La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (la MAPPP) a publié en 2009 une mise à jour (1) de sa fiche technique relative aux possibilités d’évolution d’un groupement candidat à un contrat de partenariat (2).
Dans cette fiche, la MAPPP dispense plusieurs conseils pratiques aux acheteurs publics concernant la candidature des groupements d’entreprises et traite notamment de l’évolution de ces groupements, tant au stade de la sélection des candidatures et des offres qu’au stade de l’exécution du contrat de partenariat.
Cette fiche offre dès lors l’occasion de s’interroger sur le moment auquel doit être constitué un groupement d’entreprises et sur le point de savoir si des opérateurs économiques peuvent se regrouper, après la phase de remise des candidatures, pour déposer une offre commune.
Cette question, qui ne se rencontre que dans le cadre des procédures restreintes dans lesquelles la remise d’une candidature précède la remise d’une offre, sera examinée pour les trois types de contrats que sont les marchés publics (I), les marchés de l’ordonnance du 6 juin 2005 et les contrats de partenariat (II).
I. UN REGROUPEMENT ILLÉGAL EN CE QUI CONCERNE LES MARCHÉS PUBLICS
Si l’instruction pour l’application du Code des marchés publics (CMP) 2001 (3) précisait que « le groupement a lieu au stade des candidatures », ni les Codes 2004 et 2006 ni leur manuel d’application n’ont confirmé ce point.
Seule la Commission des marchés publics de l’État indiquait, dans son rapport d’activité de 2005, que « quelle que soit l’importance du marché, les entreprises peuvent présenter leurs candidatures ou leurs offres individuellement ou en groupement dans les conditions prévues à l’article 51 du CMP. Le groupement doit avoir lieu au stade des candidatures » (4).
On doit cependant considérer que cette règle perdure (5) et que le groupement d’entreprises doit être constitué avant la remise des candidatures, la seule exception à ce principe étant celle qui s’applique pour certains marchés publics passés pour les besoins de la défense (6).
D’une part, l’article 51 IV du CMP 2006 indique que « Les candidatures et les offres sont présentées soit par l'ensemble des opérateurs économiques groupés, soit par le mandataire s'il justifie des habilitations nécessaires pour représenter ces opérateurs économiques au stade de la passation du marché ». C’est donc au stade des candidatures que les opérateurs économiques doivent informer le pouvoir adjudicateur qu’ils répondent en cotraitance.
D’autre part, depuis le CMP 2001, est interdite toute modification de la composition d’un groupement « entre la remise des candidatures » et « la remise des offres » (CMP 2001 et 2004) ou « la date de signature du marché » (CMP 2006). Et si le CMP 2006 a introduit une exception à ce principe d’intangibilité de la composition des groupements, ce tempérament, qui ne s’applique que dans certains cas de défaillance d’un des membres du groupement (7), se traduit par le départ du cotraitant défaillant et non par l’intégration d’un nouveau partenaire, le cotraitant défaillant étant alors, si nécessaire, remplacé par un ou plusieurs sous-traitants (8).
On doit donc déduire de la rédaction de l’article 51 V du CMP 2006 :
(i) qu’un opérateur économique qui n’a pas été candidat ou dont la candidature n’a pas été retenue ne peut intégrer, entre la remise des candidatures et la signature du marché, un groupement d'entreprises candidat. Un groupement ne peut en effet être déclaré attributaire d'un marché que si toutes les entreprises qui le composent ont été préalablement admises à présenter une offre (9) ;
(ii) qu’un candidat ne doit pas pouvoir, pendant cette même période, constituer (ou intégrer) un groupement avec des entreprises dont la candidature individuelle a également été admise, pratiques qui avaient été envisagées par la Commission centrale des marchés sous l’empire du CMP ante 2001 (10).
La remise d’une offre par un groupement dont la composition a été modifiée en cours de consultation devrait alors être assimilée à une nouvelle candidature présentée hors délai.
C’est d’ailleurs la position adoptée par le Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie dans sa réponse du 9 février 2006 à une question posée par le Sénateur Carle(11) :
« Aux termes de l'article 51 du Code des marchés publics, les entreprises peuvent présenter leur candidature ou leur offre sous forme de groupement. Le groupement doit cependant être constitué dès la candidature, dans la mesure où le V de l'article 51 dispose que « la composition du groupement ne peut pas être modifiée entre la remise des candidatures et la remise des offres ». Par conséquent, à partir du moment où la liste des candidats a été arrêtée, celle-ci ne peut plus être modifiée notamment par la constitution d'un groupement qui serait à considérer comme une candidature nouvelle présentée hors délai ».
