Le 19 septembre 2018, le Département des Côtes-d'Armor a fait citer une administrée devant le Tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un corps constitué.
Le département reprochait à celle-ci d’avoir distribué des tracts dénonçant les conditions de placement de ses enfants par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et affirmant que ses filles étaient victimes de sévices et de violences au sein de foyers départementaux.
Le Tribunal correctionnel puis la Cour d’appel de RENNES ont condamné la prévenue à une peine d’amende de 2.500 euros, dont 1.300 euros avec sursis, ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts aux fins d’indemnisation du préjudice moral subi par le Département des Côtes d’Armor
La prévenue a régularisé un pourvoi en cassation.
Dans un arrêt rendu le 22 décembre 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.
La Cour de cassation a visé l’article 48 1° de la Loi du 29 juillet 1881 aux termes duquel :
« Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps indiqués en l'article 30, la poursuite n'aura lieu que sur une délibération prise par eux en assemblée générale et requérant les poursuites, ou, si le corps n'a pas d'assemblée générale, sur la plainte du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève »
Dès lors, puisqu’au présent cas d’espèce, les poursuites pour diffamation envers un corps constitué n'ont pas été précédées d’une délibération de l'Assemble Générale du Département, la Cour de cassation estime les juges auraient dû relever d'office l'irrecevabilité de la constitution de partie civile du Département des Côtes d’Armor et constater qu’ils n’étaient pas valablement saisis.
La Cour de cassation prononce la cassation sans renvoi.
Appréciation :
Engager une procédure sur le fondement d’un délit de presse (diffamation, injure…) est un exercice complexe qui implique une grande vigilance afin de respecter les contraintes procédurales spécifiques de la Loi du 29 juillet 1881.
De nombreuses procédures pourraient aboutir à la condamnation de l’auteur des propos poursuivis si elles n’étaient pas irrévocablement entachées d’un vice de procédure.
Cette affaire est l’illustration parfaite de cette sévérité implacable du droit de la presse.
En effet, l’action engagée du chef de diffamation publique, pourtant a priori bien fondée puisque celle-ci avait abouti à la condamnation du prévenu par le Tribunal correctionnel et la Cour d’appel, se trouve ne pas pouvoir aboutir in fine à la condamnation de l’auteur !
Pourtant, en raison d’une erreur procédurale, l’absence de délibération préalable de l’Assemblée Générale, le Département des Cotes d’Armor, voit sa constitution de partie civile jugée irrecevable.
La conséquence est simple : l’action civile n’a pas été valablement engagée et l’action publique s’éteint sans qu’il ne soit plus possible d’engager une nouvelle procédure en raison de la prescription trimestrielle.
L’auteur des propos considérés comme diffamatoires voit ainsi sa condamnation définitivement cassée par la Cour de cassation.
Que l’on se félicite ou que l’on se désole de la solution et du carcan encadrant les procédures en droit de la presse, il convient surtout de considérer que le fait d’être accompagné par un professionnel rompu et vigilant est impératif dans ce domaine.
Source : Cass. Crim., 22 décembre 2020, no 19-87.710, Legipresse no 389
Maître Ludovic BINELLO
Avocat au Barreau de PARIS