Depuis plusieurs arrêts datant du 25 juin 2003, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission (cass. soc. 25 juin 2003, BC V n° 209).
Premier temps : les juges vérifient les faits invoqués. - Les juges doivent vérifier si les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte justifient ou non la rupture. Les juges ne peuvent pas substituer aux faits invoqués par le salarié d'autres griefs (cass. soc. 19 octobre 2004, n° 1894 FPBRI).
Deuxième temps : le juge décide que la rupture a les effets soit d'un licenciement, soit d'une démission. Mais peu importe :
- la lettre envoyée postérieurement par l'employeur pour lui imputer cette rupture (cass. soc. 19 janvier 2005, n° 122 FSPBRI) ;
- la procédure de licenciement engagée postérieurement par l'employeur (cass. soc. 19 janvier 2005, n° 124 FSPBRI).
Pour ce faire, les faits invoqués par le salarié doivent constituer des « manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur » (Cass. soc., 19 janv. 2005, n° 03-45.018). Cette recherche relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Dans deux arrêts du 13 octobre 2011, la cour de cassation vient une fois encore compléter sa jurisprudence sur la prise d'acte de la rupture ou sur les conditions dans lesquelles une demission équivoque peut être requalifiée en licenceineemnt sans cause réelle et serieuse.
Dans une première affaire, la salariée avait démissionné aux motifs que son employeur ne lui versait pas, depuis son embauche, un salaire correspondant à ses diplômes, ses compétences et ses fonctions. Elle avait en suivant saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir requalifier sa démission en rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, et de voir ce dernier condamner à lui payer diverses sommes à ce titre.
En l'espèce, les juges ont analysé les fonctions effectivement exercées par la salariée et ont constaté que l'intéressée « n'avait pas bénéficié depuis plusieurs années de la classification à laquelle elle pouvait prétendre et de la rémunération y afférent ».
La cour d'appel a jugé "qu'un tel manquement de l'employeur à ses obligations présentait un degré de gravité suffisant pour que la rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
Dans un second dossier, une salariée démissionnaire avait adressé à son employeur plusieurs courriers aux termes desquels elle contestait la qualification conventionnelle qui lui avait été octroyée et justifiat ainsi d'un différend antérieur ou contemporain à la démission rendant celle-ci équivoque.
La cour de cassation juge alors que « le refus de l'employeur de reconnaître à Mme L. sa qualification réelle et de lui verser le salaire correspondant caractérisait un manquement suffisamment grave justifiant la prise d'acte de la rupture. »
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Cass. soc., 13 oct. 2011, n° 09-71.702
COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée en 2001 par la société Snef en qualité de secrétaire niveau III coefficient 500 selon la convention collective nationale du bâtiment ETAM, a, le 11 septembre 2007, démissionné aux motifs que l'employeur ne lui versait pas, depuis son embauche, un salaire correspondant à ses diplômes, ses compétences et ses fonctions ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir requalifier sa démission en rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, et de voir ce dernier condamner à lui payer diverses sommes à ce titre ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la salariée devait être classée au niveau V, coefficient 730 de la convention collective nationale du bâtiment ETAM, et que sa démission devait s'analyser en une prise d'acte aux torts exclusifs de la société Snef, le licenciement ainsi intervenu étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que la qualification d'un salarié se déterminant par les fonctions réellement exercées, il incombe aux juges du fond, lorsqu'un salarié entend se prévaloir d'une classification différente de celle que lui reconnaît son employeur, de rechercher si les fonctions qu'il assurait correspondaient bien à cette classification ; qu'en se contentant, dès lors, pour conclure que Mme X... pouvait se prévaloir de la classification professionnelle qu'elle revendiquait, de retenir que selon l'attestation de M. Y..., son supérieur hiérarchique uniquement de 2001 à 2003, les tâches que la salariée aurait effectuées ne correspondaient pas à la classification de son contrat de travail, sans caractériser ce qu'auraient été ses fonctions réelles du jour de son embauche, en 2001, jusqu'à son licenciement en 2007 ; la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ qu'en se contentant d'affirmer, pour conclure que la salariée pouvait se prévaloir de la classification professionnelle qu'elle revendiquait, qu'elle versait aux débats les copies de nombreux courriers électroniques qui démontreraient ses fonctions de contrôle, de formation, d'organisation et d'élaboration de projets, sans analyser, même sommairement, les documents de la cause ainsi visés, ni indiquer ce qui lui avait permis de statuer en ce sens, alors même que la Société avait contesté la pertinence des rares courriels produits par Mme X..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'au terme de l'article 6 de la convention collective nationale du bâtiment - ETAM, l'utilisation par un salarié dans ses fonctions d'une langue étrangère lui permet de bénéficier d'un supplément de rémunération égal à 10 % des appointements par langue étrangère utilisée, et à 20 % en cas de rédaction dans cette langue étrangère ; que dès lors, en se contentant d'affirmer qu'il était acquis que la société Snef n'aurait pas respecté ses obligations en ne versant pas à Mme X... «un complément de rémunération en raison de son utilisation de deux langues étrangères» sans caractériser, en l'absence de toute pièce en ce sens, l'utilisation par la salariée de la langue arabe dans ses fonctions et encore moins la rédaction d'écrits dans cette langue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article susvisé et de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