Cette règle vise avant tout à éviter les stratégies d’ententes anticoncurrentielles entre les candidats en cours de procédure. On voit mal en effet pour quelles raisons des candidats décideraient de se regrouper, alors même que leur candidature ayant été admise, ils disposent individuellement de toutes les compétences nécessaires pour exécuter le marché en totalité.
II. UNE EVOLUTION POSSIBLE DES GROUPEMENTS CANDIDATS A DES MARCHES DE L’ORDONNANCE DU 6 JUIN 2005 ET A DES CONTRATS DE PARTENARIAT
2.1 L’absence d’interdiction en droit communautaire
L'interdiction posée par l’article 51 V du CMP 2006 n'a pas d'équivalent en droit communautaire.
Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice des communautés européennes a ainsi considéré que les directives communautaires « ne s'opposent pas à une réglementation nationale interdisant la modification de la composition d'un groupement d'entrepreneurs qui participe à une procédure de passation d'un marché public de travaux ou d'une concession de travaux publics » (12).
Cette question relève donc de la compétence des États membres. Or, en droit interne, ni l’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat, ni l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au CMP, ni ses décrets d’application (13) ne contiennent de dispositions relatives à l’évolution des groupements.
Il appartient donc aux acheteurs de préciser, dans le dossier de consultation, quelles sont les règles applicables. Certains juges nationaux ont ainsi admis, suivant en cela la position de la CJCE, qu'un règlement de consultation interdise la modification de la composition d'un groupement en cours de procédure (14).
2.2 Des règles du jeu devant être fixées par l’acheteur, dans le respect des principes présidant à la passation de ces contrats
- Les acheteurs seront ainsi amenés à déterminer, au cas par cas, si la modification des groupements est justifiée au regard :
o de la procédure de passation du contrat (procédure négociée ou dialogue compétitif) (15) ; et
o de leurs intérêts, une certaine marge de manœuvre pouvant être nécessaire dans la composition des groupements compte tenu de l’évolution prévisible des solutions envisagées en cours de procédure.
Les règles devront alors être fixées dans le respect des principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (16). Dans sa fiche technique, la MAPPP préconise d’ailleurs que :
o la possibilité de modifier la composition d’un groupement soit ouverte à tous les candidats ;
o la capacité professionnelle et financière du nouveau groupement soit au moins équivalente à celle qui a conduit à retenir la candidature du groupement initial ;
o cette possibilité soit prévue dès l’élaboration des documents de consultation et soit subordonnée à un accord exprès et motivé de la personne publique.
- Se pose toutefois la question de savoir si un opérateur économique qui n’a pas soumis sa candidature ou dont la candidature n’a pas été retenue peut intégrer un groupement dont la candidature a été admise. Ce point n’est en effet pas abordé dans la fiche technique de la MAPPP qui évoque, sans autre précision, « l’entrée d’un nouveau partenaire financier ».
Le principe d’égalité de traitement des candidats devrait toutefois imposer que le membre qui intègre un groupement candidat ait été autorisé à présenter une offre, comme c’est d’ailleurs prévu pour certains marchés publics passés pour les besoins de la défense (17).
Cela ressort notamment de l’article 44-3 de la directive 2004/18 « le pouvoir adjudicateur ne peut pas inclure d'autres opérateurs économiques n'ayant pas demandé de participer ou des candidats n'ayant pas les capacités requises », principe qui a d’ailleurs été repris à l’article 23 III du décret n°2005-1742 pris en application de l’ordonnance du 6 juin 2005 et que l’on retrouve également en matière de marchés publics (18) et de délégations de service public (19).
- La modification du groupement d’entreprises en cours de procédure devra enfin s’opérer dans le respect du droit de la concurrence.
Or, comme on l’a vu précédemment, dès lors que le regroupement de candidats en cours de consultation ne s’explique pas par « des nécessités techniques ou des économies d’échelle » (20), on présume qu’il est motivé par des motifs anticoncurrentiels (21).
Toute modification dans la composition d’un groupement devra donc être soigneusement justifiée au regard des règles de la concurrence.
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Pour conclure, si la règle concernant la modification des groupements en cours de procédure de passation ne fait aucun doute pour les marchés publics, la souplesse qui semble exister pour les marchés de l’ordonnance du 6 juin 2005 et les contrats de partenariat reste à confirmer par la jurisprudence.
