celà. Tout comme ont (souvent) disparu la confraternité, la morale professionnelle, le respect de la déontologie...
Comment en sommes-nous arrivés là? Ce n'est pas la faute de Mai 68 ! (j'ai prêté serment en décembre et les lignes n'avaient pas bougé). Je situerais plutôt, pour ma part, le début du "changement" (pour ne pas parler de dégénérescence) au début des années 70 (1972,1973) lorsque l'on nous mariés de force avec les conseils juridiques (dont à l'époque la plupart n'avaient pas le certificat d'études, étant pour beaucoup des agents de recouvrement de créances) et les avoués de première instance, qui n'avaient pas les mêmes valeurs.
Puis il y eu d'autres intégrations, l'assujettissement à la TVA, l'assourdissant silence de nos "syndicats professionnels" totalement autistes en périodes de crise, et surtout la paupérisation des avocats et leur écrasement par les charges, faisant d'eux en permanence des mendiants d'affaires.
L'écart entre le respect dû aux Magistrats, resté quasiment intact grâce à "leur" E.N.M., et celui parfois récolté par les avocats s'est accru de jour en jour. A un point tel qu'il est ajourd'hui inenvisageable à court terme de vouloir, dans un système pénal de type anglo-saxon, les mettre sur un pied d'égalité du point de vue accusation/défense...
Bref, pour en revenir à ce "commentaire d'arrêt" un peu particulier, la conclusion que l'on pourrait retirer de cette malheureuse affaire est "qu'il vaut mieux rester seul que mal accompagné" et, surtout, qu'il ne faut s'en prendre qu'à soi-même lorsque, après tant d'années de laxisme et de renoncements, l'on en arrive à se faire des procès entre nous. Exploités contre exploiteurs! Quel exploit!