4°/ qu'en concluant à l'existence de manquements graves de la société Snef à ses obligations justifiant que la rupture lui soit imputée, au motif que Mme X... aurait formulé plusieurs demandes de revalorisation, alors qu'aucune pièce attestant de demandes répétées de sa part n'avait été versée aux débats et que la société avait rappelé qu'elle n'avait découvert que le jour de la rupture les griefs que la salariée lui imputait, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code du travail ;
Mais, attendu, d'une part, qu'appréciant souverainement l'ensemble des éléments qui lui étaient soumis, la cour d'appel, se fondant sur les fonctions effectivement exercées par la salariée, a retenu que les responsabilités assumées par celle-ci correspondaient à la classification niveau V coefficient 730 de la convention collective nationale du bâtiment ETAM ;
Attendu, d'autre part, qu'abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche du moyen, la cour d'appel a constaté que la salariée n'avait pas bénéficié, depuis plusieurs années, de la classification à laquelle elle pouvait prétendre et de la rémunération y afférente, et souverainement décidé qu'un tel manquement de l'employeur à ses obligations présentait un degré de gravité suffisant pour que la rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais, sur le second moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que la cour d'appel a fait droit à l'intégralité des demandes de la salariée au titre de rappel de salaires, de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, aux motifs qu'elles n'étaient pas utilement critiquées par les parties ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'employeur qui soutenait qu'une partie des demandes au titre des salaires était prescrite, et qui, contestant le montant des sommes réclamées par la salariée, produisait un tableau de calcul sur la base du minimum conventionnel attribué à Mme X..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE
Cass. soc., 13 oct. 2011, n° 09-71.574
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 30 septembre 2009), que Mme X... a été engagée selon contrat à durée indéterminée du 20 janvier 2000 par la société Verdie autocars en qualité de comptable 2e degré groupe III coefficient 165 et classée, par avenant du 1er décembre 2003, chef de trafic ou de mouvement voyageurs, groupe 4 emploi n 28 ; que par lettres des 9 juillet 2003, 20 juillet 2004 et 24 mars 2005, elle a demandé à son employeur de lui reconnaître une qualification supérieure; qu'elle a démissionné de son emploi le 9 septembre 2005 ; qu'elle a saisi, le 29 mai 2006, la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de sa démission en rupture du contrat de travail imputable à l'employeur et en paiement de divers sommes ;
Attendu que la société Verdie autocars fait grief à l'arrêt de faire droit à ces demandes, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en présence d'une démission émise sans réserve mais remise en cause ultérieurement par le salarié en raison de manquements qu'il impute à l'employeur, le juge doit analyser cette démission en une prise d'acte si des circonstances antérieures ou contemporaines à la rupture la rendent équivoque ; que la contestation tardive des conditions de rupture du contrat de travail ne permet pas de remettre en cause la manifestation claire et non équivoque de démissionner ; qu'en considérant que des circonstances antérieures à la démission rendaient celle-ci équivoque sans rechercher si l'engagement par Mme X... d'une action prud'homale en requalification de la démission en prise d'acte de la rupture plus de sept mois après sa démission rendait celle-ci équivoque, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, et les articles L. 1231-1, L. 1232-1, et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que les faits invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte doivent constituer des manquements d'une gravité suffisante pour justifier une rupture imputable à l'employeur et rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle ; que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, retenir que le prétendu refus de l'employeur de reconnaître la qualification réelle de Mme X... et de lui verser le salaire correspondant caractérisait un manquement grave justifiant que la rupture du contrat de travail soit imputée à l'employeur, et constater dans le même temps que Mme X... avait laissé s'écouler plus de sept mois entre son dernier courrier à l'employeur et sa démission effective ; qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission ;
Et attendu que la cour d'appel, d'une part, a constaté que la salariée avait adressé à son employeur trois courriers aux termes desquels elle contestait la qualification conventionnelle qui lui avait été octroyée, de sorte qu'elle justifiait d'un différend antérieur ou contemporain à sa démission rendant celle-ci équivoque, d'autre part, a souverainement retenu que le refus de l'employeur de reconnaître à Mme X... sa qualification réelle et de lui verser le salaire correspondant caractérisait un manquement suffisamment grave justifiant la prise d'acte de la rupture ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Verdie autocars aux dépens de l'instance ;
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