La fiche technique de la MAPPP n’a en effet que valeur de recommandation et les juges pourraient avoir une position plus tranchée. Le Tribunal administratif de Grenoble a d’ailleurs annulé la procédure de passation d’une délégation de service public au motif que la commission d’examen avait, à tort, proposé d’engager la discussion avec un groupement qui s’était constitué, après la remise des candidatures, entre deux entreprises dont la candidature individuelle avait été acceptée (22).
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1. Une première étude de cas sur ce sujet avait été mise en ligne par le Minéfi en décembre 2005.
2. Mise en ligne le 9 février 2009, cette fiche intitulée « les contrats de partenariat et l’intangibilité des groupements candidats » est disponible à l’adresse : http://www.ppp.bercy.gouv.fr/fiche_intangibilite.pdf
3. Point 51.1 de l’instruction pour l’application du CMP 2001
4. Rapport d’activité de la Commission des marchés publics de l’État, page 22
5. Interprétation retenue par Jean-Pierre Babando et Joseph Bon : Jurisclasseur Contrats et Marchés publics, Fasc. 60-50
6. Article 5 du décret n°2004-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l'article 4 du CMP et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense : « Les candidats peuvent se présenter en groupement soit au moment de la remise des candidatures, soit au moment de la remise des offres. La composition des groupements peut être modifiée entre la remise des candidatures et la remise des offres sous réserve que tous les membres du groupement aient été autorisés à présenter une offre ou à y participer ».
7. « un de ses membres est mis en liquidation judiciaire ou (…) se trouve dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait ».
8. Le groupement « peut demander au pouvoir adjudicateur l'autorisation de continuer à participer à la procédure de passation sans cet opérateur défaillant, en proposant le cas échéant à l'acceptation du pouvoir adjudicateur un ou plusieurs sous-traitants. Le pouvoir adjudicateur se prononce sur cette demande après examen de la capacité professionnelle, technique et financière de l'ensemble des membres du groupement ainsi transformé et, le cas échéant, des sous-traitants présentés à son acceptation ».
9. CE, 9 décembre 1987, Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, req. n°70836
10. Commission centrale des marchés, Marchés publics 1984 n°200, p.10
11. Rép. minis. n°19084 : JO Sénat du 09/02/2006 - page 360
12. CJCE, 23 janvier 2003, Makedoniko Metro et Michaniki, aff. C-57/01
13. Ces derniers textes se bornent à encadrer l’exigence de transformation du groupement attributaire en une forme juridique déterminée pour l’exécution du marché :Articles 22 du décret n°2005-1742 et 23 du décret n°2005-1334 pris en application de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005
14. CAA Nantes, 30 juin 2006, Société Stereau, req. n°06NT00610 (sous l’empire du CMP ante 2001) – voir pour une interprétation contraire de l’arrêt précité de la CJCE : « Marchés relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 : la réforme inachevée », Revue Contrats et marchés publics n°1, janvier 2009, étude n°1, point 31
15. Selon la MAPPP dans la fiche précitée, la modification du groupement ne peut avoir lieu au cours de la consultation que si cette procédure prend la forme d'un dialogue compétitif ou d’une procédure négociée. La procédure d'appel d'offres, dans laquelle le cahier des charges est déterminé en amont, ne justifie pas, quant à elle, l'évolution du groupement.
16. Articles 3 du l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 et 6 de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005
17. Article 5 du décret n°2004-16 du 7 janvier 2004 précité : « La composition des groupements peut être modifiée entre la remise des candidatures et la remise des offres sous réserve que tous les membres du groupement aient été autorisés à présenter une offre ou à y participer ».
18. Article 35.2.1 de l’instruction pour l’application du CMP 2001 : « le code des marchés ne permet pas à la personne responsable des marchés, en dehors de l’envoi d’un avis de publicité, de prendre l’initiative de solliciter de nouveaux prestataires et de les introduire en cours de procédure. Si les prestataires ne se sont pas spontanément manifestés, n’ayant pas fait acte de candidature (en appel d’offres restreint ou en marché négocié) ou n’ayant pas remis une offre (en appel d’offres ouvert), ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme des candidats au marché public ».
19. TA Bastia, 16 janvier 1997, SARL Hélios Consultants c/ Agence de Tourisme de la Corse, req. n° 96613, BJDCP n°18, p.455
20. CA Paris, 20 mars 2004, BOCCRF 15 juin 2004
21. Voir notamment Cons. conc. déc. n°08-D-22 du 9 octobre 2008 et « les lignes directrices pour la lutte contre les soumissions concertées dans les marchés publics » récemment mises en ligne par l’OCDE
22. TA Grenoble, 19 janvier 1988, Société d’aménagement urbain et rural, req. n°974054
Article publié le 15 mai 2009