Au titre de l’article 52-I du Code des marchés publics, l’acheteur public est par principe tenu d’examiner les garanties professionnelles, techniques et financières de chaque candidat. Les seules possibilités offertes au pouvoir adjudicateur de rejeter d’office une candidature, sont limitativement prévues par le Code à savoir : absence ou incomplétude de certaines pièces du dossier non régularisée après mise en demeure, ou encore interdiction de soumissionner du candidat (Code des marchés publics, article 43). La jurisprudence admet néanmoins qu’une personne publique, pour rejeter une candidature, peut invoquer des problèmes qu’elle a rencontrés lors de la réalisation de précédentes prestations (Conseil d’Etat, 10 juin 2009, n°334153).
Cette faculté demeure néanmoins encadrée et ne saurait ainsi être employée de manière trop souple, le risque contentieux étant sérieux.
La nécessaire justification de l’éviction
Le Conseil d’Etat a admis dès 1987 la possibilité pour une entreprise de se voir évincée, du fait de manquements passés qui pouvaient lui être imputés : « Considérant que les dispositions précitées accordent à la commission d'appel d'offres un large pouvoir d'appréciation pour l'établissement de la liste des candidats admis à présenter une offre ; que par décision du 26 octobre 1983, la commission d'appel d'offres de l'HOPITAL DEPARTEMENTAL ESQUIROL a écarté la société anonyme Geneton de la liste des entreprises admises à présenter une offre dans le cadre d'un marché proposé par l'hôpital ; qu'il résulte de l'instruction que cette décision a été prise en raison de difficultés qui avaient affecté la réalisation de travaux antérieurs confiés à la société anonyme Geneton ; qu'ainsi en décidant d'écarter de la deuxième phase de l'appel d'offres restreint la société anonyme Geneton et bien que les marchés précédents aient donné lieu à réception définitive sans réserve, la commission d'appel d'offres de l'HOPITAL DEPARTEMENTAL ESQUIROL n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation » (Conseil d’Etat, 27 février 1987, n°61402). Cette position a pu par la suite être réaffirmée et affinée, en ce qu’une telle faculté doit nécessairement emporter un certain nombre de limites.
Le Ministre de l’Intérieur a eu l’occasion de rappeler que, pour éliminer une candidature, le pouvoir adjudicateur ne peut « se fonder uniquement sur les seuls manquements allégués d’une entreprise dans les précédents marchés, sans rechercher si d’autres éléments du dossier de candidature de la société permettaient à celle-ci de justifier de telles garanties» (Réponse ministérielle n°16045 du 26 mars 2013).
Dans une telle circonstance, la personne publique est donc tenue non seulement de prouver la réalité du manquement du candidat lors de l’exécution des marchés antérieurs, mais également de démontrer que ces manquements sont de nature à mettre en doute la réalité de la capacité du candidat de répondre au marché auquel il soumissionne (Cour administrative d’appel de Nantes, 4 décembre 2009, n°09NT00400 ; Conseil d’Etat, 1er mars 2012, n°354159 ; Cour administrative d’appel de Versailles, 10 octobre 2013, n°12VE00585).
Dans un premier temps le pouvoir adjudicateur doit ainsi s’attacher à démontrer la réalité du manquement sur lequel il entend s’appuyer pour rejeter une telle candidature. Dans certains cas, cela peut ne pas s’avérer chose aisée, en particulier lorsque suite aux manquements allégués s’est ouverte une procédure d’expertise juridictionnelle, qui demeure en cours au jour de l’analyse des candidatures de la nouvelle consultation. S’il est envisageable que la personne publique puisse être tentée dans cette situation, de considérer la faute de son cocontractant comme acquise, et refuser ainsi de contracter de nouveau avec lui, il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de reconnaissance par un rapport expertal définitif de l’imputabilité de ces désordres à ladtite entreprise, nouvellement candidate, une exclusion de principe ne saurait être admise.
Ensuite, il convient de vérifier si d’autres éléments du dossier sont ou non en mesure de compenser cette carence ou si l’existence d’un éventuel changement de circonstances permettrait d’atténuer cette carence passée (recrutement de personnel plus nombreux ou plus qualifié, investissement dans de nouveaux matériels, nouvelle organisation, etc…).
Le pouvoir adjudicateur ne saurait pas conséquent s’exonérer d’une analyse de la candidature de la société nouvellement candidate et anciennement défaillante, et donc de ses garanties professionnelles, techniques et financières.
Risque contentieux : censure de la décision d’éviction irrégulière et indemnisation du préjudice subi
Les acheteurs publics et maîtres d’ouvrage ne doivent pas perdre de vue le risque contentieux du rejet d’un candidat au stade de l’analyse des candidatures, et ce d’autant plus que leurs marges de manœuvre s’agissant de l’analyse des candidatures s’avère bien moins prononcé que s’agissant de l’analyse des offres. En effet, et pour rappel, à ce stade de la consultation, seules peuvent et doivent être analysées les garanties professionnelles, techniques et financières. Dès lors, il sera plus aisé au candidat s’estimant lésé par le rejet abusif de sa candidature, de démontrer l’irrégularité de la procédure.
En outre, les outils à disposition de ces candidats malheureux demeurent étendus (référé précontractuel, contractuel et éventuellement recours « Tropic »). A cette occasion l’entreprise évincée pourrait, outre la censure de la décision d’éviction, demander indemnisation du préjudice subi (préjudice financier ou encore préjudice moral). A cette occasion, il lui appartiendra alors de démontrer qu’elle avait une chance sérieuse de remporter le marché, faute de quoi elle s’exposerait au rejet de ses prétentions (Cour administrative d’appel de Versailles, 10 octobre 2013, n°12VE00585).
Les pouvoirs adjudicateurs doivent donc être appelés à une certaine vigilance quant à l’emploi d’une telle faculté de rejet dans le cadre de leurs consultations.