FAUT-IL REMETTRE EN CAUSE LE PRINCIPE DE LA NON RETROATIVITE DES LOIS CIVILES MEME EN CAS DE DISPOSITIONS NOUVELLES PLUS « JUSTES » ?
« La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
Ce sacro-saint principe de non rétroactivité des lois, sèchement affirmé par l’article 2 du code civil, qui est d’ordre public, doit être obligatoirement appliqué par les juges, quelle que soit l’ « injustice » ou le caractère inéquitable de la décision qu’ils vont être amenés à rendre dans telle ou telle espèce où une loi nouvelle est intervenue en cours de procédure, qui leur aurait permis de rendre une décision « plus juste ».
Certes, ce principe n’a de valeur constitutionnelle qu’en matière répressive (Cf. Conseil Constitutionnel 7.11.1997) et, en matière civile, il ne lie pas le législateur (Cf. Cour de Cassation 1ère Chambre 20.06.2000), qui peut donner à son texte une application rétroactive sous réserve que son intention apparaisse sans équivoque (Cf. Cour d’Appel Paris 21.05.1971).
Mais, à défaut de déclaration non équivoque de rétroactivité d’une loi civile, les juges demeurent liés par les textes en vigueur lors des faits objet du litige qui leur est soumis.
Cette situation de notre droit positif, à l’instar de beaucoup d’autres domaines, mériterait d’être revisitée et modifiée, tout comme l’ont été, après plusieurs décennies, d’autres sacro-saints principes tels que celui de l’autonomie de la volonté ou du consensualisme.
Le droit de la consommation fait figure, à cet égard, de véritable fer de lance susceptible de percer la carapace de la non rétroactivité, fondée à l’origine sur la notion selon laquelle, le contrat faisant loi entre les parties et celles-ci étant supposées saines d’esprit et non influençables, il ne pouvait être question de remettre en cause, par une loi, ce qui aurait été « librement » consenti.
Petit à petit, ce « nouveau droit » vient à instaurer l’idée, et parfois bien plus, qu’il convient de rechercher, notamment dans les contrats et indépendamment des traditionnels vices du consentement (erreur, violence, dol) l’état de « dominance » de l’un des protagonistes (généralement le « professionnel ») ou de dépendance de l’autre (généralement le « consommateur »), si l’équilibre du contrat a bien été respecté, tant dans ses conditions de souscription que dans la faculté de dédit ouverte ou non au « particulier ».
De nombreuses décisions de justice sont chaque jour rendues, qui annulent comme abusives certaines clauses de contrats de fournisseurs d’accès internet (FAI) ou de contrats d’assurance, mais il subsistent de multiples zones d’ombre non couvertes par nos lois nationales successives, la plupart du temps incomplètes, qui se superposent les unes aux autres pour corriger notre ancien droit, appelé par ailleurs à disparaître peu à peu compte-tenu de la prééminence des règles communautaires ou des principes affirmés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui, compte-tenu de leur terminologie anglo-saxonne, tendent vers une justice moins textuelle et plus pragmatique (exemple du « délai raisonnable » en droit pénal).
Un exemple : le 2 avril 2009, la 1ère Chambre de la Cour de Cassation (pourvoi n° 08-11231), statuant en droit dans un litige ayant opposé un comité d’entreprise à une société de fourniture de services, a cassé et annulé une décision d’un Juge de proximité qui avait considéré que faute d’avoir informé son cocontractant de façon claire sur le faculté de non-reconduction tacite du contrat, la société de services ne pouvait se prévaloir d’une tacite reconduction de celui-ci.
Le juge de proximité était, lors de sa décision, en avance sur son temps.
En effet, son jugement a été cassé au motif qu’il avait été rendu alors que l’article L. 136-1 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 28 janvier 2005 ne bénéficiait alors qu’aux « consommateurs » c'est-à-dire aux seules personnes physiques, ce que n’était pas le comité d’entreprise, et ce bien que cet article ait été modifié le 3 janvier 2008 (donc plus d’un an avant l’arrêt de la Cour de Cassation) par la loi dite « loi Chatel II » qui a étendu l’application de cet article aux « non-professionnels ».
En effet, à la date des « faits » (et non de la décision), c’est l’ancien article L. 136-1 qui seul pouvait recevoir application, et les personnes morales n’étaient donc pas en droit d’en bénéficier, qu’elles fussent dénuées de tout but lucratif et composées de non-professionnels ou non.
On mesure ici toute l’inanité d’une telle situation, juste en droit, inéquitable en fait.
De là découle la question posée : faut-il remettre en cause le principe de la non rétroactivité des lois civiles ? Ou encore : faut-il laisser au juge la faculté d’être en avance, par rapport aux retards de la loi ?
L’on voit bien ici le cœur du débat : le législateur fait la loi, le juge doit l’appliquer sans état d’âme, en tous cas lorsqu’elle est d’ordre public, ce qui est le cas en l’espèce.
Parmi les grands chantiers ouverts notamment en matière de justice et de simplification du droit, il en est donc de celui-ci, comme d’autres, qui ne sont pas inscrits à l’ordre du jour mais qui auraient bien besoin de l’être.
Car dans notre système actuel, l’on a toujours tort d’avoir raison trop tôt.