Le 12 juillet 2020 le premier adjoint au Maire d’une commune a déposé une plainte simple au commissariat de police du chef de diffamation publique envers une personne chargée d’un mandat public.
Le plaignant reprochait à un internaute d’avoir publié un message sur Facebook le 10 juillet 2020 aux termes duquel il était indiqué qu’il avait été nommé en qualité de premier adjoint malgré une condamnation pénale pour des violences conjugales.
Le 15 juillet 2020 le parquet local saisi de la plainte a transmis cette procédure à un autre Procureur de la République territorialement compétent.
Le 3 août 2020, le Procureur de la République a adressé un soit-transmis au commissariat de police afin qu’une enquête soit diligentée et que l’internaute auteur de la publication soit auditionné.
A l’issue de l’enquête l’auteur de la publication a été condamné par le Tribunal correctionnel puis le 13 avril 2022 par la Cour d’appel de Versailles du chef de diffamation publique envers une personne chargée d’un mandat public.
L’internaute a régularisé un pourvoi en cassation et la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles.
La Cour de cassation juge que la publication litigieuse du 10 juillet 2020 a fait courir la prescription de trois mois et que ni la plainte simple du 12 juillet 2020, ni les actes de procédure ultérieurs n’ont interrompu la prescription avant que cette dernière soit acquise le 10 novembre 2020.
En l’absence d’acte interruptif de prescription, la Cour d’appel aurait dû relever d’office l’exception d’ordre public de prescription et non condamner l’auteur des propos poursuivis !
Le commentaire :
En matière d’infraction de presse, la rapidité de la réaction est de rigueur, mais ne doit pas être confondue avec la précipitation au risque de réduire à néant les chances de succès de l’action engagée !
Il est acquis, en application de l’article 65 de la Loi du 29 juillet 1881, que, sauf exceptions, le délai de prescription est trimestriel pour les infractions de presse.
Ce délai commence à courir à compter de la publication des propos litigieux et ne peut être interrompu avant l’engagement des poursuites que par des réquisitions aux fins d’enquête qui articulent et qualifient les infractions de presse pour lesquelles l’enquête est ordonnée (article 65 alinéa 2 de la Loi du 29 juillet 1881).
Ainsi concrètement, si le Procureur de la République destinataire d’une plainte simple ne prend pas de réquisitions aux fins d’enquête conformes dans le délai de trois mois à compter de la publication des propos, l’action publique est prescrite !
Le dépôt d’une plainte simple n’étant pas interruptif de la prescription, le plaignant se place ainsi dans une situation inconfortable au cours de laquelle il est contraint d’espérer une réaction rapide et efficace du Procureur de la République.
A défaut de réaction appropriée du Procureur de la République le plaignant pourrait voir son action ne pas prospérer pour des raisons procédurales alors que les propos poursuivis seraient pourtant constitutifs d’une infraction de presse…
Dès lors, en pratique il est vivement recommandé à toute personne estimant être victime d’une infraction de presse d’engager elle-même les poursuites en déposant une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des Juges d’instruction ou en faisant signifier une citation directe devant le Tribunal correctionnel.
Le dépôt d’une telle plainte avec constitution de partie civile ou la signification d’une citation directe devant le Tribunal correctionnel sont des actes interruptifs de prescription et permettent à la personne estimant être victime des propos diffamatoires ou injurieux de garder la main sur la procédure engagée.
Précisons toutefois que pour être valables, ces actes doivent répondre aux exigences contraignantes des articles 50 ou 53 de la Loi du 29 juillet 1881 (articulation des faits, qualification des propos, indication des fondements, élection de domicile…).
A défaut de respect de ces exigences ces actes seraient alors considérés comme n’étant pas interruptifs de prescription et l’action engagée ne permettrait pas à la personne s’estimant victime d’une infraction de presse d’obtenir l’indemnisation de son préjudice !
Dans ces conditions, compte tenu des contraintes de délai, de la forme et du contenu des actes à régulariser, on ne saurait que conseiller à chacun, en demande ou en défense de prendre conseil auprès d’un professionnel en droit de la presse !
Ludovic Binello
AARPI YBD Avocats
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