Au milieu de l’été 2020, la société LES SPORTS, s'estimant injuriée et diffamée par des passages du livre « Les Macron du Touquet-Elysée-plage » a assigné les coauteurs, la société d'édition et son Président sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Les défendeurs ont opposé la nullité des assignations en soulevant le fait que les dispositifs des assignations signifiées qualifiaient cumulativement les mêmes propos de diffamatoires et d’injurieux.
Le 15 juillet 2021, la Cour d’appel d’AMIENS a jugé que la qualification des faits poursuivis par les assignations était imprécise et a annulé lesdites assignations.
La société LES SPORTS a régularisé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’AMIENS.
A l’appui de son pourvoi, la société LES SPORTS a soutenu que la Cour d'appel avait fait preuve d'un formalisme procédural excessif puisque les propos poursuivis et leurs qualifications étaient distingués dans les motifs de l’assignation. Selon la société LES SPORTS la demande de suppression des propos, exprimée et synthétisée dans le dispositif des assignations, était explicitée dans les moyens exposés dans les motifs des assignations de sorte qu’il n’existait aucune incertitude dans l'esprit des défendeurs.
Le 23 novembre 2022, la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi régularisé par la société LES SPORTS.
La Cour de cassation a rappelé qu’aux termes de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable.
Tirant les conséquences de ce texte et appliquant une jurisprudence constante à ce sujet, la Cour juge qu’est nulle une assignation qui retient pour les mêmes propos la double qualification d'injure et de diffamation puisque cette double qualification est de nature à créer une incertitude quant aux faits reprochés.
La Cour de cassation estime que c’est à bon droit, sans porter une atteinte excessive au droit d'accès au juge de la société LES SPORTS, que la Cour d’appel a jugé que le cumul de qualifications était de nature à créer, à l'égard des défendeurs, une incertitude préjudiciable à leur défense et qu'elle a annulé les assignations en leur entier.
Appréciation :
L’article 29 alinéa 1er de la Loi du 29 juillet 1881 défini la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
L’injure est définie par l’article 29 alinéa 2 de la Loi du 29 juillet 1881 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».
Les définitions de ces deux infractions au sein du même article ne doivent pas faire oublier que celles-ci sont distinctes et, plus encore, totalement incompatibles.
En effet, si l’expression poursuivie contient une imputation d’un fait précis (être l’auteur d’une infraction pénale…) il pourra s’agir d’une diffamation (alinéa 1er). Inversement, si aucun fait précis n’est imputé à la personne visée par l’expression, cette dernière ne pourra agir que sur le fondement de l’injure (alinéa 2).
Dès lors, un propos unique ne pourra jamais être considéré cumulativement comme diffamatoire et injurieux. Relevons toutefois que lorsque des propos injurieux s’inscrivent de manière indivisible dans un contexte factuel précis l’injure est absorbée par la diffamation (Cass. crim. 23 juin 2009, no 07-88.016).
Cette distinction peut se révéler complexe à manipuler en pratique, cela d’autant plus que tout erreur de qualification provoque la nullité de l’assignation sans possibilité de régularisation de la procédure.
En effet, la rigueur procédurale du droit de la presse s’ajoute au court délai de prescription trimestriel en cette matière : l’assignation annulée n’ayant pas interrompu le délai de prescription trimestriel, la prescription est désormais acquise empêchant toute nouvelle action judiciaire de prospérer.
Le demandeur doit être extrêmement vigilant dans l’exercice de qualification des propos qu’il entend poursuivre et l’acte introductif de l’instance (assignation, citation directe, plainte avec constitution de partie civile…) ne doit provoquer aucune confusion dans l’esprit du défendeur : ce dernier doit savoir précisément sur quel fondement il est poursuivi afin de pouvoir se défendre devant la juridiction saisie.
Cette exigence se justifie notamment par le fait que le défendeur dispose de moyens de défense différents selon qu’il est poursuivi du chef de diffamation (exception de vérité, exception de bonne foi…) ou sur le terrain de l’injure (excuse de provocation…).
Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que le choix de la qualification doit être maintenu sans aucune ambiguïté par le demandeur : la qualification retenue doit être identique au sein de tout l’acte introductif d’instance et ne doit pas laisser apparaître la moindre hésitation !
La moindre approximation et toute discordance au sein de l’acte autorise la juridiction saisie à prononcer la nullité de l’assignation, de la citation directe ou de la plainte avec constitution de partie civile !
Ludovic BINELLO
Avocat au Barreau de PARIS